logo SOV

Haight-Ashbury

Paris, Café de la Danse - 16 mai 2012

Live-report par Natt Pantelic

Bookmark and Share
En retard, en retard, en retard ! Prise dans les bouchons de cette veille de pont du mois de mai avec son cortège de départs en long week-end, je maudis la Terre entière en fantasmant d'avoir une voiture volante qui m'éviterait ça.

SOV

J'arrive comme une Fangio au Café de la Danse à la fin de Sophomore, seconde chanson du set de Haight-Ashbury ce soir. Les nerfs en pelote, je me dirige près de la scène et m'installe en quatrième vitesse. La chanson suivante, Three Little Birds, suffit à mettre un frein à mon coup de speed. Les voix éthérées des filles gazouillent sur les faux airs de sitar que le guitariste donne à ce moment-là au seul morceau issu du premier album de cette formation écossaise, Here In The Golden Rays, sorti en 2010. Tous les autres seront, ce soir, issus du deuxième album, édité cette année et sobrement intitulé Haight-Ashbury 2 : The Ashburys. Car il s'agit bien là d'une affaire de famille.
Jennifer Ashbury, semblable à une Grace Slick à bouclettes, son amie et belle-sœur Kirsty Heather Ashbury, gracieuse blonde évaporée, et Scott James Ashbury, frère de Jennifer, constituent ce groupe empruntant son nom au quartier de San Francisco d'où est parti le mouvement hippie en minibus Volkswagen fleuri. Mais que l'on ne se perde pas sur la route de ces références seventies : les Haight-Ashbury offrent bien un renouveau au folk-rock psychédélique.

Le morceau suivant, Freeman Town, en est la preuve. Une batterie claquant fort sur les voix des filles, aux sublimes sonorités psyché-gaélico-folkloriques, et des riffs de guitare poussant jusqu'au garage. Écouter Haight-Ashbury, c'est s'offrir un trip Retour vers le Futur en programmant la DeLorean sur le dernier concert des Jefferson Airplane avec les Jesus & Mary Chain dans l'autoradio. Les membres du groupe ont apparemment embarqué avec eux un fan transi que nous nommerons « Ambianceman » dans la voiture à remonter le temps. Ce gars qui danse collé à la scène est un personnage à part entière ! Cheveux longs, blouse flottante et pantalon large du bas, il semble débarquer de la planète X. Ses gestes aériens et ondulants, sa façon de donner le ton, indiquant à l'auditoire quand respecter un silence dans un morceau ou quand applaudir, en fait le quatrième larron de cette euphorique odyssée du lis, mood flower power On !

SOV

Au cinquième morceau, Second Hand Rose, Ambianceman tripe sur la basse vibrante de l'introduction, suivie des saturations d'une pédale wah wah soutenant le chant mystique lançant de lancinants « don't wanna say goodbye ». À ce moment-là, il est clair que l'on n'en n'a pas envie non plus ! Everything Is Possible fait encore une fois résonner une guitare très sitar et nous emmène du Glascow des écossais au San Francisco de leurs influences. « I can follow you »... Everybody, for sure ! Sauf deux pies derrière moi, venues jacasser comme en terrasse. Dur de croire que l'on puisse rester hermétiques à la magie que dégage ce groupe. L'ambiance a beau être peace et vanter le Freelove, j'ai tout de même gravement envie de les trucider. Mais point insensible à l'incroyable magnétisme des Haight-Ashbury, leur musique adoucit vite mes mœurs et je lâche mon stylo presque assassin pour me laisser transporter encore par les derniers morceaux, glissant doucement sur l'unisson guitare-chant de Maastricht et sa délicate rupture à la guitare qui fait se coller aux enceintes Ambianceman, dorénavant en transe.
Pour le dernier morceau, She's So Groovy, il est rejoint par un acolyte et deux styles de danse s'affrontent alors : l'un woodstockien, l'autre plus syncopé et brut. Un contraste qui sied parfaitement aux Haight-Ashbury, oscillant entre une douceur folk et un acid rock des plus abrupts. Une sophistication rare. Un trip à vivre absolument.

Eloïse Decazes au chant, Mocke (de Holden) à la guitare et Sing Sing aux deux prennent maintenant place sur scène : Arlt est là ! Ces doux dingues vêtus de sombre, alors qu'on les affublerait plutôt de camisoles, cernés par les blouses blanches, entament une joyeuse danse macabre dans laquelle les petits squelettes tiendraient par la main un chien mort, un cheval crevé, une baleine, un rhinocéros, ou encore une sauterelle dessinée par un fou. On retrouve cet improbable bestiaire illustrant la folie, la mort et l'amour sur fond de guitares post-rock répétitives et hypnotiques tout au long de l'album Feu La Figure présenté ce soir pour sa sortie, après un premier opus en 2010, La Langue.
L'interprétation intensément suave d'Éloïse Decazes et celle plus heurtée de Sing Sing donnent également vie à des mortels ingénus, purs, passionnés, pétris de sentiments crus ou tristes d'amour dans un monde peuplé de fantômes. Dans un manteau sombre cachant à peine sa robe rouge, l'evil twin du petit chaperon rouge entonne délicatement Sans Mes Bras, amputation figurée dans laquelle des bras tombent d'émerveillement amoureux. Car l'humour vache est la Carte du Tendre d'Arlt. Après l'envoûtante chanson réaliste Je Voudrais Être Mariée, aux faux airs médiévaux, le public ayant accueilli timidement ce groupe à l'étrange univers, applaudit maintenant chaleureusement. Est-ce dû à leur talent fait d'Amour noir ? Avec son « qu'est-ce qui est jaune et qui dort tout seul ?… Yoko Ono », le chanteur conduit les derniers récalcitrants vers le rire. Entre les « veux-tu retirer ton couteau (de ma cuisse) » et les « c'est bien toi mon premier périscope », celui-ci nous mène au détour d'une intimité crue et claire, foudroyant des histoires d'amour qui finissent souvent mal, comme dans cette douche de L'Eau Froide contant la séparation. « La route est jaune et noire » dans La Ville Est Triste pourrait figurer dans un remake du Magicien d'Oz sous Prozac, empruntant les chemins sinueux des cordes de Mocke, qui fait swinguer ces drôles de personnages, et nous aussi, par sa guitare volontiers névrotique.

Les Arlt ont conquis ce soir un public qui les rappellera à deux reprises, pendant lesquelles leur jeu s'intensifiera pour quelques minutes pêle-mêle de transe communicative, de merchandising maladroit dont on leur est reconnaissant de se foutre éperdument, de drôle de raté de voix et d'amicale publicité pour le Monte-en-l'air (*).
Arlt, ou le désordre chronique de la folie ordinaire au pays de Candy. Mais que Sing Sing descende de scène pour figurer le manque dit par Rhinocéros ou qu'Éloïse chante les yeux fermés, on voit bien malgré ces métaphores in absentiam qu'ils sont là plus que jamais, extraordinaires. Alors gardons l'œil ouvert sur eux.

(*) Le chanteur n'a pas donné les coordonnées de cette conviviale librairie-galerie, ce que je m'empresse de faire maintenant : 2 rue de la Mare, 20ème arrondissement - métro Ménilmontant et Gambetta.
setlist
    HAIGHT-ASHBURY
    Dum Dee Dum
    Sophomore
    Three Little Birds
    Freeman Rown
    2nd Hand Rose
    Everything Is Possible
    Freelove
    Maastricht
    She's So Groovy
photos du concert
    Du même artiste