Nous sommes en 2012 et Oasis n’est plus. Voici plus de trois ans que les fiers représentants de l’Angleterre post-Thatcherienne ont jeté l’éponge, laissant derrière eux un vide qui semble difficile à combler. Qui pour reprendre le flambeau de porte-parole de la classe populaire ; celle qui hante les pubs vêtue de Fred Perry, un tatouage des Beatles sur le bras, et un autre de leur club de foot préféré sur le cœur ? Il faudrait quelqu’un capable d’allier autant de gouaille que de romantisme, quelqu’un plein d’enthousiasme teenage et de cynisme mature. Quelqu’un comme Jake Bugg.

Sorti de nulle part l’année dernière,
Jake Bugg a accompli en un an ce que d’autres attendent pendant des années : il est joué en boucle sur les radios de la BBC et a signé un contrat avec Mercury. Noel Gallagher, qui aime jouer les découvreurs de talents, ne s’y est pas trompé en le prenant en première partie de sa tournée, et ce soir c’est le public français qui va le découvrir. Passée la surprise initiale de voir un garçon si jeune monter sur scène (il a dix-huit ans, mais on lui en donnerait facilement quinze), le public lyonnais se révèle réceptif, et ses deux premiers morceaux
Railroad et
Two Fingers sont bien accueillis. Pendant
Seen It All, on observe même quelques personnes se mettre à sauter dans les premiers rangs. Quand on sait à quel point les fans d’Oasis sont difficiles, cela est assez remarquable.
C’est vraiment lors du morceau
From You que Jake Bugg va faire grande impression, en jouant un magnifique solo sur sa guitare électrique, très applaudi. Après cela, il va montrer qu’il a autant de talent en picking qu’en jeu rythmique sur le
Someone Told Me, une ballade très émouvante. Jake présente les chansons de manière appliquée, mais sans esbroufe, dans un style pour le coup assez gallagherien. Une partie du public va accueillir de manière très enthousiaste
Trouble Town et
Taste It, preuve que certains n’ont pas attendu cette tournée pour écouter les morceaux sur Internet. Le set se termine avec
Lightning Bolt, sous des applaudissements fournis, et lui et ses deux musiciens (un bassiste et un batteur) vont s’éclipser le sourire aux lèvres. Le rendez-vous est d’ores et déjà pris le 28 novembre à la Flèche d’Or pour les Parisiens, en attendant une sortie française officielle de son premier album.
Quelques minutes et un DJ set de Phil Smith (ex-roadie des Stone Roses reconverti en ami-des-Gallagher professionnel) plus tard, le remix d'If I Had A Gun par Amorphous Androgynous retentit, signal de départ du set des High Flying Birds. Le public, chauffé à bloc, se met à scander le nom de Noel avant même qu’il n'entre sur scène. Il arrive sous les hourras et joue immédiatement
It’s Good To Be Free, une b-side d’Oasis datant de quinze ans, capable de déclencher l’hystérie aussi bien que n’importe quel single vintage, une mise en bouche avant d’attaquer les morceaux solo. Tout d’abord
Everybody’s On The Run, qui, malheureusement, se voit remplacer sa superbe section de cordes par un solo au clavier un peu poussif, mais montre par ailleurs que Noel n’a jamais été aussi en forme vocalement. La suite du concert va consister des morceaux de l’album solo joués dans le même ordre que sur le disque, entrecoupés par de petites pépites, comme ce
Supersonic en acoustique guitare-piano, ou encore
Talk Tonight que Noel va dédier à une fan venue de Corée du Sud au premier rang. Car Noel communique beaucoup avec les spectateurs. Il adopte la technique des comiques de stand-up, laquelle consiste à répondre à chaque invective par un trait d’esprit, loin de la démagogie habituelle des rockstars vieillissantes. On est loin des « Vous êtes le meilleur public que j’aie jamais eu ! », c’est à peine s’il se souvient de la ville où il se trouve. Même s’il écoute attentivement les titres des chansons que les gens lui réclament, il ne déviera pas d’un pouce de la setlist prévue.

À noter ce soir la présence d'un morceau inédit
Freaky Teeth, auquel les fans sont désormais habitués, et
D’yer Wanna Be A Spaceman, encore l’une de ces b-sides légendaires dont seul Noel a le secret. C’est pendant les chansons figurant sur la deuxième moitié de son album solo que l’on remarque véritablement les musiciens qui accompagnent le mancunien. Le batteur Jeremy Stacey s’avère particulièrement efficace durant
Record Machine, tandis que le guitariste Tim Smith fait montre de sa virtuosité. Au morceau suivant, c’est au tour du claviériste Mike Rowe de briller, pour un
AKA... What A Life! aux accents Charlatan-esques plus qu’assumés.
Leur jeu gagne en intensité au fil des morceaux, de
Soldier Boys à
Broken Arrow, puis survient le sublime
Half The World Away, encore une b-side adorée par les fans, qui ne se privent pas de lui faire savoir. Après tout ce crescendo, le dernier morceau
Stranded On The Wrong Beach tombe un peu à plat, malheureusement. Mais c’est sans compter sur un rappel fourni, qui débute sur un autre nouveau morceau,
Let The Lord Shine A Light On Me, une ballade épique, suivi d'un grand classique d’Oasis,
Whatever, que l’on ne présente plus. Cependant on note que l’absence de cordes se fait cruellement sentir sur ce morceau, comme au début pour
Everybody’s On The Run. Après cela, Noel choisit de jouer
Little By Little, ancien morceau sorti sur l’album de 2002
Heathen Chemistry, autant dire le pire de sa discographie, mais pourtant accueilli très chaleureusement par les lyonnais, qui le reprennent en chœur à gorge déployée.
Pour finir la soirée, tradition oblige, vient l’inusable
Don’t Look Back In Anger, qu’il est désormais impossible de dissocier d’une setlist de Noel Gallagher tant l’attachement du public y est fort. Dans les premiers rangs, quelques adolescentes en fleur, qui étaient trop jeunes pour avoir vu Oasis il y a quelques années, se mettent à pleurer à chaudes larmes : la première fois que l’on entend des centaines de personnes reprenant le fameux « Soooooo Sally can wait... » est toujours émouvante. Sur un coin d’ampli, repose le trophée que Noel a reçu pour l’ensemble de sa carrière aux NME Awards, au titre de « Godlike Genius ». De toute évidence, le renouvellement des générations au sein des fans de Noel Gallagher est assuré, et la relève également, avec le talentueux Jake Bugg. Le patriarche peut dormir en paix, son héritage est entre de bonnes mains.