Depuis trois ans, à l'occasion du Record Store Day (Disquaire Day en français), Rough Trade traverse la Manche et prend ses quartiers chez Agnès B. L'institution londonienne a ce coup-ci pris dans ses valises quatre représentants récents du label Heavenly Recordings (qui a débuté en 1990 et compte, ou a compté, dans ses rangs Manic Street Preachers, Edwyn Collins ou encore The Magic Numbers) qui ont ainsi pu se produire en showcases répartis sur deux jours chez la créatrice de mode (dont une puissante prestation de TOY ayant quelque peu effrayé la clientèle) avant de jouer tous ensemble à la Maroquinerie en ce samedi 20 avril.

Les premiers à monter sur scène sur les coups de 20h40 sont
Charlie Boyer & The Voyeurs, formation londonienne s'apprêtant à sortir son premier album
Clarietta le 27 mai prochain. Repérés lors d'une première partie de TOY (le monde est petit), le label n'a pas tardé à leur proposer de rejoindre ses rangs et d'entrer en studio. Charlie Boyer et ses quatre musiciens font dans le rock psychédélique largement influencé par leurs aînés new-yorkais The Velvet Underground ou encore Television. La voix de Charlie est un peu nasillarde avec de nombreux d'effets. Soutenue par l'orgue Korg, elle nous replonge en pleine période 70s et ferait même pencher un peu la balance du côté du glam-rock. Les titres sont simples et efficaces, du genre à faire taper du pied et dodeliner de la tête. Sur la b-side
Be Nice, le public trompé par la fausse fin du morceau qui repart pour un ultime couplet, applaudit un peu trop tôt, ce qui fera sourire Charlie. Concentrés, la tête baissée sur leurs instruments, les cheveux dans les yeux, ils semblent un peu intimidés et communiquent au minimum avec l'assistance mais réalisent cependant une bonne prestation.
Sans être une resucée du passé, la musique de Charlie Boyer nous fait faire un bond dans le temps. Pour comparer avec des références actuelles, ce dernier pourrait très bien être le cousin des américains de Of Montreal, le côté excentrique en moins. A la fin du concert, Charlie complétement raccord avec les paroles de
I Watch You quitte la scène en jetant un baiser en direction du public. Une courte demi-heure qui aura suffi à convaincre et donner envie de recroiser leur route.

Vient ensuite le quatuor
Temples. La masse capillaire de ces quatre garçons dans le vent est plutôt imposante. Ils sont appliqués et emplissent nos oreilles de sonorités là encore familières de tout amateur des années 60s et 70s. L'introduction de
Shelter Song ravive dans nos mémoires la période katmandou de leurs (grands) parents The Beatles. Le tout est très mélodieux, beau à entendre. L'orgue est bien mis en avant, les guitares apportent une touche vintage, la batterie rythme le tout avec délicatesse. Comme le dit le chanteur James Bagshaw en début de set "let's party, it's saturday" mais on ne peut pas dire que ce qu'ils nous donnent à écouter soit le mieux adapté à la fête comme on pourrait se la représenter. Le revival rétro bat son plein, les titres s'enchainent mais le tout est trop propre, trop carré. Ces jeunes gens sont photogéniques et ont plutôt des gueules qui passent bien mais leur charme froid ne parvient pas pour le coup à s'emparer de moi. Malgré des singles de plutôt bonne facture, leur concert me laisse un peu sur le bas côté. Cela est bien dommage mais je ne désespère de changer d'avis une prochaine fois.

Le temps de se ravitailler le gosier suite à l'augmentation de la température dans la salle et les trois jeunes filles de
Stealing Sheep prennent place derrière leurs instruments. Des paillettes et même quelques faux diamants autour des yeux viennent décorer leurs visages. Elles chantent le plus souvent toutes les trois ensembles tels des troubadours arpentant d'étroites ruelles d'une ville moyenâgeuse. Les voix sont accompagnées d'une guitare, d'un clavier et d'un tambour. Elles se dandinent gentiment et en cadence. Ces "CocoRosie hallucinogènes" sont plutôt agréables à regarder mais la magie n'opère pas. Ce folk lo-fi dispensé par ces sirènes tente pourtant de me prendre dans ses filets mais les mailles sont trop grosses et je passe au travers. On ne peut pas dire que les demoiselles ne mettent du cœur à l'ouvrage. L'une d'elles agite ses bracelets pour rythmer métalliquement l'un des morceaux. Une partie du public se laisse cependant envoûter mais l'ennui finit par me gagner. Tout cela est à la fois fade et trop sucré, en résumé une musique sans faveur et pas vraiment digeste. Les écossais de Haight-Ashbury sont bien plus passionnants dans le même registre.

Le plat de résistance nous sera enfin servi bien après 23h00. Les cinq londoniens s'emparent de la scène : le mur du son peut agir. Le rouleau-compresseur fait son effet et fait plier les plus sceptiques. Pas la peine d'expliquer le mode d'emploi de la réverb' à ses lascars se cachant derrière leurs rideaux capillaires comme pour ne pas se faire engueuler, si on les recroisait plus tard dans la rue, d'avoir poussé le volume au maximum. Ces équipées sauvages permettent aux guitares de cracher tout ce qu'elles ont dans le ventre, et elles en ont. Les jeunes gens savent occuper l'espace et s'avancer au combat pour mieux frotter leurs armes de destruction massive de tympans.
Mais il ne faut pas se méprendre à croire que TOY ne serait qu'un groupe qui fait du bruit car cela n'est pas le cas. Les mélodies sont là et bien là. La voix de Tom Dougall sait se faire presque susurrante au milieu de la tempête comme noyée sous un flot de décibels mais toujours vaillante. Les interactions avec les spectateurs sont réduites au strict minimum mais cela est plutôt inhérent à leur style musical. Leur krautrock psychédélique qui tire un brin vers le post-punk ne tarde pas à trouver les faveurs du public qui organise les premiers pogos. Ce qui lui offre enfin une occasion de se lancer totalement emporter par l'important vrombissement de leurs jouets.
Le concert s'achève comme traditionnellement sur leur hymne long de dix bonnes minutes
Kopter. Les mesures répétitives de la basse en début de morceau nous happent puis le son se met à tournoyer et à nous envelopper. Impossible d'échapper à l'aspiration des déflagrations, c'est comme nous étions prisonniers d'un manège à chevaux de bois qui se mettrait à accélérer encore et encore. Faisant ainsi défiler les images de plus en plus vite et nous donnant l'impression d'être comme ivre, complétement désemparé et sans repères. La musique de TOY est jubilatoire, spectaculaire, exutoire. Elle ne se raconte pas, elle se vit et on ne peut que conseiller de s'y frotter et d'y être confronté. Quarante courtes minutes plus tard, le silence revient. Les amplis peuvent maintenant reposer en paix, TOY ont quitté la pièce. Il est temps de reprendre ses esprits et de gagner le chemin de la sortie.
Heavenly Recordings nous a ainsi présenté quelques uns de ses artistes au cours de cette soirée qui avait plutôt bien débuté avant de connaître un petit coup de mou puis de s'achever par un final explosif à tous points de vue. Le sonomètre a même du se faire quelques frayeurs.