Suite des agapes du Festival les inRocKs Philips en ce samedi soir à la Cigale de Paris pour l'affiche sans doute la plus éclectique de celles proposées par le magazine, même si une certaine cohérence se dégagera au final de cette soirée, bien plus calme que celles des autres soirs boulevard de Rochechouart.

Plus calme mais pas nécessairement moins remplie puisque la salle affiche complet et quelques centaines de spectateurs sont déjà présents pour découvrir
Feu! Chatterton, vainqueurs du prix inRocKslab. La formation parisienne joue donc à domicile et impose sans efforts son rock élégant, parfait pour entrer tranquillement dans le bain. Déjà remarqués à Rock en Seine dans des conditions moins favorables à leur poésie sombre (concert en plein après-midi, scène trop grande pour eux), ils font ici merveille par l'indéniable maitrise de leurs univers singulier. Si certaines façons d'introduire les morceaux ont de quoi surprendre voire irriter – une poésie contestable pour rendre hommage au Concordia via Côte Concorde – Feu! Chatterton proposent une prestation complète en seulement vingt-cinq minutes : la guitare et la basse créent des ambiances oniriques, les textes accrochent l'oreille et le chanteur dandy intrigue, au pire. La mélodie funky de
La Malinche pourrait bien être leur passeport vers une plus large reconnaissance.

Rien ne nous prépare pourtant pour la claque qui va suivre. Une longue introduction dans le noir et soudain une voix angélique et enfumée s'envole sur des glissandos de guitares : c'est le moment qu'ont choisi
The Acid pour hypnotiser la Cigale. Malgré la dégaine improbable et plus-hipster-tu-meurs (grosse casquette, grosse barbe, gros bombers vert...) de son frontman Ry X, le mystérieux trio capte rapidement toute notre attention. Rehaussée de la présence d'un percussionniste sur scène, la formation réussit cet alliage si rare de force électronique et de fragilité vocale. Si beaucoup s'y essaient ces temps-ci, peu réussissent à transcender la formule. Ici c'est le cas, d'abord parce qu'il y a de sacrées chansons comme
Ghost provoquant les timides premiers pas de danse dans le public. Plongés dans la pénombre la plupart du temps, The Acid triturent synthés et machines et entrent petit à petit dans une transe communicative. Sans en faire trop dans les montées rythmiques ni dans les modulations sonores, ils arrivent à évoquer des paysages rêveurs, tour à tour angoissants ou bucoliques. En arrière-plan, un écran suggère des ciels étoilés, des planètes inconnues, à conquérir. En attendant de partir dans l'espace, nous avons voyagé intérieurement durant trente-cinq minutes avec Ry X et ses spationautes.

On redescend ensuite sur Terre avec l'arrivée de
Nick Mulvey. La terre ferme, serait-on tenté de dire, avec ce folk bien installé dans ses racines rurales. Un violoncelle se fait entendre et introduit dans la douceur le set de l'anglais avant des arpèges inévitables qui annoncent le premier morceau,
House Of Saint Give Me. Piano, contrebasse, batterie, guitare acoustique : l'instrumentation est riche, le son organique est chaleureux mais on ne peut s'empêcher de penser que l'ensemble manque cruellement de saveur. Les chansons s'enchaînent, l'intensité reste à la porte.
Dans les meilleurs moments, on pense à José Gonzalez voire à certaines envolées de Jeff Buckley, dans les pires c'est plutôt le folk rock FM à la Jack Johnson qui pointe son sale nez. Heureusement, une certaine retenue mélodique et la belle voix de Mulvey empêchent le concert de tomber dans la facilité. Le rythmé
Juramidam récolte les hourras de la foule avant que la suite ne nous rendorme quelque peu. Le musicien a une façon de caresser ou de frapper les cordes de sa guitare bien à lui : peut-être est-ce du à ses origines latines, il fait dans ces moments-là penser à un guitariste de flamenco. Hormis les présentations et remerciements d'usage, il s'en tiendra à une communication assez réduite sur scène, préférant sans doute ses chansons parler pour lui. Il prendra quand même le temps de communiquer sa prochaine date à la Maroquinerie. Vient alors le moment d'entonner
Curucucu, jolie ballade mid-tempo aux influences sud-américaines qui fait son petit effet sur le public de la Cigale et de prendre congés de ce même public, le pouce levé vers lui.

Une foule compacte attend désormais de pied ferme
Asgeir et au « cri-omètre », quand les lumières s'éteignent, l'Islandais est grand vainqueur. Déjà remarqué au festival We Love Green cette année, il affiche une maturité impressionnante pour ses vingt-et-un ans. Très riche en artistes de qualité durant les années 90, la source islandaise s'était quelque peu tarie ces derniers temps. Asgeir vient donc prendre la relève de ses glorieux anciens avec une tranquillité et une facilité qui forcent le respect. Sa voix joue à fond la carte de l'émotion et même quand il chante dans sa langue natale, son expressivité vocale nous transmet sa sensibilité à fleur de peau. On voudrait presque que la Cigale se rétrécisse et s'emplisse de matelas pour déguster sa musique en position horizontale. C'est aussi le problème : programmer deux artistes au répertoire très calme dans le cadre de ce qui reste un festival n'est pas sans provoquer quelques moments de léger ennui. Peut-être aurait-il fallu intercaler The Acid entre les deux ? Ce serait toutefois mésestimer la qualité du concert de Asgeir qui réserve quelques moments de haute volée. On retiendra l'ampleur de
King And Cross ou la beauté de
Torrent qui cache une vraie fêlure sous sa douceur supposée. Même les plus sceptiques (dont votre serviteur) sont conquis.

A ces hauteurs de la soirée, on peut dire qu'on a vécu de beaux moments mais pas vraiment qu'on s'est amusés. Et c'est samedi soir, après tout. Heureusement, on peut toujours compter sur
Baxter Dury pour faire le show. Dans son classique costume gris, l'anglais arrive sur scène avec sa nonchalance naturelle. Toujours à mi-chemin entre le branleur de génie et le businessman aux dents longues, il harangue la foule pendant
Isabel : « C'mon young people ! ». A peine concurrencé par ses deux choristes/musiciennes dont l'une porte un masque de chat du plus bel effet, Baxter se balade, boit sa bouteille de whisky au goulot et jette une poupée gonflable dans le public. Des facéties qui feraient presque oublier que le monsieur sait écrire de grandes chansons comme
Claire.
Après nous avoir montré son cygne géant (une espèce d'horreur gonflable suspendue au plafond de la Cigale, en référence à la pochette de son dernier album), le crooner déjanté lance un
Leak At The Disco toujours aussi émouvant. Parfois, on aimerait presque qu'il se taise avant les morceaux ou quand il fait l'idiot pendant pour apprécier à sa juste valeur la musique mais après tout, c'est aussi le personnage Baxter Dury qu'on aime. Jamais lisse, un brin provocateur, il n'est pas le fils de son père pour rien.
Hormis quelques moments un peu plus mous en milieu de concert, on ne verra pas passer ces cinquante-cinq minutes en compagnie d'un drôle de gus, précieux en ce temps de grise mine généralisée.