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Gengahr

Paris, Flèche d'Or - 5 mars 2015

Live-report par Xavier Turlot

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La Flèche d'or a fait salle comble jeudi dernier à l'occasion d'une nouvelle [PIAS] Nites, le rendez-vous très couru des amateurs de pop, organisé par le label belge du même nom.

Chose peu commune, la salle du vingtième arrondissement est déjà noire de monde à 20 heures pétantes pour accueillir le projet solo de Bert Ostyn, un chanteur originaire de Gand. Très à l'aise sur scène, il installe vite une ambiance à mi-chemin entre électro-rock et pop psychédélique, aidé de sa voix qu'il laisse planer sur ses discrètes notes de basse.

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Le groupe flamand commence avec des morceaux très pop et très faciles d'accès qui peuvent nous laisser redouter un formatage abusif, avec des schémas simples et une voix sans grande originalité; pourtant le concert prend vite une tournure incongrue. Les structures et les sons employés se font de moins en moins prévisibles et passe-partout, à l'image de la lancinante Libertine ou de la new wave The Imposter, tirées de son disque No South Of The South Pole. Le synthé ronfle, la guitare électrique tache, les développements nous perdent... Et puis Bert Ostyn sait se mettre un public dans la poche, à grands renforts d'amples gestuelles et de remerciements généreux ; on sent qu'il veut être là. La dernière chanson, très accrocheuse, reçoit un tonnerre d'applaudissements mérités, et le groupe peut repartir suant et content d'avoir ouvert la soirée de manière inhabituellement musclée.

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La salle arrive encore à accueillir un peu plus de monde et donne au mot « complet » tout son sens, il devient même hasardeux d'accéder à la terrasse de la salle pendant l'interminable changement de plateau. Arrive enfin sur scène le jeune quatuor londonien Gengahr, qui ne nous a pas encore fait l'honneur d'un album mais a su se faire remarquer avec une suite de très beaux singles. Le chanteur aux allures de beau gosse de la RAF attaque le set en posant sa voix de falsetto sur une pop aérienne, rythmée et peu avare en effets. Le guitariste donne une dimension nettement supérieure aux versions studio des morceaux, avec des envolées puissantes et précises, jonglant entre rythmiques et mélodies avec aisance et assurance. C'est clairement le membre du groupe qui se démarque le plus, alors que le chanteur peine à donner corps à sa voix fluette. C'est dommage car si cette façon de chanter ne pose aucun problème sur disque grâce au copieux travail de post-production, sur scène le manque de coffre tourne vite au handicap, surtout que le guitariste n'a pas le temps ou l'attention nécessaire pour le soutenir.

Le groupe, accueilli déjà bien timidement, ne reçoit pas la moindre preuve d'enthousiasme à l'arrivée de leurs morceaux déjà parus sur le web. Le public est donc venu pour Curtis Harding... Que ce soit She's A Witch, poétique et délicate, Bathed In Light, si évidente et bien construite, ou encore la sublime Fill My Gum With Guns qui n'a rien à envier aux meilleurs groupes de la côte ouest, aucune ne remporte une franche approbation. Est-ce la voix très monotone ou la distance que le groupe garde avec le public ? Cela reste très dommage car Gengahr se donnent corps et âme et méritent toute notre attention. Tout est là pour au moins procurer un plaisir sincère : une basse aux harmonies travaillées, une guitare qui oscille entre tradition et audace, toute gorgée d'une flopée d'effets en tout genre sans perdre en clarté, ou encore une batterie généreusement syncopée qui sait ne pas fatiguer l'oreille et brouiller la lecture. Oui, tout était là hormis la puissance vocale, et c'est sans doute la froideur de leur attitude qui explique pourquoi ce groupe méconnu n'a pas encore récolté l'engouement que leur talent mérite.

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Le dernier groupe de la soirée est celui qui accompagne l'américain Curtis Harding, chanteur de soul venu du Michigan et qui a sorti il y a peu son premier album, Soul power. La notoriété numérique de l'artiste tranche avec le quasi délire qui accompagne son entrée. Vêtu à l'ancienne, gilet fluo, chaussettes blanches et mocassins, Harding porte aussi des lunettes de soleil et affiche une décontraction à la limite du jeu d'acteur. Chauffeur de salle né, il harangue le public et débute le set qui sera un pot-pourri de soul, de blues et rock, le tout s'étant esthétiquement bloqué au début des années 1970. La voix est remarquable, et ce dans des registres assez variés. Aussi habile dans la puissance que dans la suavité, Curtis Harding se faufile entre les ambiances sans sembler se donner le moindre mal. A la fin de la première chanson il demande à l'ingénieur du son de monter son chant, ce qui aurait effectivement été une bonne idée si sa guitare n'avait pas été montée dans les mêmes proportions et mise à complètement recouvrir celle de son accompagnateur en charge des voix mélodiques et des solos. Même la trompette aura longtemps du mal à ressurgir dans cette erreur d'appréciation.

Tant pis, les chansons sont bonnes : Freedom et sa guitare délicate, I Don't Wanna Go Home et sa couleur british pop des années 1960... L'élocution du chanteur ne lasse pas, c'est propre, aisé et voluptueux. Les musiciens ne sont pas non plus en reste et nous arrosent de lignes de basses aussi stylées qu'éculées, de riffs aussi efficaces qu'immémoriaux. La chaleur suffocante et l'étroitesse de la salle renforcent l'expérience qui se veut passéiste, donnant un grain faussement brouillon et confus à cette prestation longuement travaillée. Il y a de la sueur et de la vie dans ce concert où le groupe va aussi loin qu'il faut aller. Les tubes Keep On Shining et Castaway remportent la gloire espérée, et le rappel sera épique : trois chansons interminables, coulées de solos en tous genres, une performance qui prend l'allure d'un vaste jam sauvage de clôture et un leader qui ne faiblit pas...

Les enceintes fumantes et le public abreuvé jusqu'à la lie marquent la fin d'un show épique vécu dans son âme et dans sa chair.