Jarvis Cocker
Lisa Hannigan

Pour cette première soirée officielle, le festival Days Off nous transporte à nouveau à la Philharmonie de Paris suite à la séance d'échauffement avec The Smile début juin. Et afin de perpétuer la tradition des invités de prestige, le festival débute avec le charismatique Jarvis Cocker, qui vient mettre en scène l'album créé pour le film de Wes Anderson, The French Dispatch.

La star de ce soir est Tip-Top, chanteur issu du film déjanté d'Anderson sorti l'an dernier, lequel reprend quelques standards yéyé issus de notre beau patrimoine musical. L'imagerie fantasque et doucement surannée de l'univers de Wes Anderson trouve dans le personnage de Jarvis Cocker l'interprète parfait de ces titres qui sentent la Gitane, le vieux cuir des 2 Chevaux et sont baignés de la fausse candeur des baby-boomers élevés dans cette société gaulliste qu'ont bien connus nos aïeux. Dans la grande salle Pierre Boulez, Jarvis Cocker présentera au public l'intégralité de l'album Chansons d'Ennui Tip-Top, accompagné par les membres de son projet JARV IS... et épaulé par une section de cordes venant embellir les réinterprétations.


En amont, place à Lisa Hannigan, chanteuse folk Irlandaise que certains d'entre nous connaîssent de ces anciennes collaborations avec Damien Rice et également à l'occasion de premières parties de The Divine Comedy. Toujours discrète en France, c'est avec une grande joie que nous saisissons l'opportunité de voir la musicienne sur scène tant ses titres folk très doux et poétiques nous charment. Toujours d'une grande sobriété, armée seulement de sa guitare face à un parterre encore clairsemé au début du set, elle mène cette petite demi-heure vaillamment et enchaîne une série de morceaux fortement teintés de mélancholie tout comme d'un petit air iodé issu de la fertile contrée irlandaise. La voix de Lisa Hannigan répond au standard des grandes chanteuses folk dotées d'un timbre puissant mais toujours mesuré pour apporter une profondeur toute en subtilité aux textes souvent sombres. Heureuse de trouver un auditoire absorbé par ses compositions et son jeu de guitare, Lisa Hannigan remerciera chaleureusement le public qui lui rendra la pareille avec une belle salve d'applaudissements.

Une petite demi-heure d'entracte et dans la quasi-pénombre entrent sur scène JARV IS... et son interprète, magnifiquement tiré à quatre épingles, tout de noir vêtu avec ce « je ne sais quoi » de négligé qui symbolise le leader de Pulp depuis toutes ces années. L'homme n'a plus grand-chose à prouver quant à son talent pour composer le meilleur d'une pop raffinée, malicieuse et délicieusement vintage, quelle que soit la formation avec laquelle il se présente. Ce soir, le dandy anglais parlera en français, et ce tout au long du récital, à grand renfort de notes que son fils lui a soufflées nous confie-t-il. Un bel honneur sachant que la langue de Molière n'est guère maitrisée chez nos chanteurs britanniques préférés.
Ainsi, Jarvis Cocker rappelle à son public que Tip-Top est un chanteur fictif prenant place dans l'imaginaire de Wes Anderson, mais que lui-même a été un grand amateur de pop française qu'il écoutait à la sortie de l'école. Ainsi, le choix est d'autant plus pertinent qu'à l'instar des artistes dont il reprend les titres, il bénéficie d'une forte dose d'élégance naturelle et de charisme scénique pour ne pas simplement singer ces standards de notre patrimoine yéyé.


À la suite de quelques bugs techniques qui lui permettent de présenter immédiatement son groupe et d'introduire le contexte du concert de ce soir, Chanson d'Ennui Tip-Top est déroulé selon le tracklisting du disque. L'orchestration et l'acoustique parfaite de la salle de la Philharmonie rendent réellement hommage aux morceaux que Jarvis Cocker fait vivre de tout son corps sur scène, avec ses dandinements et autres mouvements aléatoires de bras qui font son succès. Parsemant le set de ses petits commentaires sur les titres et leurs interprètes originaux, on sent que le musicien aime à garder le contact avec les spectateurs, comme pour oublier la distance physique qui l'en sépare ce soir.
L'album fait encore débat parmi la communauté de fans de Jarvis Cocker, plus ou moins conquis par cette escapade francophone d'un autre temps, preuve en est des rangs souvent clairsemés dans la salle. Cependant, la joie de pouvoir donner vie à ce qui ne devait figurer que sur une bande originale de film rend le jeu de scène de Jarvis Cocker particulièrement convaincant, malgré une prononciation française encore hésitante mais qui n'enlève rien au charme du tout. Certains titres du disque manquent en effet un peu de dynamisme, même portés par les violons et les harpes, mais cela est vite oublié quand sont interprétés les grands classiques que sont Requiem Pour Un Con, Mon Amie La Rose, Paroles, Paroles en présence de Laetitia Sadier et Aline, ce dernier remportant tous les suffrages.


Mais le spectacle ne s'arrête pas là, et JARV IS... prend ainsi place pour interpréter cinq titres, avec en prime un inédit appelé Proceed To The Route, petite comptine mécanique inspirée d'une des phrases récurrentes qu'on entend dans les GPS britanniques lors de voyages en voitures ennuyeux, à la différence du morceau plutôt rigolo et dynamique. Puis, à grand renfort de cris, tout comme le suggérait le regretté Christophe, on a crié, crié pour qu'ils reviennent et c'est avec beaucoup de plaisir que Jarvis Cocker et son groupe sont venus nous proposer en extra une nouvelle interprétation d'Aline, parvenant à faire se lever les plus audacieux des spectateurs du parterre, se rapprochant ainsi du maitre de cérémonie dont on sent que plus ses fans sont proches, plus il en devient expressif dans son jeu de scène.

Les soirées à la Philharmonie sont toujours l'occasion de sortir de nos salles de concerts habituelles un genre musical qui dévoile alors toute l'étendue de ses capacités. L'exercice des interprétations symphoniques n'est pas systématiquement aisé. Ici, en jouant avec un répertoire déjà remis au goût du jour dans Chansons d'ennui Tip-Top, Jarvis Cocker et ses musiciens nous ont offert une occasion unique de (re)découvrir tout un pan de notre culture musicale, le tout avec ce dandysme typique de nos voisins britanniques qui nous éblouit toujours tant, nous les petits français.

Crédit photographies : Joachim Bertrand / Philharmonie de Paris