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Jarvis Cocker

Interview publiée par Anne-Line le 25 juin 2009

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Qui est Jarvis Cocker? Alors que l’on pensait tout connaître de lui, l’ex-leader de Pulp, issu de l’Angleterre provinciale, qui après le succès fulgurant des années 90 est venu s’installer à Paris, nous livre un deuxième album solo, Further Complications., qui remet les pendules à l’heure : oui, Jarvis Cocker est un rocker. Sound Of Violence, fort de ce constat, est allé le rencontrer pour évoquer avec lui la naissance de cet album...

Ton nouvel album s’appelle Further Complications. [D’autres complications], cela a-t-il un sens particulier ?

Tout d’abord, j’aime sa sonorité. C’est plutôt un terme hospitalier d’habitude. Quelqu’un se fait admettre pour soigner un ongle incarné, et puis on lui dit « Il y a eu d’autres complications… » et on lui ampute la jambe. Je ne voulais pas d’un titre lourd de sens, je voulais un titre ironique. Quand on est jeune, on croit que plus tard on arrivera à un âge où on aura compris le sens de la vie, mais en fait, ça n’arrive jamais. Tout ne fait que devenir de plus en plus compliqué. Et c’est pour tout le monde pareil, donc ce n’est pas la peine de s’apitoyer. C’est une expression que j’aime beaucoup. Et puis c’était mon deuxième album solo, donc je suis en train d’ajouter « d’autres complications ». Faire un album, ce n’est pas forcément un problème, c’est juste que la relation qu’on a avec le monde et avec les gens ne cesse de devenir plus complexe avec le temps. Quand on arrive à mon âge, on a une certaine pratique. Le rock est fait pour être joué par des jeunes, c’est l’excitation de découvrir la vie. Et j’espère pouvoir découvrir encore des choses nouvelles, sans pour autant ignorer le fait que j’ai déjà des kilomètres au compteur. Je ne peux pas faire croire que j’ai vingt ans et que je découvre le sexe pour la première fois. Il faut parler de comment les choses évoluent quand on vieillit. La plupart du temps, on se dit qu’on connaît la vie, parce qu’on a tenté des choses et que ça s’est passé d’une certaine manière, et on pense que ça se passera toujours de la même manière. Alors que ce n’est pas forcément vrai.

Par rapport à ton premier album solo, celui-ci a l’air beaucoup plus spontané. On dirait qu’il y a eu pas mal d’improvisation...

Oui, il y en a eu beaucoup. Mon premier album a été écrit sur une période de quatre ou cinq ans, quand je suis arrivé à Paris. Puis j’ai fait une tournée avec cet album, et j’ai beaucoup aimé la relation que j’avais avec mon groupe. Donc j’ai pensé que ce serait beaucoup plus rapide, et surtout plus amusant, de les inclure dans le processus d’écriture. J’arrivais avec des idées, qui pouvaient parfois être des idées assez vagues, juste un ou deux accords, et c’était très intéressant de voir ce qu’ils en faisaient. On a fait quatre ou cinq répétitions comme ça, j’enregistrais les bandes, je les apportais chez moi, je choisissais les morceaux qui me plaisaient, et j’essayais d’en faire des chansons entières. Alors oui, ça a été très spontané comme façon de faire. J’aime mon premier album, mais lorsque l’on travaille avec d’autres personnes, on a cet élément de surprise. Les idées peuvent partir dans des directions inattendues.

C’était quelque chose qui te manquait, d’avoir un groupe ?

Je suppose que oui... (Il réfléchit). C’est l’essence-même de la vie, n’est-ce pas ? L’interaction. La civilisation ne peut pas être produite par une seule personne. C’est ça la civilisation : on ne peut pas dire précisément qui a fait quoi. Les gens cohabitent et doivent se respecter. C’est ça qui crée le monde, et on ne peut pas dire que c’est telle ou telle personne qui l’a créé. J’aime penser comme ça.

Steve Albini a produit l’album. Comment s’est passée cette collaboration ?

C’est arrivé pratiquement par accident. On a joué dans un festival à Chicago, et c’est là qu’il a son studio. Quelqu’un de mon groupe a suggéré qu’on aille le voir parce qu’on avait des choses à enregistrer. J’ai accepté parce qu’ils en savent beaucoup plus que moi pour ce qui est des choses techniques. Alors on est allé enregistrer deux-trois trucs chez lui, et j’ai beaucoup aimé sa façon de travailler, j’ai aimé son approche décontractée, j’ai aimé sa façon de porter des salopettes, sa façon de jouer aux cartes… C’est quelqu’un de très intelligent, il a fait des études de journalisme. C’est un bon écrivain, il a écrit plein de très bons articles. C’était très intéressant d’être en studio avec lui. Tu sais, la plupart du temps, être en studio ça peut être très ennuyeux. Avec lui ça ne l’était pas.

Tu n’es pas trop branché question matos ?

Tout ce côté ne m’intéresse pas trop. Je veux dire, j’ai des guitares et tout ça, et je sais quand certaines choses sonnent mieux que d’autres. Mais je crois que les chansons viennent des gens, elles ne viennent pas des instruments. Bien sûr les instruments aident pas mal, mais ce ne sont pas eux qui écrivent. J’ai une certaine dose de geekisme en moi, mais pas tant que ça.

Vous avez dû vous amuser à faire cet album...

Oui, on ne s’est pas pris la tête! Un truc important, c’est qu’on a joué ces chansons en live avant de les enregistrer, devant un public. Alors ce n’est pas comme si on avait écrit ces chansons seulement pour faire un album. Ces chansons étaient déjà écrites, elles étaient déjà venues au monde. On a enregistré l’album juste pour avoir une trace de ces chansons. On voit toujours l’album comme étant l’achèvement suprême en matière de musique : « Quand va sortir votre prochain album ? ». Il paraît que plus personne n’achète d’albums maintenant, on n’y accorde plus autant d’importance. Alors j’ai pensé que jouer des chansons devant des gens, c’était le plus important. C’est ce qui a donné naissance au projet de la Galerie Chappe.

J’allais justement te demander comment s’était passée l’organisation de ce projet…

On a pensé, au lieu de simplement présenter un album aux gens, qu'on pourrait leur dire « Nous serons dans une galerie pendant une semaine, alors venez nous voir !». On savait qu’on devait répéter de toute manière, alors on a invité les gens à venir voir le processus. Il était aussi très important que les gens puissent participer. Il y avait des heures dans la journée où tout le monde pouvait apporter des instruments et jouer. Et il y avait d’autres moments où on jouait la musique de fond pour des cours de fitness, ce genre de choses. Il y avait différentes manières de faire participer le public. Il n’était pas là juste pour regarder. J’étais allé auparavant dans cette galerie et j’avais beaucoup aimé. J’aimais son emplacement, j’aimais ce qu’ils faisaient. J’ai pensé qu’on pouvait faire des choses très intéressantes dedans. J’étais assez nerveux une semaine avant. Le jour précédent l’ouverture, quand on a tout installé, j’avais peur que tout l’équipement ne rentre pas ! Tout était entassé. Et j’avais peur que personne ne vienne. Mais en fin de compte, tout s’est bien passé. Tout s’est bien déroulé, de façon naturelle. Le premier jour, il n’y avait pas grand monde, mais ils en ont parlé autour d’eux, et d’autres gens sont venus… On pouvait regarder ce qui se passait sur internet. Ça a vraiment bien marché. J’espère qu’on pourra réitérer ce genre d’expérience dans d’autres villes.

C’est inhabituel de voir de la musique dans une galerie d’art !

Oui. Justement je voulais voir si ça pouvait marcher. Si ça aurait l’air factice ou si ça aurait l’air légitime, et ça avait l’air d’aller. C’est intéressant de voir que les peintres et les artistes visuels ont pompé sans vergogne dans la pop music, comme par exemple Andy Warhol et ses peintures sur soie représentant Elvis. Ça interpelle les gens, parce qu’ils perçoivent la musique comme une forme d’art mineure, sans doute parce que c’est un art populaire. Pour moi, c’est un art à part entière, et on peut l’appréhender comme tel. J’ai fait des études artistiques, et c’est là-dedans que je travaille maintenant. La musique est un des beaux-arts.

En musique, la grande mode en ce moment, c’est de reformer les anciens groupes !

Blur vont faire Glastonbury le lendemain de ma venue. Je vais essayer d’aller les voir. Mais pour répondre à ta question que je sens arriver gros comme une maison, non je ne pense pas à reformer Pulp ! Il n’en a jamais été question, jusqu’à présent. Personne ne nous a encore proposé assez d’argent (rires) ! Cela dit, moi et les gens de Pulp, on ne s’est jamais vraiment disputés. Ce n’est pas comme dans Blur, quand Damon et Graham ne voulaient plus se parler pendant des années. On n’a jamais eu ce genre de situation, donc en théorie ce n’est pas impossible. Je suis fier du temps que j’ai passé dans Pulp, j’y ai passé vingt ans de ma vie. Je pense juste qu’il est plus judicieux de laisser les gens sur une bonne impression plutôt que de commencer à avoir l’air trop vieux, ou trop gros… ce serait gênant.

Es-tu intéressé par la scène musicale actuelle ?

Je ne suis sans doute pas aussi au courant que lorsque j’habitais à Londres. À cette époque j’étais très branché sur tout ce qui se faisait. Mais oui, je me tiens au courant de ce qui se passe, bien entendu. (Faussement solennel) LA MUSIQUE, C’EST TOUTE MA VIE. Je ne suis pas aussi érudit que j’aimerais l’être. Je vais à des concerts, je vais voir des groupes. Je viens de faire des émissions de radio à Manchester, avec Marc Riley, qui était dans The Fall. J’ai en quelque sorte présenté les émissions avec lui. Il a passé le nouveau single des Fiery Furnaces que j’aime beaucoup. Il y a aussi ce groupe qui s’appelle Let's Wrestle qu’on est en train d’essayer d’avoir pour notre première partie sur la tournée qui commence la semaine prochaine. Je les aime beaucoup aussi. Et puis ce groupe qui s’appelle White Denim. J’ai entendu une de leurs chansons qui est très belle. J’adore découvrir des nouveautés. C’est bizarre, de nos jours avec tous ces trucs genre internet, on a tellement de moyens de découvrir des nouveaux groupes, dans les blogs et tout ça, mais je trouve toujours que la meilleure façon de découvrir des choses, c’est à travers ses amis. C’est tellement dur de dire si on va aimer un truc juste en lisant quelque chose que quelqu’un a écrit.

Ça dépend si la personne écrit bien ou pas… Tu avais déclaré quand tu es venu t’installer à Paris que tu allais prendre ta retraite de la musique. Que s’est-il passé ?

Je sais, oui… Je suis désolé. J’ai menti. JE SUIS UN MENTEUR ! (rires) Non, j’ai juste recommencé à écrire des chansons. Je pense que je faisais un blocage. Dès que je me suis autorisé à penser que j’allais tout arrêter, cela a semblé déverrouiller quelque chose en moi, et comme par magie, des idées de chansons me sont venues. Alors je pense que je faisais juste un blocage psychologique, qui s’est envolé quand j’ai décidé d’arrêter.

Une des chansons sur l’album s’appelle Disco Song. Tu sembles être très influencé par la disco, le côté très kitsch…

J’adore la disco. Cela faisait longtemps que je n’avais pas fait de chanson disco, alors je voulais en faire une. J’ai trouvé une histoire à raconter, dont je suis très content, tout se passe dans une discothèque. Ce n’est pas seulement un pastiche de disco, il y a une véritable intention. C’est comme de regarder un film qui se passe dans une discothèque, en direct. À la fin de la chanson il y a ce bruit comme un bourdonnement, on peut dire que c’est de la disco très avant-gardiste.

Il y a aussi une chanson qui s’appelle Angela, est-ce une personne existante ?

Oh, et ça m’a rapporté pas mal d’ennuis ! La fille dont je parle, je ne l’ai jamais vraiment connue. Elle travaillait comme serveuse dans un restaurant, en Australie. Et je n’ai jamais su son nom. Alors quand j’ai écrit la chansons, le riff faisait « Duuuuh-duh-duh », donc je savais que je devais prendre un nom avec trois syllabes. Un jour que je me baladais dans Paris, ça m’est venu: « Aaaan-ge-la! ». Ça collait, et ce n’est pas un nom très glamour, pas très rock’n’roll. Un peu comme Deborah, je dois avoir quelque chose avec les noms féminins terminant par « A »... Donc j’étais content de moi, et on s’est retrouvé à Sheffield, à répéter la chanson. J’ai commencé à chanter les paroles, et à la fin, j’ai vu que mon clavier, Simon, me regardait bizarrement. Je lui ai dit « Qu’est-ce que tu as ? ». Il m’a dit « Pourquoi tu as écrit une chanson sur ma copine ?! ». Il se trouve que sa compagne, qui attendait son enfant, s’appelle Angela. Il a cru que je voulais la lui piquer. J’ai dû lui expliquer que ce n’était qu’une coïncidence.

Tu retournes souvent en Angleterre ?

Oh oui. Je suis la moitié du temps ici, et l’autre moitié là-bas. Je suis chez des amis à Londres. Je suis très international. J’étais à Sheffield lundi dernier, je suis allé voir ma sœur après être allé à Manchester. Ça me manque parfois. Quand on prend la route entre Manchester et Sheffield, on traverse les Pennines, c’est magnifique. Une des plus belles routes qui existent au monde. Chaque fois que je vois ça, je me dis « Mais pourquoi suis-je parti ? ». Cette fois-ci, je me suis vraiment dit « Il faut que je revienne ! ». Je ne me vois pas le faire avant quelques années encore, mais j’y pense sérieusement.