Dans le jeu des sept familles du post-punk britannique, je voudrais dans la famille IDLES, les petits protégés. Bonne pioche assurée avec Crows, quatuor londonien remarqué avec leur excellent premier album,
Silver Tongues, sorti en 2019 sur Balley Records, le label de Joe Talbot, et qui fleurait bon le rock garage débraillé et sans concession. Bien qu'enregistré dans la foulée, leur deuxième opus,
Beware Believers, a vu sa sortie plusieurs fois repoussée pour ne paraître qu'en avril dernier sur le tout jeune mais ô combien prometteur label Bad Vibrations (Unschooling, Regressive Left, Los Bitchos).
Sans renoncer à ses fondamentaux, le groupe a su sur cet album trouver un équilibre assez rare entre puissance sonique et qualité d'écriture. Si vous ajoutez à cela une réputation de bêtes de scène née de concerts dantesques où guitares et os des membres du groupe furent souvent fracassés, vous comprendrez vite notre excitation à l'annonce de la première venue de Crows en France depuis trois ans. Ce n'est donc pas l'absence de transports ce soir-là qui allait freiner nos ardeurs. On s'enquille donc sans peine quarante-cinq minutes de vélo par à peine deux degrés en direction de Petit Bain avec sa salle flottante et sa programmation des plus solides.
La première partie est assurée par
Servo, trio confidentiel mais déjà bien aguerri sur scène, nous venant tout droit de la bonne ville de Rouen. On se dit qu'un groupe qui tient son nom d'une chanson de The Brian Jonestown Massacre ne peut pas être complètement mauvais. En l'occurrence, il peut même être sacrément bon. Osant de longues introductions atmosphériques, Servo épatent avec leur post-punk psyché flirtant avec le shoegaze et le krautrock (Maman, je sens que je t'ai encore perdue, ça veut dire que le groupe envoie sérieusement du bois dans une ambiance sombre à la Joy Division tout en alternant mélopées contemplatives et éruptions subîtes de violences sauvages, un peu comme dans le film Audition de Takeshi Miike que nous avions loué ensemble à la médiathèque de Marly-le-Roi et que tu avais trouvé un peu « spécial »). Bien branlée, la musique de Servo vient, une fois n'est pas coutume, contredire la cruelle maxime du punchliner John Lennon : « Le rock français c'est un peu comme le vin anglais ».

Le Beatles finira tout de même par payer pour une telle mesquinerie puisqu'il figure sur l'horrible compilation triple CD, « Le rock c'était mieux avant » d'Universal Music qui nous fait penser qu'on préfèrera toujours les majors quand elles s'appellent Tom. Evitant une nouvelle guerre de cent ans, on opte pour une bière française et un groupe anglais pour continuer la soirée. A 21h30,
Crows débarquent sur scène comme attendu tout de noir vêtus (sauf le batteur, car on vous l'a déjà dit un batteur c'est comme un député Renaissance, ça n'écoute rien et ça n'en fait qu'à sa tête) et entament le sombre et tendu
Silver Tongues, leur habituel titre d'ouverture car un des seuls avec une introduction de plus de quarante secondes. Les guitares ne vont pourtant pas tarder à se déchaîner et la fosse à vrombir grâce à
Garden Of England, leur hymne aussi impeccable qu'imparable. S'essayant tout de même à quelques mots en français, le chanteur James Cox, s'avèrera assez peu loquace, préférant aux longs discours, l'enchaînement pied au plancher de petites bombes comme
Slowly Separate, Only Time ou l'ancien
The Itch. Le public n'a pas le temps de reprendre son souffle et il n'y a guère que
Healing, pourtant pas ce qu'on appelle une balade, pour offrir un court moment de répit.
Le public parisien aura même l'agréable surprise de découvrir un nouveau morceau joué ce soir pour la toute première fois. D'ailleurs si quelqu'un en a le titre, qu'il se manifeste sur le forum du site ou nos réseaux sociaux (le journalisme aussi, c'était mieux avant !). On note ici une orientation plus mélodique, Crows semblant quitter peu à peu le giron bruitiste d'IDLES pour aller vers des compositions plus léchées à la Fontaines D.C. Mais pour l'instant, l'heure du déluge sonore n'est pas encore passée, notamment avec le triptyque final composé de
Closer Still, Hang Me High et
Chain Of Being, pour lequel on espère que le kids des premiers rangs avaient gardé quelques forces. Le groupe quitte la scène, laissant le public hagard, mais réclamant encore une dernière salve de bagarre.

Les corbeaux reviendront pour un rappel composé d'un unique titre,
Pray, leur tout premier single de 2015, véritable morceau de rock'n'roll aux guitares males léchées, rappelant s'il était nécessaire que Crows n'est pas une des ces formations hype surfant sur le revival post-punk mais bien un vrai groupe de passionnés se souciant peu des effets de mode.
Après leur réjouissant second album, Crows ont confirmé ce soir leur fameuse réputation de groupe de scène, de ceux qui font autant de mal que de bien aux oreilles. S'il fallait faire la fine bouche, et sans leur demander de se casser une jambe ou de détruire leur matériel à chaque fois, leur show, super rodé et exécuté sans aucune fausse note ou baisse de régime, manquait peut être d'un soupçon de folie ou de sortie de route, ou pour utiliser des termes pompeux, de cette transcendance que l'on peut ressentir aux concerts des piliers du genre tels qu'IDLES, Fontaines D.C. ou bien même Yard Act.
Laissons leur tout de même le temps, car après ce set supersonique à Petit Bain, Crows ont toutes les cartes mains pour se lancer dans le grand bain.