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Callum Easter
Young Fathers

Paris, Elysée Montmartre - 24 février 2023

Live-report par Franck Narquin

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Auteurs d'un fracassant retour après cinq années de silence radio avec Heavy Heavy, quatrième album aussi court (à peine trente-trois minutes) qu'au long cours (il vous faudra des heures d'écoute pour en faire le tour), Young Fathers comptent désormais ne plus perdre de temps et battre le fer tant qu'il est chaud bouillant, en quittant leur Ecosse natale (patrie des plus beaux whiskys du monde) pour venir conquérir la France (où grandit la rumeur qu'une petite distillerie nommée La Conspiration s'apprêterait à concurrencer les plus beaux flacons de l'île d'Islay avec ses spiritueux d'expérimentation) tout juste trois semaines après la sortie de leur sublime galette qui tourne en boucle sur nos platines, régalant autant les amateurs de sonorités âpres et urbaines, que de grooves sensuels et racés ou de compositions pop ciselées et d'envolés guitarisées.

Nous sommes vendredi soir, le métro de la ligne 12 patiente longuement entre chaque station, la faute à un malaise voyageur, on se dit que le pauvre à du tenter d'écouter la dernière compilation d'Andy Bell, erreur fatale. On descend tout de même station Pigalle, l'histoire de prendre des forces en gobant vite fait un smash burger chez Dumbo, petite échoppe de la rue Jean-Baptiste Pigalle où officiaient il y a encore peu ces p'tites femmes qui faisaient la joie de Serge Lama et qui devrait à elle seule réussir à hisser la junk-food au patrimoine mondial de l'Unesco.


Contre toute attente, nous arrivons pile à l'heure pour assister à la première partie assurée par Callum Easter, artiste provenant également d'Edimbourg et signé chez Moshi Moshi Records, ce petit label londonien au nom kawaï qui a sorti une floppée de jolis projets signés d'artistes qu'on adore comme Hot Chip, Kate Nash, Teleman ou Egyptian Hip Hop (mini one-hit-wonder avec leur titre Rad Pitt, chef d'œuvre méconnu qu'on vous recommande chaudement).
L'écossais décide d'entamer son set par un morceau a cappella. On trouve cela sévèrement burné, pour paraphraser l'ancien président de l'Olympique de Marseille (ou sa marionnette des Guignols, on ne sait plus). On comprendra un peu plus tard, la résonnance de ce geste audacieux avec l'introduction de Young Fathers. Suivront quelques morceaux sur lesquels on pourra apprécier les excellentes références de l'artiste, Suicide, Lou Reed, la Motown ou The Jesus And Mary Chain, mais qui nous laisseront un peu de marbre.


Il est 20h45, le smash burger a été bien digéré à l'aide de quelques pintes (gamin, ne reproduit pas ce régime indigent chez toi et arrête d'écouter de la pop dépressive écrite par des génies de la banlieue de Manchester ou du post-punk jouissif éructé par d'arrogants cockney pour aller à la salle travailler tes abdos sur du DJ Snake, nous pouvons nous le permettre car nous sommes des professionnels). Il est 20h45, l'Elysée Montmartre est plein à craquer, faisant le bonheur de Super!, omniprésente « agence d'épopées musicales » dont l'impressionnant catalogue semble aimanter tous les groupes les plus excitants du moment à tel point qu'il ferait passer la hotte du père noël pour une simple supérette de Gdansk dans un film des années 80 de Krzysztof Kieślowski (pardon à nos lecteurs polonais, vous savez bien qu'on vous aime très fort). Il est 20h45 et Young Fathers, faisant peu de cas de nos palabres sur la gastronomie américaine et les films d'auteurs de l'est de l'Europe et oubliant que comme Balzac nous sommes payés à la ligne, décident alors d'investir la scène, dont le fond est simplement orné d'un drap blanc et devant lequel sont amoncelés des instruments et machines vintage. Alloysious Massaquoi, Kayus Bankole et Graham « G. » Hastings, les trois jeunes papas toujours aussi charismatiques et stylés, sont accompagnés d'une choriste aux cheveux bicolores (mais dans une version plus réussie que chez Pomme ou Patrice Drevet), d'un batteur qui semble sorti tout droit de Deutsch-Amerikanische Freundschaft (D.A.F pour les intimes ou les résidents de Düsseldorf) et de Callum Easter, qui officiait en première partie et s'occupe désormais de jouer d'à peu près de tous les autres instruments (guitare, clavier, percussions et diverses machines électro-acoustiques).


Je vois bien qu'après 720 mots de cette chronique vous commencez à penser que soit je suis réellement payé à la ligne et vous en tirez peut-être un certain mépris, soit que je tente simplement de rédiger une chronique encore plus longue que celles d'Adonis Didier, notre jeune chroniqueur à la verve fougueuse toujours prêt à traverser Paris pour dénicher les groupes de demain et collecter quelques 06 pour après-demain. Vous faites pourtant fausse route, car si j'ai tant de mal à vous parler du concert de Young Fathers, c'est parce que soit vous y étiez et vous savez, soit vous n'y étiez pas et je n'aimerais pas vous mettre le seum. C'est mon côté courtois. Car oui, ne passons pas par quatre chemins, ce concert était tout simplement énorme. Alliant l'énergie dévastatrice du hip-hop, la grâce intemporelle de la soul et la brutalité frontale du rock, les anciens protégés de Massive Attack ont fait plus que confirmer leur retour en grande forme annoncé par leur dernier opus. Ils ont tout simplement mis l'Elysée à feu et à sang, raflant le César de la meilleure interprétation alors qu'on les avait jusqu'ici cantonnés aux seconds rôles. Il n'aura fallu que trois titres pour que nous réalisions le sommet auquel nous étions en train d'assister. Only Child, issu d'un de leurs premiers EPs, chanté a cappella et à trois voix, nous a envoûtés. I Saw, single imparable de Heavy Heavy, a conquis l'intégralité de la salle en quelques mesures. Queen Is Dead, banger de leur debut-album DEAD, un pied dans le rap et l'autre dans le punk, faisait presque passer le trublion slowthai pour un enfant de cœur. Après une telle entrée en matière et bien qu'ayant déjà mis un genou à terre, on craignait que le groupe ne puisse poursuivre à un tel niveau. Pourtant, malgré quelques titres moins puissants ou moins passionnants, Young Fathers sont parvenus à revisiter toute leur discographie en conservant cette même intensité. Tantôt sensibles et touchants comme sur I Heard ou Tell Somebody, tantôt furieux et exaltants avec Old Rock n Roll ou l'épique Toy faisant office de titre de clôture, les écossais ont démontré l'étendu de leur talent, assurant un quasi-sans faute avec un set relativement court mais terriblement dense.

Ne se contentant pas d'avoir sorti un des meilleurs albums de ce début d'année, Young Fathers ont livré un de ces concerts qu'il ne fallait pas rater. Les anciens commis sont désormais devenus chefs, nous mettant avec ce menu en dix-sept temps des étoiles pleins les yeux et rassasiant avec brio nos oreilles de mélomanes aussi gourmets que gourmands.
setlist
    Only Child
    I Saw
    Queen Is Dead
    Wow
    Rain Or Shine
    Get Up
    Sink Or Swim
    Old Rock n Roll
    Tell Somebody
    Drum
    I Heard
    In My View
    Be Your Lady
    Rice
    Geronimo
    Shame
    Toy
photos du concert
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