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Anna B Savage
Iona Zajac

Paris, Boule Noire - 21 avril 2023

Live-report par Adonis Didier

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21 avril. Cher journal, le printemps a officiellement un mois, le soleil brille dans le ciel de Pigalle, il fait beau et chaud en ce début de week-end, c'est donc le moment idéal pour aller se terrer à la Boule Noire et soigneusement éviter à ma peau de vampire ténébreux d'être souillée par les rayons de cette grosse boule radiante qui ne cesse de faire irruption au-dessus de ma tête.

On aurait effectivement, comme tout bon hipster parisien, pu prendre un verre en terrasse sur les quais du canal Saint-Martin et oublier notre vie frénétique et notre éco-anxiété de CSP+ wanna be artist. Mais non. Ce serait trop simple. Ce 21 avril sera donc dédié aux émotions, aux traumatismes, aux relations toxiques, et à toutes ces choses que l'on n'ose pas vraiment regarder dans le miroir, cette détresse émotionnelle en forme de chaise que l'on préfère recouvrir de fringues pour ne plus la voir, plutôt que de l'accepter et de s'en servir comme marchepied pour aller réparer l'ampoule cassée au fin fond de notre subconscient.


Ainsi, c'est alors que votre chroniqueur préféré se perd dans ses pensées introductives, entre point météo contractuel et métaphores à la signification douteuse, que Iona Zajac entre en scène, avec l'air de ne pas vouloir déranger. Timide, elle enclenche un bourdonnement sur son clavier, et ouvre son set par le chant de The Burning Of Auchindoun, ballade traditionnelle écossaise à l'atmosphère sombre et poignante, décrivant la destruction du château d'Auchindoun par le clan MacKintosh en 1592. En effet, Iona Zajac est écossaise, et malgré quelques années passées à Dublin, c'est bien son pays natal qui hante ses chansons. Une ballade sur Glasgow sous la pluie (Glasgow 360 jours par an, donc), une ballade sur des ex lourds au comportement discutable, beaucoup de ballades vous en conviendrez, mais au moins ça fait les jambes. Le tout est servi par une voix à la pureté enchanteresse, qui ne demande que quelques arpèges de guitare pour se voir sublimée et nous emmener dans ce petit monde de douceur mélancolique. Le presque dernier single qu'est Rubish Jubilee ressort comme la chanson la plus mature du répertoire d'une jeune artiste dont chaque nouvelle sortie démontre des progrès certains, une artiste à la bonne humeur contagieuse, discutant pleine d'humour avec un public complice, et plus bruyant que les gens en Allemagne si l'on en croit la principale intéressée. Une première partie à la hauteur, donc, de l'artiste qui l'a invitée sur sa tournée, et dont on attend avec impatience un premier EP à chroniquer.


Ceci étant dit, et malgré tout le bien que l'on pense de la jeune écossaise, nous sommes quand même surtout là pour assister à la première date complète d'Anna B Savage à Paris. Une complétude de la Boule Noire qui se remarque lorsque l'on tente de revenir aux premiers rangs après une petite pause fraîcheur, mais que voulez-vous, poussez-moi, excusez-vous, et les hippopotames seront bien gardés. Une Anna B Savage magnifiquement vêtue de rouge et de froufrous, design made in son amie Sophie Hurley-Walker, déjà responsable des pochettes et des vidéo clips de l'artiste, designer anglaise vivant à Montreuil. En même temps, where else, tant la petite ville de banlieue se transforme progressivement en collectif artistique multiculturel, Montmartre des temps modernes de l'autre côté du périph'.
Mais bref, nous ne sommes pas là pour parler géographie, alors qu'Anna B Savage entame déjà The Ghost, seulement accompagnée de sa guitare acoustique, d'un batteur, et d'une claviériste bassiste aussi un peu choriste, ces deux-là eux aussi vêtus d'un rouge bien pétant, particulièrement seyant. The Ghost, qui donnait déjà des frissons en introduction du dernier album, et qui se voit encore grandir en live, dans une acoustique remarquable, intimiste, puissante, car ce ne sont pas des mots qui s'échappent des lèvres de la musicienne, mais bien des sentiments, des émotions, des tripes, toutes ces choses trop fortes, trop acides, trop douloureuses pour être gardées à l'intérieur de soi. La vague était attendue, elle n'en est pas moins violente, incontrôlable. On s'était juré de ne pas pleurer avant la fin, on a tenu environ trois minutes, et ce sera sans aucun regret. Crown Shyness embraye avec tout ce qui faisait passer un véritable cap à l'album in|FLUX : la puissance émotionnelle d'Anna B Savage couplée à des dynamiques plus variées, de la soul et de l'électro parsemées avec une parfaite science du contraste, et l'envie de danser et de claquer des doigts devant le jukebox se fait déjà sentir.


On passe par du guitare-voix « à l'ancienne » sur Corncrakes, avant que Two ne nous rappelle que la dualité a toujours fait partie de son univers, tant la chanson passe de la déprime à l'explosivité, d'une journée sous la couette à broyer du noir vers une nuit techno passée à ensevelir son cerveau sous une avalanche de décibels et de poudreuse immaculée. On pleurera à nouveau un coup avec I Can Hear The Birds Now, et voici la foule qui reprend en chœur Hungry, en chantant plus ou moins bien, mais nous ne sommes point là pour juger vu nos capacités au karaoké (désolé Dalida).
La communion entre l'artiste et son public est parfaite, il n'existe aucun mur, aucun filtre, entre l'être humain Anna B Savage et le son qui nous traverse de haut en bas, de gauche à droite, de notre tête qui s'émeut jusqu'à nos pieds qui se meuvent, danseurs timides mais ragaillardis par les mots de notre hôte bienveillante : « Allez-y, vous pouvez danser, personne ne vous regarde, on ne regarde que moi ce soir. Oh mince, c'est flippant ça ! ». L'enchaînement Feet Of Clay et Pavlov's Dog poussera même les plus timides à remuer un peu des hanches, alors que la basse se fait méchante, sort ses canines canines, et se prépare à pousser le crescendo sans limite de Say My Name, dont l'atmosphère sombre et bleutée grimpe jusqu'à des mers de nuages, vers un ciel à l'azur rayonnant sur ce paysage cotonneux, lumière solaire guidant un troupeau de moutons vaporeux porté par le vent.
Une lumière solaire apportée par une fin du concert que l'on qualifiera de joyeuse, car de la même manière qu'in|FLUX nous apportait une sérénité et un espoir bienvenu dès sa chanson titre, c'est in|FLUX la chanson qui va voir Anna poser les guitares, et mettre tout ce qu'elle a dans le chant et la danse, se baladant au milieu des chœurs et des beats électro, possédée par cette confiance en soi nouvelle, par le bonheur d'être en paix avec l'image dans le miroir, une danse avec soi-même qui ne demande aucun autre partenaire que celui qui ne nous quittera jamais. Et comme dit dans la finale The Orange, si c'est tout ce qu'il y a, je pense que ça va aller.

Oui, ça va aller. Ça va aller pour nous, bien heureux d'avoir extériorisé nos démons ce soir au cours d'une expérience cathartique commune, à l'intensité et à la bienveillance peu commune, et ça ira sans aucun doute pour Anna, tant son talent en studio ou en live n'est déjà plus à démontrer, et promet une carrière que l'on espère longue et prospère. C'est donc sans aucun regret que l'on ressort de la Boule Noire par une belle nuit de nouvelle lune, ce qui nous fait dire qu'il ne reste déjà plus que deux semaines avant de revoir des loups-garous au bois de Vincennes. Mais rassurez-vous, ils sont bien moins dangereux qu'un lapin adulte. Bref, vous l'aurez compris, il est temps d'aller dormir, et surtout n'hésitez pas une seconde à aller voir Anna B Savage si elle repasse en ville.
setlist
    IONA ZAJAC
    The Burning Of Auchindoun
    Red Corn Poppies
    Bang
    Salt
    Rubbish Jubilee
    Summer
    Dilute

    Anna B Savage
    The Ghost
    Crown Shyness
    Corncrakes
    Two
    I Can Hear The Birds Now
    Hungry
    Feet Of Clay
    Pavlov's Dog
    Say My Name
    in|FLUX
    A Common Tern
    The Orange
photos du concert
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