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Dream Nails

Paris, L'International - 24 novembre 2023

Live-report par Adonis Didier

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Vous le ressentez comme moi si vous nous lisez depuis l'Europe occidentale, un phénomène annuel n'ayant jamais manqué à l'appel est encore une fois revenu nous prendre au dépourvu : ça caille. Quelle meilleure idée, me direz-vous alors, que de partir se réchauffer en se frottant à des tas d'autres gens dans un sous-sol peu éclairé du 11ème arrondissement ? OK, vous me direz surtout, comme ma mère, d'allumer mon chauffage, mais puisqu'ici on pense à la planète, on laissera les pingouins vadrouiller peinard à l'appartement pour tous se retrouver à l'International, car ce soir on parle de Dream Nails.

Dream Nails, groupe queer et punk londonien en tournée promo de leur formidable nouvel album Doom Loop, déjà-vu l'an dernier en première partie des Nova Twins. Un set en forme de découverte d'un groupe qui paraissait à première vue surtout bourrin, mais qui s'est révélé beaucoup plus divers, mélodique, et subtil que ne le laissaient penser les chansons disponibles en streaming. La raison ? Ce nouvel album et cette tournée sont les premiers depuis le départ de la co-fondatrice du groupe Janey Starling et l'arrivée du frontman trans Ishmael Kirby, un changement de line-up synonyme d'évolution de la musique et du message : les Dream Nails 2.0 seront plus tendres, pop, mélodiques, empathiques, tout en restant punk, faut pas déconner. Exit donc le riot bas du front, l'heure n'est plus faite que de baston, l'heure est au rassemblement, un rassemblement quelque peu illustré par le public présent ce soir : des adolescent.e.s et des adultes queers, des fans plus « tradis » de pop et de punk, tout le monde s'est pressé dans un International sold out pour s'amuser, pour vivre la musique, et que le message qui est derrière vous touche profondément ou non, pas d'exclusion et pas de jugement.


Après tant de présentations, il serait temps de parler musique et de regarder autour de soi, l'intro Take A Look Around explose de la guitare d'Anya Pearson, de la batterie de Lucy Katz, et de la basse de Mimi Jasson, pendant qu'Ishmael crie un mélange de paroles originales et de sermons de manif' par-dessus une reprise de Limp Bizkit au refrain qui veut tout dire : « Je sais pourquoi ils veulent nous détester, c'est tout ce que le monde a vu jusque-là ». Une reprise de nu-metal en ouverture d'un concert de queer punk, ce n'était pas mission impossible, finalement.
Un Ishmael qu'on retrouve presque cloué sur un tabouret à cause d'une cheville en vrac depuis un mois, mais pas une raison pour arrêter de tourner ni de foutre le souk. Le single Good Guy démarre le concert sur les chapeaux de roue, un concert quasi-exclusivement composé des chansons du dernier album, à l'évidente exception de Vagina Police hurlée en communion avec un premier rang connaissant toutes les paroles par cœur. V-A-G-I-N-A-P-O-L-I-C-E entonné dans la cave, laissez chacun faire ce qu'il veut de son corps (sauf si c'est pour le montrer dans le métro ou dans la rue, nan faites pas ça, svp), et laissez aussi les musiciens passer la douane plus vite, pour pas avoir à finir les balances en live ! Un petit ajustement sonore de dernière minute, juste à temps pour ouvrir la fosse avec Monster, chanson douce suivie de son miroir tout aussi fluet Prevenge, l'occasion de se battre pour ses droits sociaux autant que pour ses droits à faire la fête.

Case Dismissed poursuit contre les violences policières, alors on criera très fort 1-3-1-2 pour couvrir le fait que l'on entend pas les chœurs, comme on criera Kiss My Fist encore plus fort quelques minutes plus tard pour soutenir la cause. Dernière chanson du premier album de Dream Nails, la seule avec Vagina Police tirée de l'ère Janey Starling (qui avait par ailleurs demandé au groupe de ne plus jouer certaines de ses chansons les plus intimes), et un hymne à ne plus craindre le harcèlement en tant que personne queer. « Ils nous craignent plus qu'on ne les craint », et comme affiché dans pas mal de bars de Paris : des queers qui s'embrassent, ce n'est pas du divertissement ! Anya prend la parole pour passer le mot, puis Ishmael pour introduire Sometimes I Do Get Lonely, Yeah, fantastique chanson éducative sur les pentes glissantes du mal-être, de comment elles mènent à la violence et à la haine, de comment la solitude entraîne à faire de sacrées conneries juste pour avoir le sentiment de faire partie d'un truc. L'empathie, l'éducation, le nouveau terrain de jeu de Dream Nails, ce qui ne les empêche pas d'être avant tout humain.e.s et drôles, portant autant de sujets graves que de sourires sur leurs visages, et doit-on mentionner qu'Anya s'est aspergée du désodorisant des toilettes de l'International en espérant sentir autre chose que les toilettes au bout du compte ?
Non, sans doute pas, alors on se gardera de partager ce moment sans doute très agréable pour tout le monde sur scène, pour plutôt profiter d'Ishmael qui demande au public si quelqu'un ici est déjà tombé amoureux de son coiffeur. « Non, personne ? Mais dis-donc, je me demande bien à qui ça arriverait ! (clin d'œil clin d'œil) ». She's Cutting My Hair nous raconte donc le crush d'Anya sur sa coiffeuse, peut-être la raison pour laquelle elle a toujours une coupe aussi nickel et courte. Nailed it comme on dit, et cela tombe bien, on aura droit à un inédit, la dancy-funky-bouncy Nail Me, juste avant que Ballpit ne cloue le spectacle en envoyant des ballons de plage dans le public, très littéralement.


On attendra donc le rappel en s'envoyant des ballons en plastique dans la tronche, mais calmez-vous les enfants, et pas de bavardage pendant l'apothéose émotionnelle qui va suivre. Time Ain't No Healer ouvre le rappel avec Anya à la basse et Mimi au synthé, des mains se lèvent, ondulent de droite à gauche, un briquet sort, pas plus, foutu lobby de la médecine qui casse la dangereuse magie des concerts, et une montée finale intense, splendide, accompagnée par le public jusqu'à la ravissante fin alternative façon piano bar proposée par le groupe. D'une fin alternative à une autre, le concert se referme sur le single Femme Boi, soulevant une nouvelle fois la question du genre et de l'acceptation des personnes hors de la norme.

Un concert finalement à l'image du groupe, un peu bordélique, avec un son pas toujours bien réglé, dans un sous-sol parisien bondé, porté par une bande DIY et queer dans le but d'éduquer, et de faire exister des problématiques trop souvent absentes ou incomprises du débat public. Un concert aussi musical, fun, et énergique, que militant et thérapeutique, alors merci pour cette soirée, bonne chance pour la cheville et la fragrance des toilettes de Paris, et surtout restez vous-mêmes, parce qu'un concert de Dream Nails n'est pas seulement nécessaire à nos oreilles, mais aussi à nos cœurs et à la société.
setlist
    Take A Look Around (Limp Bizkit cover)
    Good Guy
    Vagina Police
    Geraniums
    Monster
    Prevenge
    Case Dismissed
    Kiss My Fist
    Sometimes I Do Get Lonely, Yeah
    She's Cutting My Hair
    Nail Me
    Ballpit
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    Time Ain't No Healer
    Femme Boi
photos du concert
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