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Talk Show

Paris, Le Hasard Ludique - 30 mars 2024

Live-report par Franck Narquin

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Comme Omar Sharif, on adore parier sur le bon cheval, mais ce qui nous différencie de l'inoubliable interprète du Docteur Jivago, hormis le port de la moustache la plus swag de tous les temps, est que notre dada est clairement plus le rock que les canassons. Depuis la réouverture des salles de concert, les belles écuries remplies de puissants étalons ou de poulains prometteurs sont légion au sein de la scène post-punk anglaise. Pas une semaine ne passe sans sa nouvelle sensation ou sa prochaine Next Big Thing. Un soir de novembre 2021, en ouverture d'une soirée Avant-Garde du Pitchfork Music Festival avec Wet Leg, NewDad et Yard Act et devant un public clairsemé, on a vu la bande de Harrison Swann débuter leur set pied au plancher, se souciant peu du décalage entre leur enthousiasme débordant et un auditoire absolument pas concerné. Après trois morceaux, la salle était en feu et nous avions la conviction que ce groupe disposait de ce petit je ne sais quoi qui différencie Supergrass de Shed Seven. C'était dit, Talk Show allaient être grands.

Inutile de souligner les succès de Wet Leg et Yard Act depuis cette soirée (ndlr : nous avions également misé sur eux et étions d'ailleurs peu nombreux à les interviewer pour leurs premiers concerts français), mais le temps passant on commençait à croire qu'on avait parié sur un pétard mouillé. Puis comme dans tout bon slasher, quand on pense que la bête est belle et bien morte, celle surgit brusquement plus affamée et déterminée que jamais. La sortie de Effigy, premier album mêlant post-punk, électro 90's, rythmiques funk, trip-hop moite et dub enfumé avec une éblouissante maestria nous donnait finalement raison. Avec des morceaux enfin au niveau de leurs prestations live, nous étions sacrément excités d'assister à la performance du quatuor sur la scène du Hasard Ludique. On aurait tout de même préféré les voir ailleurs car si ce lieu multiculturel fiché sur les rails de la petite ceinture dans le dix-septième arrondissement dispose d'innombrables qualités, sa configuration atypique et son public trop sage n'en font pas une salle rock. Point de sang, de sueur, de bières renversées, de corps portés par la foule et de comportements frivoles car bien que le maire d'arrondissement se nomme Monsieur Boulard, à l'ouest on a appris à se tenir en société.

La première partie est assurée par les français de The Gluteens. Nous rappelant la célèbre punchline de John Lennon, « French rock is like English wine », on reste traîner à l'espace bar où le gluten est servi en généreuses portions de cinquante centilitres. En bons professionnels de la profession, nous décidons finalement d'aller glisser une petite oreille curieuse mais en chemin notre attention se porte sur un individu arrachant une à une toutes les affiches du concert de Yard Act collées devant la salle. Cet individu se nomme Lionel (comme Lionel D. le pionnier du rap en France ou Lionel U. mon tout premier homeboy). Toi non plus tu ne connais pas Lionel ? C'est pourtant un de ceux qui font la nuit parisienne. Pas à la manière de Pedro Winter, du collectif Barbi(e)turix ou d'Alastair Lane, le DJ préféré de la jeunesse dorée qui dandine son boule parfaitement shapé chez Castel ou au Silencio. Non, plutôt dans le registre de Joël, aux toilettes du Rex tous les soirs depuis dix ans ou de Vamé, à la porte l'Orphée en toute saison, ces hommes et femmes de l'ombre dont on ne parle pas mais sans qui la fête ne se ferait pas. Lionel assure la sécurité du Hasard Ludique, gère les entrées et sorties et rappelle à l'ordre les plus agités, armé d'un calme olympien et un physique de gladiateur breton. On ne demande surtout pas à voir, mais il est fort à parier que même avec une épine dans le pied il aligne sans forcer Cédric Doumbé. On l'a accosté car nous étions décontenancés devant son zèle à arracher méticuleusement et jeter ces affiches. Il nous en a gentiment expliqué les raisons puis nous a raconter un bout de sa vie, le rapport coût de l'essence-salaire qui l'oblige à démissionner, des patrons parfois compréhensifs et solidaires, les projets du lieu avortés à la dernière minute suite à des décisions erratiques de la ville de Paris, les gars qui se trompent de soirées et les chroniqueurs pénibles qui lui tiennent la jambe plutôt que d'aller faire leur job.


Dans une salle loin d'être complète ou surchauffée, nos quatre rosbifs de Talk Show succèdent aux froggys dans une ambiance encore loin du crunch espéré. On les sait capables de renverser la situation car même face à un public sur la réserve, la bande de Harrison force son destin, armée d'une setlist désormais conséquente. Celle-ci annonce quatorze titres, soit l'intégralité de neufs plages d'Effigy, leur excellent debut-album sorti le même jour que TANGK d'IDLES et qui supporte largement la comparaison, quatre de Touch The Ground, second EP produit par Joe Goddard de Hot Chip, et enfin Trouble, duo avec Eli Brown. Neuf plus quatre plus un égal quatorze. Laurent Romejko, dont on oublie souvent qu'il a été le créateur du service Minitel des Enfants du Rock et qui a la particularité de ne pas avoir changé de job depuis la sortie du premier album de PJ Harvey, le séminal Dry, nous le confirmerait sans aucune hésitation, le compte est bon. Un fan de la première heure, fort logiquement installé au premier rang et arrivé en tout premier ce soir au Hasard Ludique nous glissera, un peu remonté, « Et These People, leur premier EP ou Fast & Loud, leur single sorti chez Yala! Records, le label de Felix White de The Maccabees et grâce auquel nous les avons découvert, c'est du poulet ? ». Sans oser souligner que plus personne n'utilise une telle expression depuis au moins To Bring You My Love (tout comme écrire « swag » dans un article est passible de peine de prison suite à une loi passée l'année de sortie de Let England Shake), on lui expliquera que le style du groupe ayant tellement évolué en quelques années, celui-ci ci refuse de jouer ses morceaux antérieurs à 2021. Pas du poulet donc, juste le monde d'avant.

Le groupe n'a pas prévu de lancer le concert avec une de ses plus grosses missives et débute en douceur avec le funky Oh! You're! All! Mine!. Harrison Swann nous confiait plus tôt avoir compris qu'il avait tout à gagner à ne plus passer ses concerts à hurler pour apporter plus de nuances à son interprétation, alterner moments forts et faibles et surtout ménager sa voix s'il veut tenir sur la durée. L'intensité sur scène monte alors d'un cran avec Closer et Cold House, mais la salle demeure d'un exaspérant stoïcisme. Swann décide de tomber la chemise, le thermomètre monte alors quelques degrés, tout particulièrement chez certain.e.s spéctateur.rice.s le regardant avec le même désir que le harem du Swann de Phantom of the Paradise, la comédie musicale glam-rock cultissime de Brian de Palma. Harrison, fort de ce regain d'intérêt du public, accélère la cadence et harangue la foule. Got Sold, encore tiède, Red/White, ça chauffe, Underworld, ça brôle ! lls en auront mis du temps et comme dans nos premières boums, il aura presque fallu aller chercher les pogoteurs un par un pour qu'ils se lancent, mais à mi-concert le public se met enfin au diapason et le feu sur scène se propage dans toute la salle. On a jusqu'ici beaucoup parlé du public, mais la prestation du groupe toujours aussi puissante mais bien plus nuancée qu'avant, fait forte impression. Voici une circonstance atténuante pour les spectateurs, désormais un concert de Talk Show s'écoute autant qu'il se pogote et ceux qu'on voyait comme des jeunes gens coincés étaient peut-être finalement des mélomanes avisés.


Alors que l'ambiance bat son plein, le groupe débute la partie du concert dédiée aux morceaux downtempo avec Panic, Oil At The Bottom Of A Drum et Catalonia. A Cologne ou Amsterdam cette accalmie doit s'avérer salvatrice et permettre à la fosse de reprendre son souffle tandis qu'à Paris on craint qu'elle ne vienne casser une dynamique encore fragile. Mais ô surprise, le public continue à s'ambiancer, le chanteur en profite pour se joindre à la foule et on assiste même à des premiers slams. Tout cela est de très bon augure car le final constitué de Small Blue Word, Gold et Leather s'annonce supersonique. Pendant dix minutes de furie, Talk Show exécutent ces trois morceaux avec l'assurance et la maîtrise d'un groupe ultra-rodé et la fougue contagieuse de jeunes loups prêts à en découdre et prouver ce qu'ils savent faire.

Dix minutes exaltantes, qui resteront longtemps dans les mémoires des présents et qui imposent un constat évident, Talk Show sont devenus grands.
setlist
    Oh! You're! All! Mine!
    Closer
    Cold House
    Got Sold
    Red/White
    Underworld
    Dirt In The Keyboard
    Panic
    Oil At The Bottom Of A Drum
    Catalonia
    Trouble (Eli Brown)
    Small Blue Word
    Gold
    Leather
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