Immanquable : qu'il ne faut surtout pas manquer, où il faut absolument être présent. Une idée d'une affiche immanquable ? ĠENN et DEADLETTER à la Maroquinerie de Paris, par exemple. A l'image de la paire English Teacher et SPRINTS en début d'année au Point Ephémère, l'affiche du soir regroupe en une seule fois deux groupes en pleine ascension tournant dans la foulée ou presque d'un magnifique premier album.
Mais comme il faut bien une première et une deuxième partie, ce sont ĠENN qui ouvrent dès 20h sur scène dans l'ambiance mystique et voluptueuse de
Reverb. Leona Farrugia chante à genoux dans la pénombre la moitié de la chanson, se lève pour danser, tourner et voler sur la petite scène alors que le reste du groupe bombarde une remontée surpuissante menée par les deux amplis de Janelle « Janju » Borg, la basse de Leanne « Lea » Zammit, et la batterie de Sofia « Fia » Cooper.
Feel ajoute du groove dans le chaudron magique des sorcières maltaises, un chaudron toujours aussi baveux, lascif, sexy, quand tous les regards se tournent vers les vocalises à la justesse angélique, à la puissance démoniaque de Leona, embrayant sur une
Days And Nights au riff dévastateur, le poing levé et la voix rageuse, comme si de l'uranium et un disque des Kills jetés dans la Méditerranée s'étaient mélangés pour aller botter des culs. Toujours plus mystique,
The Merchant Of se termine avec Jannelle à l'archet en pleine imitation de Jimmy Page, fondu au noir,
A Reprise (That Girl) sort de la jungle tous crocs dehors, Leona balayant la scène à la recherche d'une proie, n'importe quel bourgeois patriarcal à qui arracher la jugulaire.
Un éclair dans la nuit annonciateur d'un tonnerre nommé
Rohmeresse, hommage au réalisateur français Eric Rohmer terminé dans un déluge de plomb fondu et de voix soufflant la tempête qui règne dans le wild
Wild West. Dernière chanson du soir, l'introuvable
Be A Man, une chanson de ĠENN datant de l'époque où ĠENN n'étaient pas encore ĠENN, et un saut dans le public pour Leo et Lea, voix contre basse, guitare contre batterie, un duo sur la scène, un duo dans la fosse, et une demi-heure puissante, envoûtante, et racée conclue par un gros check des familles, guitare contre basse. Clap de fin, extinction de voix.
Bref, on se dit qu'on peut y aller tranquille jusqu'à ce que la photographe placée à côté de nous ne nous rappelle qu'il y a un autre groupe après, un groupe qui s'appelle, qui s'appelle... Dead Weather... Dead Leather...
DEADLETTER ! La tête d'affiche d'une soirée immanquable donc, de passage à la Maroquinerie après des passages au Supersonic et au POPUP! l'an dernier, une scène enfin à la bonne taille pour accueillir les six musiciens de la peut-être meilleure sensation post-punk de l'année. La même bande que précédemment, si ce amputée de Poppy Richler au saxophone, remplacée par quelqu'un dont on a cherché le nom très fort mais qui visiblement cherche à rester discret, et un Zac Lawrence qui va d'entrée nous montrer que le sextet s'est pointé autant pour le sex que pour le tet. Le frontman possédé agite son tambourin dans tous les sens (zéro métaphore), la foule fait de même malgré un entassement généralisé dans la fosse,
Credit To Treason pour se chauffer la voix,
Snitching Hour pour se chauffer les coudes et les côtes, et voilà déjà Zac qui tombe le t-shirt et la photographe précédemment citée qui tombe dans les pommes.
Profonde et habitée,
Mother fait retomber la folie et la mue en sublime, Zac implore une mère dont l'unique lumière descend sur son visage à travers la vapeur stagnant par-dessus la fosse, une chanson d'autant plus forte qu'elle sera l'une des seules respirations d'un concert descendant la piste noire en roue libre, relançant une
Bygones toujours plus nerveuse et psychotique, envoyant Zac dans la fosse avant, sans transition,
Degenerate Inanimate. Let's dance ! Le DEADLETTER funky et sautillant qu'on aime, enchaînant par la bombe
More Heat! et un public qui connaît déjà par cœur toutes les paroles de l'album. Plus de chaleur, plus de chaleur, plus de chaleur, pas besoin de le demander si fort,
Hysterical Strength est là pour ça, la ligne de basse glisse comme un savon dans un hammam, la foule est déjà folle mais Zac en redemande, et sur
Hero scande si fort que ça brûle que le micro finit par cramer, alors on prend le relais et on ne le lâchera qu'à
Auntie Christ, aspirés par la lourdeur incommensurable du trou noir ayant envahi la scène, boulottant tour à tour la lumière et l'espoir et la joie.

On en arrive à se demander ce qu'un
Mere Mortal pourrait bien faire contre ça, et la seule réponse évidente du soir sera de danser, crier et s'envoyer les uns contre les autres, danser et partager la sainte sueur,
Deus Ex Machina improbable mais bienvenu pour lequel Zac fera s'accroupir tout le monde, enfin ceux qui peuvent, avant de déchaîner par deux fois la folie d'un pogo mélangeant les jambes, les bras et les têtes dans des sens que la nature n'avait probablement pas prévus à la base. Mais on s'en sort vivant, et comme une récompense, Zac jette à ses ouailles l'eau bénite de sa bouteille de Cristalline, une eau bénie par Guy Roux et par les dieux du rock pour laquelle le public répondra à chaque incantation de
Binge jusqu'à en perdre la voix. Plus de voix, plus d'eau dans le corps, une ou deux hémorragies internes, mais rien qui ne nous empêchera de se la donner comme il se doit sur
It Flies, dernière chanson encore plus folle que les autres d‘une soirée inoubliable consacrant DEADLETTER comme l'un des groupes à voir avant de mourir si vous aimez le post-punk.
Soutenus par une prestation sublissime de ĠENN en première partie, vous comprendrez maintenant pourquoi cette chronique commençait par la définition du mot le plus important des mille quatre-vingt-seize venus après lui : immanquable.