Rencontre avec Zac Lawrence, chanteur de DEADLETTER, pendant une courte pause à la maison dans leur tournée des festivals. Ce In The Heat tour qui les aura emmené à travers l'Europe n'est qu'un préambule à la copieuse tournée qui accompagnera la sortie de leur premier et très attendu album à la rentrée. Très attendu au moins par notre équipe qui les avait notamment régulièrement intégrés à ses playlists mensuelles, dont la Sounds Of 2024 dédiée aux artistes à suivre cette année.
Tu as commencé l'aventure DEADLETTER il y a 10 ans, n'est-ce pas ?
Wouah, oui, ça ne s'appelait pas DEADLETTER à l'époque, mais je suppose que ça faisait partie de la même saga.
Justement, quelles ont été les grandes étapes de cette saga ?
Peut-être que tout a commencé quand nous avons tous décidé de prendre des instruments électriques. C'était probablement le premier avant-goût de ce que nous allions devenir. C'était il y a neuf ans. J'ai pris une guitare électrique, et George est devenu le bassiste. Alfie a toujours été le batteur. Avant ça nous jouions simplement dans la rue et faisions la manche, c'est comme ça que tout a commencé.
Vous vous avez choisi l'électrique comme Bob Dylan (rires). Mais quelles étaient vos autres options? Acoustique, électronique ?
En fait, nos influences étaient plus folk au début. George et moi jouions de la guitare, mais lui c'était principalement de la mandoline. Ça nous allait bien pour jouer dans les rues d'une petite ville, nous avions besoin d'instruments qui pouvaient être entendus sans amplification. Mais je crois qu'au fur et à mesure, tes influences changent. Nous n'avions pas une idée précise de ce que nous voulions, mais nous savions que nous avions besoin d'un autre son. Pour certains c'est sûrement l'inverse, ils savent peut être précisément ce qu'ils veulent faire, genre être comme Nirvana, et plus tard sonner comme les Waterboys. Pour nous c'était plutôt l'intuition d'un autre son. Ça ne nous empêche pas de reprendre une guitare acoustique de temps en temps. Pour les autres étapes de notre évolution, je suppose que d'ouvrir notre groupe à d'autres musiciens et déménager à Londres ont été des éléments essentiels. Nous nous sommes appelés DEADLETTER à partir de janvier 2020. Il y a eu pas mal d'autres choses importantes comme de pouvoir jouer à travers le Royaume-Uni, mais aussi dans des pays européens. C'est super de pouvoir jouer dans tant d'endroits différents. Je ne le prends pas pour acquis et reconnais la chance que nous avons de pouvoir le faire.
Comment s'est passée l'installation à Londres en venant du Yorkshire ?
C'était un énorme changement. Surtout pour Alfie et moi, George s'y était déjà installé depuis un an pour étudier, donc il s'était déjà un peu habitué. Alfie connaissait déjà pas mal de gens ici, je pense qu'il s'est adapté assez rapidement. Je ne dirais pas que je ne me suis pas adapté, mais je n'avais aucune connaissance au-delà des trois personnes avec qui je déménageais, il y avait également le frère aîné d'Alfie, qui s'appelle aussi George. Pour moi c'était un environnement totalement nouveau et inconnu. Aucun de nous n'avait vraiment d'argent. C'était vraiment assez difficile au début, et c'était aussi un réveil assez brutal à dix-huit ans de passer de ce qui était une vie normale dans notre petite ville dans le nord à être soudainement plongé dans cette énorme ville, pleine de fausses promesses et d'opportunités que nous ne pouvions pas vraiment saisir. De juste devoir se lever pour faire des petits boulots et payer tes factures. Cet été là, avant de déménager, j'ai eu cette étrange sentiment de nostalgie que ce seraient mes dernières vacances d'été. Je venais à peine de terminer le lycée et c'était un énorme changement.
Tu es un vrai londonien maintenant, quels sont tes endroits préférés ?
Je vivais à Brixton, alors j'aime bien ce quartier. J'aime aussi beaucoup les espaces verts. J'ai une drôle de relation avec Battersea Park, car vers la fin du confinement, je vivais au sommet d'un immeuble à Battersea. C'était une période très difficile, et le seul réconfort que je trouvais était d'aller m'asseoir dans le parc. Je souffrais de la solitude et d'un sentiment d'isolement, et je pense que de pouvoir aller m'asseoir dans le parc avec un livre et de voir les gens passer me faisait du bien. Même quelqu'un assis à cinq mètres de moi sur un banc m'aidait à atténuer cette solitude. Mais je ne retourne plus vraiment à Battersea Park, car les souvenirs associés sont trop douloureux.
Parfaite transition avec le nouveau DEADLETTER de Londres. Le premier festival auquel j'ai assisté après le confinement était le Wide Awake dans un parc à Brixton. J'ai été surpris de voir qu'il y avait beaucoup de groupes avec six ou sept membres et beaucoup de saxophones (ndlr : black midi avec un ensemble de cuivres, Black Country, New Road, Mandrake Handshake, Squid, Crack Cloud...). Est-ce une nouvelle tendance ? Comment expliques-tu cela ?
Je ne sais pas. Nous n'avions pas une stratégie où nous nous serions dit que nous voulions inclure un saxophone. Nous n'avons pas cherché l'inspiration autour de nous et nous n'écoutons pas de groupes avec un saxophone. Nous n'avions pas non plus une idée précise du son auquel nous aspirions tous. Je pense que ce qui s'est passé, c'est que lorsque nous avons enregistré, ce qui est maintenant un single très ancien, Fit for Work, il semblait qu'il manquait quelque chose. Et nous avons cherché quelqu'un pour venir jouer du saxophone dessus. C'était un choix entre un saxophone ou un synthétiseur. Et je ne sais pas pourquoi, nous avons choisi le saxophone. C'est la première fois que nous avons envisagé l'idée qu'il pourrait y avoir un saxophone dans la musique de DEADLETTER, et c'était juste pour cette chanson. Et puis nous avons assez naturellement continué à écrire des chansons avec. Alors nous avons invité le saxophoniste à plus de répétitions, et nous avons fini par devenir un sextet.
En quoi est-ce différent d'écrire des EPs ou des singles par rapport à un album ?
Nous n'avons enregistré qu'un seul EP, mais beaucoup de singles. Nous espérions sortir un album plus tôt, mais c'est maintenant le bon moment. Il y a un certain nombre de chansons qui n'auraient pas été sur l'album si nous étions entrés en studio plus tôt. Donc ce n'est pas plus mal d'avoir attendu. Pour répondre à ta question, un single est presque comme lire un chapitre d'un livre, alors qu'un album est une histoire complète. Donc peut-être que c'est une manière plus approfondie de rentrer dans une œuvre. Sur un album tu as plus d'opportunités de faire connaître les différents aspects de ce que tu fais, que ce soit lyriquement, musicalement, ou créativement parlant en général.
Si Hysterical Strength était un roman, que raconterait-il ?
C'est une bonne question. Je ne sais pas vraiment. Ce n'est pas comme s'il y avait un concept unique qui domine tout l'album. Je dirais qu'il y a un style musical et je ne sais pas vraiment ce que c'est. Je pense que c'est de la musique sur laquelle tu peux bouger, voire même probablement danser. Et tu sais, comme avec la plupart des choses que j'écris, ou plutôt la plupart des choses que j'écris en tant que parolier, c'est principalement nourri par mes propres centres d'intérêt et mes propres observations. Je lis beaucoup, j'ai une passion pour la littérature que j'ai pu vraiment redécouvrir quand j'ai commencé à prendre l'écriture des paroles au sérieux. Et sans même m'en rendre compte, il y a quelques années, j'ai réalisé qu'il y avait beaucoup de thèmes bibliques et religieux dans mes paroles. Ce n'était pas un choix conscient, et ça ne l'est toujours pas. Je ne sais pas pourquoi, je tombe juste là-dessus même si je n'ai pas eu une éducation particulièrement religieuse. Je ne suis pas allé dans une école religieuse, donc je ne sais pas d'où ça vient. J'ai une sorte d'engouement pour la religion et la philosophie. Je ne pense pas qu'elles soient si éloignées l'une de l'autre. Il y a beaucoup de choses dans la Bible avec lesquelles je suis en désaccord, mais il y a aussi beaucoup de choses que nous pouvons appliquer à notre vie quotidienne sans être chrétien. Les notions de péché et de vertu et beaucoup d'autres perspectives sont intéressantes quelque soit tes croyances. Et à part ça, oui, c'est de l'observation. J'écris sur ce qui se passe autour de moi et je ne mets jamais de barrière sur ce que cela pourrait être.
Malheureusement, la plupart des paroles seront perdues pour le public français, c'est difficile d'écouter la musique et de faire attention à la signification des paroles quand ce n'est pas ta langue. Quelle est la chanson par laquelle commencer?
Spécifiquement sur l'album ? Hum... Je passe en revue la liste des titres de l'album dans ma tête. Évidemment, je suis fier de toutes les chansons, mais je choisirais Mother. Parce que bien qu'elle soit spécifiquement écrite en référence à un film, elle transcende cela. Ou Practise Whilst You Preach parce qu'elle est inspirée par une histoire vraie.
Peux-tu m'en dire plus sur le film qui a inspiré Mother ?
C'est Mother, un film du Coréen Bong Joon-ho. Après avoir regardé tous ses films je peux dire que c'est en fait l'un de mes réalisateurs préférés. C'est lui qui a fait Parasite. Mother est l'histoire d'une femme dont le fils est accusé de meurtre. C'est tout ce que je dirai, parce que ça vaut vraiment la peine d'être regardé, c'est incroyable. Les thèmes explorés dans ce film ont eu un impact si puissant sur moi qu'en moins de dix minutes de visionnage, j'ai dû m'asseoir et écrire des paroles à ce sujet. Je ne veux pas en dire plus, tu dois le regarder.
D'accord, tu me donnes envie de regarder un film maintenant d'autant que j'ai adoré Parasite. Pour revenir à l'album, je ne sais pas où il a été enregistré ou qui l'a produit. Peux-tu m'en dire plus à ce sujet ?
Oui, nous l'avons enregistré à Saffron Walden dans l'Essex, pas très loin de Cambridge, avec Jim Abbiss qui était vraiment incroyable. Je pense qu'il a su nous challenger de manière fructueuse. Il y a eu des moments où il nous demandait pourquoi nous faisions cela à tel endroit, et pourquoi cela se trouvait là. Et quand tu ravales ta fierté et que tu essaies, parfois ça marche, et parfois nous voulions le garder tel quel. A d'autres moments, c'est nous qui le challengions (rires). Mais non, c'était génial de travailler avec lui, et il a travaillé avec des gens assez réputés dans l'industrie de la musique (ndlr : Adele, Arctic Monkeys, Kasabian, Editors...). En toute honnêteté, il semblait vraiment savoir ce qu'il faisait, et son équipe était également excellente. Je dois mentionner Edd et Seth. C'était vraiment génial de travailler avec eux.
Le son de l'album est assez intemporel, je trouve qu'il aurait pu avoir été enregistré il y a quarante ans, ou dans quarante ans si nous avons encore de l'électricité dans le futur. Si votre musique devait être la bande originale d'un moment et d'un lieu spécifiques de l'histoire, où et quand serait-ce?
J'adorerais que les gens continuent à écouter notre musique dans trente ou quarante ans. Si c'est mémorable au point que les gens l'écoutent encore dans un demi-siècle, ce serait l'idéal, je dirais. En regardant en arrière, je ne sais pas vraiment. Je dirais les derniers jours de Rome, mais sans véritable raison, c'est juste venu comme ça.
Cela semble peut-être correspondre à la fascination pour les histoires bibliques...
Peut-être, oui. Peut-être que nous étions la bande sonore de la Cène, mais je pense que c'est très prétentieux et ça pourrait probablement offenser pas mal de gens de conviction religieuse. Donc je dirais cinquante ans à partir de maintenant, pourquoi pas ? C'est l'espoir, la prospérité. L'espoir est que vous ne soyez pas seulement apprécié dans un moment éphémère et qu'il y ait en fait une sorte de chronologie à ce que nous faisons.
Tu as mentionné que tu aimes les films. Je trouve vos vidéos très bien produites. J'en ai vu trois, et elles étaient toutes dans des styles différents. Comment travaillez-vous sur celles-ci ?
Ce que nous faisons est généralement très collaboratif entre nous et les réalisateurs. Nous leur envoyons la musique et les paroles et nous regardons ce qu'ils peuvent en tirer. Parfois, les gens ne comprennent pas vraiment les paroles, et je les explique alors en détail. Puis nous nous réunissons et commençons à lancer des idées. Ce que nous aimons, c'est que quelqu'un vienne avec une idée, parce que quand six d'entre nous essaient de prendre une décision, ça peut devenir difficile. Mais parfois, les idées fusent et ça marche. Mais il y a aussi des moments où nous décidons de confier à quelqu'un d'autre quelque chose que nous pouvons ensuite accepter ou refuser. Et puis nous nous asseyons avec eux et commençons à intégrer nos idées aux leurs. C'est généralement ainsi que cela se passe. C'est très collaboratif, nous n'avons pas encore fait de tournage où quelqu'un prend complètement les rênes.
Comment est-ce de travailler en groupe de six personnes ? Comment les décisions sont-elles prises ?
Cela peut être difficile parfois car il y a beaucoup d'opinions. Je pense qu'il y a eu des moments dans le passé où malheureusement nous n'avons peut-être pas fait assez d'efforts pour que chacun soit entendu. Mais je pense qu'il y a aussi un côté impitoyable à être créatif. Parfois il faut aussi faire les choses plutôt que juste discuter, si tu as une idée, prouve pourquoi c'est une bonne idée.
Tu écris toutes les paroles, n'est-ce pas ? Comment ça se passe pour la musique ?
Oui, j'écris toutes les paroles. Pour la musique c'est très collaboratif. Souvent, cela commence avec la basse et la batterie. C'est comme ça que beaucoup de nos morceaux sont nés. George et Alfie vivent ensemble, donc ils jouent souvent dans leur salon. Parfois, c'est juste eux deux et moi, et je peux jouer un peu de guitare, puis un des guitaristes développera cette idée. Ce n'est pas comme si quelqu'un devait absolument suivre ce que j'ai écrit. Si l'idée de départ est bonne, elle peut être développée. Je n'écris pas les paroles en fonction de la musique, j'écris juste des paroles. Ensuite, je cherche dans mon carnet quelque chose qui s'adapte à la musique. Parfois, je réagis consciemment ou inconsciemment au ton de la musique, au rythme et à la cadence. Parfois, nous nous réunissons tous les six dans la salle de répétition et écrivons des morceaux à partir de rien. Cela varie. Nous n'avons pas vraiment de formule. Il y a des choses qui arrivent plus souvent, mais pas de formule stricte à suivre pour écrire une chanson de DEADLETTER.
Comment vois-tu l'évolution de ta musique dans le futur ?
Je ne sais pas vraiment. Nous avons déjà commencé à travailler sur notre deuxième album mais je ne sais pas encore à quoi il ressemblera. Je ne sais pas si c'est bien d'en parler tout en faisant la promotion du premier mais nous avons commencé à y travailler. J'ai commencé à travailler avec un clavier et une boîte à rythmes pour voir comment ça peut évoluer en une chanson, je ne sais pas comment ça influencera notre musique. Je ne veux pas trop en dire, mais nous n'avons mis aucune limite à ce qui peut arriver. C'est imprévisible, tout peut arriver, nous ne nous sommes fixé aucunes limites dans ce groupe. Tout peut arriver.
Quel est le rapport entre l'écriture des chansons et les concerts ? Tu préfères l'un ou l'autre ?
Les deux sont totalement différents. Ce serait comme choisir entre avoir une table ou une fenêtre. On obtient quelque chose de complètement différent de chacun. L'écriture de chansons est la première étape pour ensuite jouer en live.
Que peut-on attendre d'un concert de DEADLETTER ?
Le mot "énergique" revient souvent. Je ne sais pas vraiment à quoi m'attendre parce que je n'y assiste pas en tant que spectateur. Mais chaque audience mérite le même spectacle, qu'il y ait cinquante, cent-cinquante ou cinq cent personnes. Même si certains ne savent pas qui nous sommes, en étant rigoureux dans notre performance, nous pouvons attirer leur attention. Nous serons en France en octobre [ndlr : à Paris, Cognac Tourcoing et Massy)
J'ai une dernière question. Tu m'as dit aimer lire, quels ouvrages recommandes-tu à nos lecteurs et lectrices ?
Voici quelques titres : Résurrection de Tolstoï, Rire dans la nuit de Vladimir Nabokov, Voyage au bout de la nuit de Céline... Qu'est-ce que l'ai lu récemment ? Ah oui, un très bon livre, I Served The King of England de l'écrivain tchèque Bohumil Hrabal. Quoi d'autre... La Faim de Knut Hamsun.
Je ne m'attendais pas à une liste aussi longue. Peux-tu nous dire quelques mots sur chacun ?
Rire dans la nuit est probablement l'un des meilleurs livres que j'ai jamais lus. Il a un humour très noir comme souvent avec Vladimir Nabokov, avec une fin horriblement sombre, mais aussi des moments assez doux. I Served The King of England est intéressant pour la naïveté du narrateur. Mais très vite ça devient quelque chose de très profond et sa manière de prendre les choses au premier degré est très belle. Je recommanderais Résurrection car il m'a fait réfléchir différemment à pas mal de choses, notamment sur le système pénal. Tolstoï fait des remarques qui peuvent sembler controversées au début, mais sont en fait très pertinentes. La Faim parle de la lutte d'un artiste, un artiste affamé, et bien que ma situation n'ait jamais été aussi désespérée, il y a des similitudes avec les défis d'être créatif aujourd'hui. Je vais m'arrêter là parce que je ne me rappelle plus des autres titres que je t'ai cité.
Il doit juste manquer Voyage au bout de la nuit, mais ça va être difficile de le vendre à nos lecteurs, c'est un auteur très controversé en raison de son racisme et son antisémitisme. J'ai lu ce livre, la langue y est très particulière, je me demande comment ça a été traduit...
Céline a influencé Jean Genet qui a à son tour influencé la Beat Generation. J'ai lu Ginsberg et Kerouac, j'arrive donc à le sentir quand je le lis.
Merci de nous en avoir dit plus sur l'album et pour toutes ces recommandations littéraires. Rendez-vous en octobre !