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Hot Chip
Metronomy
Late Of The Pier

Paris, Cigale - 16 novembre 2008

Live-report par Kris

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Si ce soir à la Cigale se déroulait l’un des meilleurs concerts du festival annuel des Inrocks – à la programmation la plus cohérente tout du moins – peut-être également l’une des plus jouissives soirées de l’année, il s’agit également de l’occasion de jauger de cette fascinante scène pop-électro-rock (dans cet ordre), aux forts relents rétro-futuristes de New Order, tirant vers le haut la créativité musicale d’aujourd’hui.

Dégonflons dans un premier temps la baudruche qui fait tâche dans cette soirée en parlant de Kennedy comme de l’exception qui confirme la règle. Le pauvre américain aura fait durement l’expérience ce soir de postulats pourtant déjà bien évidents, qu’il n’a su mettre en pratique, à la différence de ses congénères d’un soir : qu’il ne suffit pas de sonner dansant pour faire danser, et que la pop est un exercice d’équilibre fragile. Ainsi, armé de ses samples grossiers et de ses potiches choristes, Kennedy et son phrasé parlé-chanté, malgré une énergie débordante, quitta la scène, énervé par les quelques sifflets et huées du public suite à un show pathétique. Raccourcie et vite oubliée, la prestation de Kennedy et son slim violet à paillettes nous permettront d’apprécier d’autant plus le reste de la soirée.

La soirée s’ouvre donc sur les Australiens de Cut Copy, qui auraient probablement gagné à être programmés plus tard pour l’intensité, mais qui ont permit à la Cigale de se remplir très rapidement dès l’ouverture des portes. Sans ménagement, le quatuor nous aveugle par sa maîtrise et son univers à la fois forte et délicate. Avec Metronomy, Cut Copy possède probablement aujourd’hui le savoir-faire le plus efficace de la pop électronique. Forts de singles prenants comme Feel The Love, Lights And Music et l’addictive Hearts On Fire, les Australiens ont su très rapidement donner à la Cigale une allure de club new wave, aux basses dévastatrices, aux rythmiques diffuses et l’adresse pop incroyable. Ce qui marque rapidement chez Cut Copy est la qualité des compositions, qui parviennent à combler absolument toutes les attentes, des plus futiles aux plus aguerries, sans céder sur aucun front. Véritable objet de fascination, la pop de Cut Copy est pourtant encore à l’état brut.

Tout comme les Late Of The Pier qui viendront après Kennedy. Malgré les mêmes défauts que sur leur album – en même temps, ils ne vont pas refaire toutes leurs chansons – la prestation des jeunes anglais sera bien appréciable et appréciée. On retrouve ainsi dans cette demi-heure de set des compositions brouillonnes ponctuées d’excellentes idées, et la cohérence quasi-inexistante de leur son qui permettra de laisser voir un large éventail des qualités de musiciens inspirés mais foutraques. Défaut de jeunesse ou incapacité à se cadrer, les Late Of The Pier ont enchaîné des (bouts de) chansons aux influences diverses comme Black Sabbath, Led Zep ou même Moroder. Ambivalentes et instables, les compositions des quatre jeunes trublions font donc le yoyo, que ce soit au niveau de la qualité que des influences. Très réceptifs cependant, le public présent ingurgitera sans mot dire toute l’énergie délivrée par les jeunes anglais.

Plus posée et moins rentre-dedans, la musique de Metronomy fait donc suite à la fougue de leurs comparses. Attendu, le trio peut-être impressionné, délivrera un set sans folie, mais avec toutes les qualités qu’on leur connaît. Intangibles sur leur prestation chorégraphiée, les Metronomy ont néanmoins pu compter sur les valeurs sûres que sont A Thing For Me, The End Of You Too, et la formidable My Heart Rate Rapid pour se mettre la Cigale dans la poche. Un peu en retrait, les Metronomy ont préféré faire parler leur musique, qui a pu se faire ressentir comme une prise de distance d’avec le public. La prise de risque est du coup très minimale, qui en va de même pour leurs compositions jouées très fidèlement, parfois trop. On reste toutefois pleinement satisfait de cette prestation soignée, qui repose essentiellement sur des chansons qui n’en demandaient pas tellement plus pour atteindre leurs buts.

Faisant presque office d’ancêtres (et précurseurs) aux côtés de tous ces jeunes groupes, les Hot Chip clôturent donc cette soirée où ils sont têtes d’affiches. On peut apprécier ou non les albums, en totalité ou en partie, mais en concert, ces derniers ne vous laissent finalement pas le choix. Absolument jouissive, la prestation de Hot Chip en est presque totalitaire : on ne peut pas y résister. Sans surprise, les grands moments de la soirée furent les meilleurs titres de Hot Chip, comme Boy From School, Ready For The Floor et l’inévitable Over And Over. Véritables orfèvres rythmiques, les Anglais maîtrisent chaque rouage de leurs chansons, ne laissant absolument rien au hasard, construisant leur set comme un spectacle sans presque aucun temps mort. Les montées sont irrésistibles, déconstruisant chaque notion pour imposer ses propres codes, et en donnant lieu à des pogos orgiaques, transformant la Cigale et sa fosse-trampoline, en communion hédoniste dominicale.

Soirée d’exception de l’année 2008 sans conteste, cette programmation fut surtout l’occasion de définir ce que vaut cette scène émergente et fortement talentueuse. Fort empreinte d’une mélancolie sous-jacente, la musique électronique teintée de pop d’aujourd’hui brille par le contraste apporté par l’association d’une musicalité forte et dansante à cette conscience profondément humaniste. Terrain d’expérimentation sans limites de Cut Copy à Late Of The Pier, sous cette même bannière se retrouve désormais ces artistes qui ne font plus la différence entre les carcans des genres. Finalement, plus que le retour de la musicalité new-wave des années 80, le rétro-futurisme le plus marquant de cette soirée sera la capacité à faire danser un romantique, qui était déjà la grande marque de fabrique de Morrissey et de ses Smiths.

Aujourd’hui plus que jamais, il semblerait donc que plus rien ne soit ignoré et que l’heure soit à l’acceptation. La musique de demain est à une charnière où les influences, les époques, la subjectivité sont désormais mises de côté pour ne finalement garder que l’essentiel. Parfois maladroitement. Souvent futilement. Brasser la musique dans son ensemble pour toucher la vie même en son propre sein. Directement et prestement. En dansant en tant que tout, en tant que tous. Dansant sans oublier ses tracas, sans s’oublier. La musique qui nous fait danser en pleine conscience de soi. De la musique cérébrée et populaire. C’est ça, la musique d’hier et d’aujourd’hui, et probablement encore celle de nombreuses tomorrow’s parties.