Amplifier

Un quinquennat après Insider, Amplifer détourne la matière pour un album angoissant, touchant et poignant.

Par souci de conformité, on tient tout de suite à vous mettre en garde. Pour éviter tout malentendu, The Octopus n’est pas destiné à ceux qui n’aiment que les mélodies prévenues, le cocon du déjà-vu ou les voyages en GPS, idéal pour voyager sans risque. Non, le nouveau projet d’Amplifier est une aventure à la fois mystérieuse et orageuse où l’imaginaire, glaçant à souhait, est déjà leur réel. Sur fond de monde post-apocalypse, Amplifier s’est métamorphosé en une tribu d’énergumènes défiant les règles et les codes musicaux pour distiller un album défoncé, enfoncé et déjanté.
Pourtant, c’est avec une certaine méfiance que l’on a accueilli The Octopus, nouvelle œuvre de laboratoire de Amplifier. Une inquiétude, méritée ou non, peut-être plus quantifiable que qualifiable tant Amplifier semblait s’être libéré de ses bas-instincts entrevus sur Insider. Mais les deux volumes composés ne sont pas de trop et offrent, plutôt qu’un album un peu lourd, un équivalent rock aux films noirs à la David Lynch.
Pour tout simplifier, Amplifier offre des facettes différentes d’un même trouble : Des ombres, du brouillard, du bruit et une certaine idée du rock expérimental. Ceux qui aiment s’égarer sur ses terres célèbreront d’autant plus ce rock explosé complètement à la périphérie des codes esthétiques. The Octopus est, sans conteste, une expérience. C’est à dire une œuvre de fiction. C’est à dire des compositions nourries par des personnages réels, propulsées par leur irréalité. Tantôt explosif, tantôt intense, Amplifier intellectualise la démarche et s’aménage un petit refuge de curiosité et d’expérimentation.

Voila comment le trio livre des chansons obscures, presque paniquées et saupoudrées d’une évidente violence intime (The Wave). Ou comment définir le thème d’un enfer circulaire dont ils ne sortiront jamais. Un enfer où régissent fantômes et esprits phosphorescents. Si le rock est la musique du diable alors, à coup sûr, Amplifier entre dans cette idéologie. Un avènement à prendre davantage sous l’angle ténébreux que sous l’angle macabre. Car l’enjeu se trouve là : transformer un album en laboratoire de mutations sonores pour en exhumé la tourmente. Hors de question, donc, de comparer Amplifier à ces jeunes bandes d’ados pré-pubères vénérant aveuglement les ambiances sataniques pseudo-rebelles de groupes au bord du suicide. Ici, chaque son est réfléchi, chaque moment relève du pointillisme, chaque note entre en confrontation avec la suivante.
The Octopus promettait des sonorités très musclées, Amplifier fait mentir toutes les rumeurs. Du moins en partie. Alternant les morceaux post-rock confinés au métal et des morceaux expérimentaux à la fois complexe et intriguant, The Octopus ressemble à un édifice. Un monument obscur et lointain où Amplifier apaise ses écorchures. En sortant de cet album, riche en lectures multiples et au rythme d’enfer, la tête tremble, l’esprit psychose comme un fou cédant à sa propre folie.
Et comme si cela ne suffisait pas, les mancuniens s’essayent même, comme sur Minion's Song, à la ballade pop orchestrale. Moins facile à appréhender que les mièvreries pop de James Blunt ou les incessants « lalala » de Lily Allen, ce titre distille une nouvelle facette d’Amplifier. Cohérente et radicale.

Assurément, le troisième album d’Amplifier est retentissant. Bruyant, mais pas brouillon et d’une ambition bouleversante : chanter un monde nouveau comme un crépuscule. Une vision nouvelle dont on entend encore les échos.