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Radiohead

The King Of Limbs

Radiohead - The King Of Limbs
Chronique Album
Date de sortie : 28.03.2011
Label : XL Recordings
4
Rédigé par Amandine, le 29 mars 2011
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Depuis quelques semaines, le monde de la musique vibre au gré des annonces de Radiohead, chacun se rangeant dans le camp des détracteurs, par principe, ou des fans inconditionnels.
Le 14 février dernier, en guise de cadeau de Saint-Valentin (mais surtout la veille des Brit Awards, symbole du capitalisme de l'industrie musicale que Thom Yorke exècre tant), le groupe annonce la sortie d'un nouvel album, à peine quelques jours plus tard. Finalement, c'est avec un jour d'avance, le vendredi 18, que The King Of Limbs est disponible en téléchargement légal. Quelques heures après sa sortie, le précieux joyau est déjà l'objet d'un déferlement de chroniques, plus ou moins subtiles. On sent le journaliste irrité d'être relégué au rang de vulgaire fan, se procurant le fichier en même temps que les autres.
Ce que l'on ne peut reprocher à Thom Yorke et sa bande, c'est une stratégie de communication réglée comme du papier à musique et semblant imperméable à la moindre fuite ; des innovations et des surprises à n'en plus finir (distribution ce lundi Place Pompidou d'un « newspaper » officiel). Finalement, on tergiverse plus sur la méthode de distribution que sur le contenu en lui-même, mais les cinq ne semblent pas se préoccuper de ce genre de détails.

« La déception est à la hauteur de mes attentes » , telle fut ma réaction après la première écoute de The King Of Limbs le jour de sa sortie digitale. En effet, difficile de nuancer son jugement et de le rendre le plus impartial possible, tenter d'oublier que Radiohead est devenu le groupe majeur de ces quinze dernières années. On peut facilement se laisser décevoir si on attend une montée en puissance à chaque album ; on espérait néanmoins secrètement des titres dans la lignée de Hail To The Thief, celui-là même qui avait réussi à allier le synthétique aux riffs de guitare, la musique électronique au rock, deux domaines où ils excellent.
Avec Radiohead, on a appris, depuis OK Computer, mais surtout depuis Kid A, à ne plus rien attendre de particulier, à se laisser surprendre. Justement, c'est là que le bât blesse lorsqu'on découvre The King Of Limbs. Il semble être un épuré du diptyque Kid A/Amnesiac, encore plus conceptuel, peut-être moins nuancé et encore plus déshumanisé. Si les deux chefs-d’œuvre avaient bouleversé la carrière du groupe, c'était il y a déjà dix ans et à l'écoute de Feral, on a l'impression d'entendre une face-B de Kid A.

Partout sur la toile, on lit des inepties relevant presque de la magie, selon lesquelles un nouvel album de Radiohead doit s'écouter au minimum sept fois dans trois lieux différents ou au contraire en boucle. Ce serait seulement à partir de ce moment que l'on en comprendrait l'essence. Ce concept a quelque chose de dérangeant : pourquoi devrait-on donner une deuxième chance à un album qui de prime abord ne nous plaît pas ? Parce que c'est Radiohead ?
Ce statut privilégié, même s'il est grotesque, devient un postulat pour les Oxfordiens. Peut-être parce que la beauté de leur musique, plus particulièrement pour ce King Of Limbs, réside dans les subtilités, même si la première écoute est plus rugueuse. Huit titres, trente-sept minutes, c'est peu pour convaincre, surtout lorsqu'on ne choisit pas de faire dans la dentelle et dans l'immédiateté.
Une fois encore, Radiohead jouent sur le terrain de l'abstraction et de l'expérimentation (même si elle est moins audacieuse que par le passé), parfois en défaveur des mélodies accrocheuses. On peut saluer le travail de mixage et de son, mais venant de monomaniaques comme eux, c'était presque la moindre des choses.

Seulement voilà, même en ressentant ponctuellement une légère impression de déjà-vu (les arrangements vocaux de Morning Mr. Magpie viennent nous rappeler ceux d'Everything In Its Right Place par exemple), le groupe se fait de plus en plus subtil, cherchant à innover dans le détail. Pour témoin, Codex, titre épuré ou chaque instrument fait vibrer la corde sensible de l'émotion : soutenu par un beat aux allures de battements de cœur, un piano, quelques cuivres discrets et ce joli vibrato de cordes, son enchaînement, sur des chants d'oiseaux avec Give Up The Ghost, sa guitare sèche et ses superpositions de lignes vocales, avec le fil conducteur en arrière-plan, ce « don't hurt me » ou encore Little By Little et ses arpèges dissonants.
Feral, de prime abord grossier avec sa rythmique qui n'aurait rien à envier au mentor de Thom Yorke, Modeselektor, se révèle finalement beaucoup plus délicat qu'il n'y paraît, notamment grâce au travail sur le son tourbillonnant ou à cette voix spectrale venant hanter le morceau. Lotus Flower (et son clip épileptique sans grand intérêt) sera probablement la chanson la plus immédiatement accessible de l'album, de par son format plus traditionnel, plus proche de ce que l'on connaît du groupe. Là encore, la rythmique jazzy, les quelques claps glissés de même que les nappes de synthé vaporeuses viennent nous rappeler que Radiohead ne fera jamais dans la simplicité.
Les mauvaises langues diront que The King Of Limbs est plus un album solo de Thom Yorke, il n'empêche que les autres ne sont pas en reste (la ligne de basse agressive qui porte Bloom, sa batterie jazz/dubstep).

On espère que la suite (peut-être prochaine, comme pourrait le laisser présager le « If you think it's over, then you're wrong » de Separator) sera encore meilleure et innovante car même le plus joli des royaumes, sans sujets, n'a pas grand intérêt. La remise en question perpétuelle, leitmotiv radioheadien, est ici mise de côté et on déplore un manque d'inspiration ou d'ambition à certains moments.
Oubliez les guitares à la Just, ici, Radiohead fait ce qu'il aime : du son. On tombe alors dans une atmosphère plus qu'autre chose et elle suscitera ou non des émotions. Sans ligne mélodique prépondérante, on comprend que les cinq ne cherchent pas à rallier un public à leur cause mais plutôt à déstructurer et à ébranler nos habitudes acoustiques. L'affect devient-il alors plus important que le reste ? On est en droit de se poser la question.
tracklisting
    01. Bloom
  • 02. Morning Mr. Magpie
  • 03. Little By Little
  • 04. Feral
  • 05. Lotus Flower
  • 06. Codex
  • 07. Give Up The Ghost
  • 08. Separator
titres conseillés
    Little By Little, Codex
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