Manic Street Preachers

Trente-deux ans de carrière, ça en fait du matériel à revisiter, remasteriser et surtout à célébrer dans l'histoire d'un groupe. C'est ainsi au tour de Know Your Ennemy de fêter en 2022 sa double décennie (+1, l'album datant de 2001). Comme un petit rituel attendu de pied ferme par les fans des Gallois, ou au tournant par les détracteurs qui fustigent ce procédé basé sur une nostalgie d'un temps qui n'est plus, les Manic Street Preachers nous offrent en cette rentrée le coffret Deluxe de Know Your Ennemy, composé de trois disques qui, une fois n'est pas coutume, sort un peu du cadre convenu de la réédition anniversaire.

Nous retrouvons comme toujours avec le groupe une esthétique des plus soignée avec ce nouvel objet de collection. Un artwork qui reprend l'original mais qui passe sur des teintes noires, bleutées et argentées, comme pour attiser les flammes qui émanaient du nouvel opus à l'époque. Sorti en ce début de vingt-et-unième siècle qui ne voyait en rien se détendre les tensions mondiales, tiraillé par les conflits dans les Balkans et à l'aune du tsunami qui ravagea la planète à la suite du 11 septembre, l'état d'esprit des membres du groupe était loin d’être serein. Syndrome post-succès commercial de This Is My Truth Tell Me Yours avec ses millions de vente et sa tournée mondiale garnies de stades et d'hôtels de luxe, une bonne grosse dépression s'installa chez la plume déjà fragile du groupe, Nicky Wire.

Sans refaire l'histoire, Know Your Ennemy était attendu avec impatience. Album fortement militant, aux nuances rouge vif comme l'étendard d'un socialisme toujours porté par le groupe, son tracklisting composé de brulots anti capitalistes et de morceaux intimes proposait un mélange peu homogène et pour certains difficile à comprendre. Malgré des pépites d'une honnêteté confondante, l'expression des opinions politiques était parfois bien maladroite. Rappelons au passage que Nicky Wire et ses comparses abordaient à peine la trentaine et devaient gérer un nouveau statut de groupe de stade. Les morceaux comme Intravenous Agnostic, Dead Martyr, Freedom Of Speech Won't Feed My Children et Found That Soul cohabitaient étrangement avec So Why So Sad, Royal Correspondent ou le déchirant Ocean Spray (à propos de la mort de la mère de James Dean Bradfield, seul titre écrit de sa main), ces derniers se voulant beaucoup plus personnels.


Avec une volonté de casser leur image de musiciens à groupies, les Manic Street Preachers prirent la courageuse décision d'être le premier groupe d'occident à se produire à la Havane depuis des décennies, lors d'un concert aussi particulier qu'intense joué au Teatro Karl Marx le 17 février 2001, accompagné d'une rencontre avec Fidel Castro qui, bien que brève et très formelle, immortalisée sur le DVD du show, reste un souvenir fort mais regretté en partie par le groupe aujourd'hui.
Depuis lors, comme va dorénavant être marquée la carrière des Gallois, un va-et -vient dans le cœur du public (hors noyau très dur d'une fan base qui continue malgré l'apparition des tempes grisonnantes à leur accorder une dévotion sans faille) avec des scores dans les charts fluctuants mais toujours une reconnaissance de la part de leurs pairs.

Know Your Ennemy version 2022 propose une revisite des plus particulière. Les pistes d'origines entièrement remasterisées gagnent en clarté avec la voix de James Dean Bradfield encore un brin juvénile mais tout aussi puissante qui n'avait pas encore fait les frais des longues années de clopes et de tiraillements abusifs des cordes vocales. Ce qui ressort est le tracklisting qui est structuré comme il avait été originellement pensé : non pas un mais deux disques étaient alors prêts à être livrés. On y trouve aujourd’hui une véritable harmonie dans le déroulé qui évite les contrastes trop brutaux. Le disque 1 appelé Door To The River se déroule lentement mais sûrement, et réintègre certaines chansons écartées que l'on a par la suite vu apparaître sur le premier Best Of Forever Delayed et la très bonne compilation d'inédits sortie en 2002, Lipstick Traces.
Les morceaux Door To The River et Just A Kid reprennent tout leur sens entourés des B-sides enfin mises en valeur comme Rosebud et Goundhog Days. Les remixes viennent se mêler aux titres originaux et permettent d‘apprécier le travail minutieux de ces techniciens de studio affirmés.


Le disque 2, Solidarity, passe la vitesse supérieure avec les titres phares de l'album, ceux qui se placent dans un registre politisé. On retrouve enfin dans le tracklisting The Masses Against The Classes, pierre angulaire du répertoire engagé mais subtil post Richey Edwards que Nicky Wire va affuter années après années. De nombreuses raretés sont mises en lumière : Studies In Paralysis, Locust Valleys et Masking Tapes avec leurs guitares métalleuses ou le titre improbable Ballad Of Bangkock Novotel, chanté par Nicky Wire et qui doit être le pendant de l'ovni du disque original, Miss Europa Disco Dancer avec sa patine groovy et vintage, un guitariste qui tient la basse et son contraire, et ses choeurs à base de « Brain Dead Motherfuckers » que nous réclamons toujours à corps et à cri en live vingt ans après.


Pour les plus accros et/ou curieux, arrive dans le très beau coffret Deluxe le disque 3 et ses traditionnelles démos que nous découvrons sous des formes aussi primitives que cocasses, à grand renfort de bandes son enregistrées sur cassette (avis aux afficionados du retour d'un son plus que douteux dont on aura mis un temps fou à se débarrasser, nous ne les remercions pas) au plus près de l'intimité des musiciens : les essais « interprétés » par Nicky Wire dans son propre garage ou sa cuisine, qui avec son don pour le chant plus que limité sont un régal et un sympathique clin d'œil aux fans.

Know Your Ennemy n'a en rien mal vieilli. Le redécouvrir en y apportant tous les éléments écartés à l‘époque par la maison de disque pour rendre le tout commercial et préparer le groupe à un nouveau raz de marée populaire (qui n'arriva que partiellement) permet de réellement capter la philosophie de cet album troublé. C'est une belle marque de respect envers les fans qui ainsi ne se contentent pas de simplement combler leurs étagères. Il rend également justice aux Manic Street Preachers qui peuvent, vingt ans après, justifier de leur choix de l'époque avec le meilleur des arguments : la musique.