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Arctic Monkeys - The Car
Chronique Album
Date de sortie : 21.10.2022
Label : Domino Records
4
Rédigé par Jordan Meynard, le 21 octobre 2022
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« That rock 'n'roll, eh? That rock'n'roll, it just won't go away. It might hibernate from time to time, sink back into the swamp [...] It seems like it's faded away sometimes, but it will never die. And there's nothing you can do about it » (ndlr : « Ce rock'n'roll, hein ? Ce rock'n'roll ne disparaîtra jamais. Il peut se mettre en sommeil de temps en temps, retomber dans l'oubli [...] On dirait qu'il s'estompe parfois, mais il ne mourra jamais. Et ça, personne ne peut rien y faire »), déclarait un Alex Turner tout juste auréolé de deux récompenses aux Brit Awards 2014 (ndlr : Meilleur groupe britannique et Meilleur album pour AM). Quelle ne fut pas la surprise de son public lors de la parution quatre ans plus tard de Tranquility Base Hotel & Casino - sixième effort des Arctic Monkeys au concept rétro-futuriste tout droit sorti de l'imagination débordante d'Alex Turner - où les morceaux s'habillaient de sonorités vintage et mettaient en scène un étrange complexe hôtelier du futur, implanté sur la Lune. Un triomphe artistique qui laissa néanmoins sur le carreau plusieurs fans de la première heure, plus sensibles aux formules acquises et autres gloires passées qu'à un renouvellement artistique perpétuel. Un scepticisme de courte durée qui n'empêcha pas ces mêmes personnes de contribuer au succès de la grande tournée mondiale donnée pendant toute une année par le groupe, à l'orée de la crise sanitaire. Avec la décrue progressive de l'épidémie et la levée des nombreuses restrictions, les rumeurs sur le septième album allèrent bon train (notamment via le hashtag #AM7 sur les réseaux sociaux). Mais les natifs de Sheffield préférèrent publier Live At The Royal Albert Hall, album live dont les bénéfices furent reversés à l'ONG War Child UK, qui fournit une assistance aux enfants dans les zones de conflit. Une cause caritative qui reste tristement d'actualité encore aujourd'hui.

Il faudra finalement attendre le mois de mai 2022 et la programmation d'une tournée colossale des festivals - avec notamment un passage par Rock en Seine - pour être conforté sur un retour aux affaires. Il ne faut d'ailleurs pas attendre longtemps pour que la sortie de l'album The Car soit annoncée pour le 21 octobre chez Domino Records. « It took us a lot longer to get to the end point of this one » (ndlr : « Il nous a fallu beaucoup plus de temps pour arriver au point final de cet album »), confiera même Alex Turner au sujet de ce délai inhabituel de livraison, lui qui est déjà l'auteur de neuf albums, deux disques live et 3 EPs (projet solo et The Last Shadow Puppets inclus) à seulement 36 ans.
Que faut-il donc attendre d'un groupe qui n'a jamais pris autant de temps pour sortir un disque, lui qui n'a de cesse de se réinventer en un laps de temps réduit ? Alors que chacun y va de sa théorie et que certains invoquent de tout leur être un retour au rock qui a porté le groupe au pinacle, la réponse ne se fait pas attendre. Le couperet tombe lors de la première prise de parole du batteur Matt Helders dès le mois de mai : « It's never gonna be like R U Mine? and all that stuff again » (ndlr : « Ce ne sera plus jamais comme R U Mine? et tous ces trucs ») avant de renchérir : « It kinda like picks up where Tranquility Base Hotel & Casino left off musically » (ndlr : « C'est un peu comme reprendre musicalement là où Tranquility Base Hotel & Casino s'est arrêté »). Les nostalgiques et autres débutants - arrivant principalement de TikTok où certaines de leurs chansons sont devenues virales - sont vite en sueur, jusqu'à une déclaration encourageante de Turner, qui assure que la « Sci-fi is off the table » (ndlr : « La science-fiction n'est plus d'actualité »). Est-ce que The Car signe enfin le retour des Arctic Monkeys sur la terre ferme ?


Fort est de constater que le retour sur Terre a bien été opéré, puisque la pochette de The Car nous transporte au sommet d'un parking, sur un toit de Los Angeles, où se trouve une Toyota Corolla blanche solitaire. On ne sait pas comment la berline est arrivée là, ni ce qui se cache dans le coffre ou la boîte à gants, ou encore si elle est responsable des marques de pneus à proximité, mais avons-nous réellement besoin de chercher ? Décoder cet artwork Breaking Bad-esque revient à tenter de déceler les secrets de fabrication du groupe lui-même ; c'est mystérieux, inhabituel et surtout, cela fait partie du plaisir de découvrir ce qu'il nous concocte au fil des années. Tout ce que l'on sait, c'est que le point de départ de l'album s'est fait dans un monastère du 14ème siècle dans le Suffolk, comté situé au nord-est de Londres. L'Angleterre toute entière retenait son souffle, unifiée par son équipe nationale de football qui disputait l'Euro 2020 avec un an de retard. L'anecdote dit même que le planning d'enregistrement du groupe était établi en fonction du parcours des Three Lions durant la compétition... Il s'en suit une délocalisation à la Frette, le studio-manoir en périphérie de Paris - qui avait déjà servi d'écrin pour une grande partie de l'enregistrement de Tranquility Base Hotel & Casino - pour capturer les voix, puis direction les studios RAK à Londres où une section de cordes de dix-huit musiciens a donné vie aux arrangements composés par Turner.

Le premier extrait à avoir été révélé, également piste introductive de ce nouvel opus, There'd Better Be A Mirrorball, ne fait pas seulement état d'un lyrisme plus accessible, c'est aussi l'une des chansons de rupture les plus limpides et les plus claires que Turner ait écrites depuis des années, à l'aide de son nouvel instrument de prédilection : le piano. L'absence de riff à la guitare et de ligne de basse notable est une merveilleuse exclusion qui permet de se délecter du plaidoyer poétique de Turner. Cela nous permet également de profiter des cordes luxuriantes répétant la même progression d'accords simple et triste, qui capture l'élégante construction lente possédée par tant de thèmes de la saga James Bond des années 60. I Ain't Quite Where I Think I Am nous transporte à la décennie suivante, période durant laquelle le funk n'est plus boudé par le public grâce à son association avec le disco. Période oblige, Turner a sorti des placards une pédale wah-wah, l'un des effets signature du plus grand ambassadeur du genre en la personne de Jimi Hendrix. Les six cordes sont accompagnées d'une basse funky et d'une voix lounge avec des arrangements à cordes cinématographiques et nostalgiques. Un morceau qui ne tombe pas loin du chemin arpenté par les Arctic Monkeys en 2018 avec Tranquility Base Hotel & Casino. En revanche, exit les Starlight Express et autre Action-Information Ratio (célèbres adages fictifs de la chanson Four Out of Five), le morceau regorgeant de virelangues made in Turner : « The disco strobes in the stumbling blocks » (ndlr : « La disco stroboscopique dans la pierre d'achoppement »). Une imagerie aussi curieuse qu'efficace qui permet à son auteur de contourner la vraie tristesse qui le préoccupe et qu'il fait probablement tout pour fuir au jour le jour.

Un sentiment qui se perpétue quand l'atmosphère se fait oppressante comme dans Sculptures Of Anything Goes. On sent que le stress dégagé par un synthé menaçant peut submerger le cœur au point de donner l'impression qu'il pourrait exploser. Malheureusement, dans ce cas précis, on passe directement des symptômes à l'encéphalogramme plat sans la moindre perturbation. « That [song] does remind me a little bit of some of the desert-ier side of the AM record from 2013. It feels like there's still a bit of that dust in there » (ndlr : « Cette chanson me rappelle le côté désertique de AM de 2013. On dirait qu'il y a encore un peu de ce sable dans le morceau »), corrobore Turner. Nous restons pourtant sur notre faim.
Alors que nous commençons à montrer des petits signes de déception, le chanteur brise le quatrième mur dans ledit morceau pour nous narguer : « Guess I'm talking to you now / Puncturing your bubble of relatability / With your horrible new sound » (ndlr : « Je suppose que c'est à toi que je parle maintenant / Éclatant ta bulle de sociabilité / Avec ton nouveau son horrible ») . La chanson suivante Jet Skis On The Moat signe le retour de cette guitare funk, que l'on juge presque « hors propos » après avoir terminé l'écoute de l'album, et accentue l'idée que le son de chaque piste est en perpétuel mouvement, laissant apparaître délibérément les cordes de façons floue avant de s'effacer à nouveau pour faire la part belle aux instruments électriques. La quintessence de ce mélange se fait sur Body Paint et son piano avant que les cordes ne prennent le dessus avant une deuxième mi-temps où les guitares granuleuses poussent la chanson dans une direction un peu plus rock. La voix mi-parlée, mi-chantée de Turner est superbe, passant d'un récit plaintif à ces notes de falsetto, technique assez proche de la voix de tête pure, qui rappelle un certain David Bowie sur Hunky Dory. L'ambiance sonore nous plonge d'ailleurs dans les années 70 du 7ème art, contraste parfait au cinéma d'art et d'essai véhiculé par Tranquility Base Hotel & Casino.


Le titre éponyme The Car nous téléporte d'ailleurs dans un saloon abandonné entouré par les paysages arides, forts et sauvages de l'Ouest Américain, que peut dépeindre avec brio les films d'Ennio Morricone, un solo issu de The Dark Side Of The Moon en prime. Si le genre du western spaghetti avait déjà été apposé aux travaux de Turner - notamment avec les Last Shadow Puppets - jamais le curseur n'avait été poussé aussi loin, prouvant une nouvelle fois l'implication du groupe dans son nouveau dessein. Big Ideas est un autre morceau magnifiquement orchestré, et sûrement le plus abouti de ce disque. Il pourrait même faire le tour de force de rameuter ceux qui n'ont pas adhéré au voyage spatial de 2018. Hello You continue dans l'opération séduction avec ses réminiscences de Knee Socks, pendant que Matt Helders poussent le groupe vers l'avant avec un jeu de batterie qui, bien que discret, ne doit pas être sous-estimé.
On retrouve plusieurs inspirations de musiques françaises dans ce morceau - Initials B.B. de Serge Gainsbourg en tête - qui rappellent celles présentes sur la mystérieuse playlist Spotify intitulée Del Schwartz, qui en disait long sur les sonorités abordées dans cet album et que les fans avaient attribuée à Alex Turner (malgré un récent démenti peu convaincant de la part de l'intéressé). Mr Schwartz, justement, nous offre un nouveau morceau contemplatif au rythme de percussions bossa nova, et nous emmène tout droit à la fin de l'album, conclu de la plus belle des manières par Perfect Sense. « A four figure sum on a hotel notepad / A revelation or your money back / That's what it takes to say goodnight / Sometimes wrap my head around it all / And it makes perfect sense » (ndlr : « Une somme à quatre chiffres sur un bloc-notes d'hôtel / Une révélation ou un rembousement / C'est maintenant ce qu'il faut pour dire bonne nuit / Parfois, j'essaye de comprendre / Et ça me semble parfaitement logique »), chante Turner. Une bribe de texte parmi tant d'autres qui nous conforte dans l'idée que le chanteur lutte avec sa propre place dans le monde. Si comprendre sa plume n'est déjà pas chose aisée, il faudra réitérer les écoutes pour s'en assurer.

S'il est difficile d'accepter que The Car est le septième album des Arctic Monkeys et non pas une BO commandée pour la prochaine saga de 007, Turner et ses acolytes ont démontré qu'ils étaient experts dans l'élaboration d'une expérience complète. Il est maintenant clair que le groupe est plus intéressé par le fait de créer une ambiance dans chaque titre plutôt que de fabriquer des hymnes de club. Certains scandent à qui veut l'entendre que le groupe a changé, qu'il ne s'agit plus de la même musique qu'à leurs débuts, et pourtant la bande de Sheffield n'a jamais été aussi fidèle à ses plus célèbres adages prononcés en 2006. « Whatever People Say I Am, That's What I'm Not », « Don't Believe The Hype »... Vous vous souvenez ? Depuis seize ans maintenant, nous avons la chance de voir un groupe suivre aveuglément l'instinct créatif de son leader en dépit des espoirs, et parfois même de la pression, que les masses peuvent mettre sur lui. Au lieu de rester sur leurs acquis et assurer leur pérennité en utilisant une recette qui a déjà fait ses preuves, les Arctic Monkeys préfèrent, à chaque album, sortir de leur zone de confort, défier toutes les attentes et se mettre en danger. L'art, et dans ce cas la musique, a tout à y gagner.

The Car sonne comme un album de fin de carrière que quatre Anglais ont réussi à créer alors qu'ils ont à peine la trentaine passée. Un disque aux allures de chant du cygne qui deviendra un classique dans les années à venir.
tracklisting
    01. There'd Better Be A Mirrorball
  • 02. I Ain't Quite Where I Think I Am
  • 03. Sculptures Of Anything Goes
  • 04. Jet Skis On The Moat
  • 05. Body Paint
  • 06. The Car
  • 07. Big Ideas
  • 08. Hello You
  • 09. Mr Schwartz
  • 10. Perfect Sense
titres conseillés
    Body Paint, Big Ideas, Hello You, Perfect Sense
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