Enter Shikari

En 2007, une petite bande de jeunes de Saint-Albans sortait un premier album emo, bruyant et plein de cris, mêlant gros riffs metal et sons electro bien énervés. A l'époque, les quatre anglais s'étaient bien amusés, comme en témoigne le vidéo clip de Sorry You're Not A Winner, tourné chez le batteur du groupe, en l'absence de ses parents. Qui n'est pas nostalgique en réécoutant le morceau et en tapant trois fois dans les mains après le riff d'intro ? Seize ans après, le quator est un peu moins énervé, le chanteur Rou Reynolds mieux dans sa peau, l'énergie toujours aussi présente, et l'ambiance extrêmement solaire et positive, comme l'indique le titre de cet album, A Kiss For The Whole World.

Si l'on retrace le parcours musical du groupe, beaucoup de choses ont changé, même si la fusion des styles est toujours bien présente. Niveau paroles, si le premier album Take To The Skies abordait déjà de manière inconsciente les thèmes qui seraient développés par la suite, l'engagement du groupe sur les questions sociétales apparaît clairement à partir du deuxième disque, Common Dreads. Musicalement, ils se plongeaient dans un style post-hardcore accompagné de grands coups de synthétiseurs, de bruits électroniques et, souvent, de hurlements. Sans toujours se prendre au sérieux, créant parfois des personnages aux voix et accents divers, accompagnés d'arrangements dignes d'une fête foraine ou d'un cirque. Quelques années plus tard, A Flash Flood Of Colour, le plus électronique et sombre de leur discographie, nous plongeait dans l'angoisse de l'humanité qui court à sa perte, épuisant les ressources, créant des guerres profitant aux plus riches, niant le réchauffement climatique, et toutes ces joyeusetés.

Un tournant s'est opéré sur l'album suivant, le très réussi The Mindsweep, où le groupe se laissait plus de place et de temps dans l'instrumentation. En voulant éveiller les consciences, le groupe avait peut-être lui-même réalisé que les morceaux pouvaient être plus puissants et marquants en laissant l'auditeur reprendre sa respiration.
Un virage plus important a ensuite été pris avec The Spark, nettement plus pop, calme, sans cris metal, mais très plaisant et réussi, avec un Rou Reynolds vulnérable nous montrant désormais un chant beaucoup plus clair et maîtrisé. Puis, il y a trois ans, en plein confinement lié au COVID-19, la sortie du jouissif Nothing Is True & Everything Is Possible confirmait leur envie de faire entrer un aspect plus pop dans leur musique, tout en conservant leurs vieilles références comme The Prodigy.


Leur septième album sortant en ce printemps 2023, A Kiss For The Whole World, continue dans cette même veine, avec une tonalité nettement plus joyeuse encore. Rien que l'introduction, morceau éponyme commençant en fanfares avec une trompette et se terminant dans la forêt entouré d'oiseaux et d'un ukulélé, annonce la couleur. Mais ne vous y trompez pas : Enter Shikari ont encore des choses à dire ! Et comme d'habitude, de nombreux clins d'œil à leurs précédents albums sont cachés çà et là au sein des morceaux (écoutez bien les paroles).
It Hurts, second single sorti après (pls) set me on fire, est un parfait mélange entre un son pop et des paroles emplies d'encouragement et de positivité (pas de refus en ces temps-ci), et un pont techno redoutable comme le quatuor sait en faire depuis toujours.

Leap Into The Lightning se construit sur un riff de guitare sombre puis solaire, et un synthétiseur relevant le tout, créant un clair-obscur pas désagréable, avant d'enchaîner sur l'interlude drum and bass feed yøur søul. L'aspect orchestral déjà présent sur le disque précédent revient alors sur Dead Wood, mêlant violons et synthétiseurs, pour une dimension épique, se terminant avec un mantra qui sera certainement repris en chœur par le public en live.
Enchaînant les effets électroniques, mêlés à de gros riffs de guitare peu subtils, Jailbreak invite qui veut bien l'entendre à s'interroger sur le monde qui l'entoure et en particulier sur ses propres croyances, comme pour contrer le côté néfaste de l'effet « chambre d'écho » créé par les réseaux sociaux.


Bloodshot, accompagné pour sa sortie d'un magnifique vidéo clip sous l'eau en format vertical, semble d'ailleurs évoquer l'abrutissement causé par certaines plateformes publiant de courtes vidéos se répétant à l'infini (probablement TikTok, sur laquelle les musiciens se sont bizarrement récemment inscrits), ou encore le monde merveilleux des influenceurs et influenceuses. La musique et l'instrumentation y sont nettement plus sombres et menaçantes, telle une mise en garde.
A l'apogée du mélange des genres, à ne plus savoir où se situer, goldfĭsh ~ balade qui l'écoute entre pop, rap, hip-hop et rock. Le disque se termine alors sur un titre en deux parties, sobrement intitulées Giant Pacific Octopus (i don't know you anymore) et giant pacific octopus swirling off into infinity... Dans un style plus « générique » que le reste de l'album, ces deux morceaux terminent l'album en douceur en questionnant l'identité (la sienne et celle des autres).

Même s'il est beaucoup plus digeste que A Flash Flood Of Colour à la première écoute, ce septième disque demande a minima deux ou trois écoutes pour le comprendre et l'apprécier à sa juste valeur, comme souvent avec les albums du quatuor, riches en détails. Musicalement à des années lumières de l'énième revival post-punk actuel de la scène britannique et irlandaise, Enter Shikari est un groupe dont la musique demande à être apprivoisée, et avec un soupçon de patience (et si vous êtes réceptifs au genre), il est certain que vous ne serez pas déçu(e). Et si vous n'êtes toujours pas convaincu(e), la fantastique expérience de l'énergie de leur concert et leur bonheur d'être sur scène vous feront changer d'avis.