Enter Shikari

Il y a des soirées qui vous font voyager dans le temps. Non pas au travers de diners de famille avec épluchage d'albums photos mais plutôt du fait d'une musique qui n'arrive pas à prendre une ride malgré les années qui défilent. Bien que ne faisant pas l'unanimité, le post-hardcore (ou plus simplement du brutal mais pas complètement car éligible aux radios FM) voit beaucoup de ses pionniers dépasser la quarantaine et pourtant continuer de fasciner de nouvelles générations de jeunes arrivés à l'heure de la rébellion et de l'anticonformisme. On retrouve alors ainés et cadets à l'unisson au concert des Enter Shikari, qui depuis maintenant plus de vingt ans déversent leur rock sensiblement burné aux quatre coins du globe.

Pourtant, le succès se fait toujours discret dans l'hexagone. Voilà pourquoi la bande à Rou Reynolds nous donne rendez-vous dans la petite mais toujours emblématique salle du Trabendo à la Villette qui affiche complète, permettant ainsi à une bonne poignée de fans anglais de profiter de conditions plutôt intimistes, habitués qu'ils sont à bien plus spacieux dans leur contrée.
Le dernier album Nothing Is True & Everything Is Possible remonte maintenant à plus de deux ans. Pour rappel, ce dernier est sorti en pleine pandémie, d'où l'attente pour le découvrir en live. Mais, à la vue des groupes de spectateurs amassés dans la file d'attente plusieurs heures avant l'ouverture des portes, on réalise que l'engouement du public français n'a pas souffert de cette très longue attente.


Assister à un concert de Enter Shikari en 2022, c'est repartir loin à une époque où le nombre de pogo et de slam dans une fosse comptait bien plus dans notre grille d'évaluation qu'une mélodie solide où qu'un texte recherché. Et pourtant, Rou Reynolds a su au fur et à mesure des années peaufiner son style quitte à le rendre plus mainstream. La maturité n'expliquant pas tout (qui a dit que la sagesse venait avec l'âge ?) on ressent néanmoins dans la discographie de groupe une volonté de s'ancrer dans le réel. Avec des prises de positions politiques et sociologiques fortes (le groupe est ouvertement de gauche et militant pour le climat et la cause LGBTQ+, entre autres), Enter Shikari réussissent à passer des messages tout en maintenant leur cap musical, avec quelques digressions dance voire technoïdes qui ont le mérite de rafraîchir le tout.

Ainsi, prenant place sur scène au son de tubes des années 80 (Take On Me de A-Ha, Maniac de Michael Sambello ou autres disques tout droit sortis du grenier), avec un public en grande majorité non né à cette époque, mais qui prouve que le kitch est une valeur sûre, la voyage vers The Great Unknown, comme nous l'annonce une voix d'hôtesse de l'air toutes les trois minutes avec un compte à rebours amusant, débute sur les chapeaux de roues avec le titre éponyme qui voit Rou Reynolds renter dans le vif du sujet à grand coup de moulinets de bras, de pas de break dance et autres bonds vers la fosse. Bien qu'arrivés en fin de tournée pour cet album, l'énergie est loin d'être économisée et le public, dont l'ardeur se voit retenue par une crash barrière plutôt rare dans cette salle, vient par vagues successives s'écraser au pied du groupe qui ne boude alors pas son plaisir.


Interrompus par une petite panne (liée au mini blackout qui a eu lieu cette soirée dans le nord est parisien ? On ne le saura jamais...) le groupe fait la conversation, et on retrouve ainsi une gentillesse teintée d'une petite touche de timidité lorsque les instruments ne rugissent pas. Le concert reprend vite et la boîte à tubes s'active, sous un lightshow digne d'une rave partie avec effets lasers, écrans de fumées et lumières ultra vives. Dans la fosse, et en concordance avec les positions du groupe, on retrouve tous les âges, tous les genres, avec parfois de merveilleux mélanges qui lorsque la consigne est donnée d'animer le mosh pit, ne se fait pas prier une seule seconde.
Bien que le style musical d'Enter Shikari soit trop souvent brouillon et un peu facile, la passion présente lors de leurs shows fait remonter un cran dans notre estime leur répertoire. Après vingt ans de pratique, les membres du groupe continuent de prendre un énorme plaisir à jouer ensemble, et la taille plus modeste des salles qui les accueillent en dehors du Royaume-Uni ne vient en rien froisser leur égo, pour la plus grande joie des fans.

De retour au bercail, des envies de baggies, de percing à l'arcade sourcilière et de Linkin Park se font sentir à nouveau. Un concert d'Enter Shikari ? Plus efficace qu'un voyage en Delorean !