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LA Priest

Fase Luna

LA Priest - Fase Luna
Chronique Album
Date de sortie : 05.05.2023
Label : Domino Records
4
Rédigé par Franck Narquin, le 2 mai 2023
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Première Partie : La new rave n'a jamais existé
Dans la série « Père Castor raconte-nous une histoire », nous allons aujourd'hui vous compter l'histoire de la new rave (ou nu-rave) mes enfants. Flashback, nous sommes le 30 juillet 2008, Late Of The Pier s'apprête à sortir son tant attendu et très souvent retardé premier album, Fantasy Black Channel. Encensé par la critique et produit par Erol Alkan, DJ producteur, remixeur et figure centrale du mouvement avec son Trash Club, boîte de nuit londonienne iconique du milieu dance-punk depuis 1997, son tout nouveau label Fantasy Sound et ses irrésistibles mashups (dont le célèbre Can't Get Blue Monday Out Of My Head), ce LP devrait sans nul doute couronner le groupe en tant que nouveau roi de la new rave, le genre musical le plus cool du Royaume depuis la sortie du premier disque de Klaxons.

Mais Père Castor, c'était quoi la new rave au juste ? Nous y venons les enfants, nous y venons. Alors qu'un journaliste du NME demandait à Jamie Raynolds, bassiste de Klaxons, s'ils étaient « la new wave de la new wave » celui-ci lui répondit pour la boutade qu'ils étaient la new rave. Bien que n'ayant que peu de lien avec la rave des années 90, ce bon mot suffit pour qualifier une scène qui regroupait des groupes comme Klaxons, New Young Pony Club, Hadouken! ou les brésiliens CSS et qui avaient pour point commun de mélanger rock, punk, électro, hip-hop et funk en utilisant autant synthétiseurs, séquenceurs et samplers que basses, guitares et batteries. Avec son esthétique colorée et son approche hédoniste, c'était alors le genre de références des fluo-kids, ces gamins de la génération MySpace. Ce courant s'inscrivait dans la lignée du dance-punk du label DFA avec LCD Soundsystem et The Rapture, de l'electroclash de Fischerspooner, Le Tigre et Peaches ainsi que des productions des frères Dewaele (2 Many DJ's / Soulwax), les Dardenne du dancefloor.

En France, le terme fut accolé aux premiers morceaux de Yelle, aux sorties du label Kitsuné de Gildas Loaëc, ancien collaborateur de Thomas Bangalter au sein de son label Roulé, voire même parfois à Justice. En bref, tout ce qui sortait entre 2006 et 2008 et qui mêlait rock et de électro était susceptible d'être étiqueté new rave. Sans aucun rapport musical, mais utilisant des codes esthétiques et vestimentaires similaires et se déroulant exactement sur la même période, la tecktonik, fut alors apparenté à un cousin franco-belge, sorte de version « Strip-Tease » du genre.
Si les deux mouvements (tecktonik et new rave) ont connu le même destin, une naissance fracassante et une mort rapide, leur importance artistique et leur héritage sont sans communes mesures. S'il n'y a pas eu de deuxième album de Late Of The Pier, si Klaxons ou CSS ne reproduisirent jamais leur coup d'éclat initial et si le genre périclita rapidement, il ne faut pourtant pas en conclure, comme c'est souvent le cas, que la new rave ne fut qu'une hype passagère. Si le genre a aussi rapidement disparu, c'est car il n'a jamais vraiment existé, la plupart des groupes, et Late Of The Pier les premiers, ayant d'ailleurs rejeté cette étiquette jugée trop réductrice. Ce qu'on a appelé new rave correspond plutôt à un moment de bascule dans l'histoire de la musique, voire peut-être même à une certaine utopie, ces quelques mois entre la mise à la retraite du CD au milieu des années 2000, actant le décès des chaines de disquaires et le vacillement des gros labels, et la reprise en main de l'industrie musicale par les plateformes de Streaming (Spotify et Deezer étant créés en 2007, 2008).

Pour le meilleur ou le pire, n'importe qui pouvait alors mettre sa musique en ligne et exploser sans avoir à signer des contrats léonins dans de cossus bureaux de Kensington ou subir l'uniformisation algorithmique des plates formes de streaming. Et bien que ce n'ait rien de nouveau, ces groupes ont contribué à l'abolition des frontières entre les genres et à démonter les chapelles des puristes, ces réacs qui pensent à tort œuvrer pour le bien du rock, suivant ainsi l'exemple de la scène Baggy / Madchester du début des années 90, destinée à des gamins écoutant autant de la pop-indie que de la house, commençant ses soirées dans les salles de concert rock pour les terminer sur le parquet de l'Hacienda et carburant à la bière comme à l'ecstasy.

Deuxième Partie : Fase Luna, l'album qui a failli ne jamais exister
Dis Père Castor, tu ne devais pas nous parler de LA Priest ? Désolé les enfants, je m'égare mais c'est parce qu'à cette époque j'étais jeune, beau, je n'avais jamais entendu parler du Cialis et on pouvait me retrouver facilement dans une avalanche grâce à mes vêtements fluos. Un conseil, les enfants, quand une vieille personne vous assène que « c'était mieux avant », ce qu'il veut dire est bien entendu « j'étais mieux avant ». Donc LA PRIEST, de son vrai nom Samuel Eastgate, mais aussi connu sous les alias de Samuel Dust, Harry Tuttle ou L.A. Priest, était alors le leader de Late Of The Pier. J'aurais pu le préciser dès le début de la chronique mais je considère, tel Mubi, que le lectorat de Sound of Violence sait que Tarkovski n'a pas écrit Le Lac des cygnes, contrairement à notre gouvernement qui, dans un raisonnement simple et basique, préfère nous « quarante-neuf-troisié » la tronche, parce qu'on est trop cons.

Samuel Eastgate, petit génie de la production et du collage sonore mais aimant prendre son temps, a sorti depuis la fin de Late Of The Pier deux albums sous le nom de LA Priest, Inji en 2015 puis GENE en 2020, nommé d'après une boîte à rythmes modulaire qu'il avait conçue en utilisant cent-cinquante circuits électriques et lui-même construits. Mais son meilleur travail reste incontestablement Soft Hair, sa collaboration avec Connan Mockasin, groupe éphémère auteur d'un unique mais sublime album porté par Lying Has To Stop, véritable chef d'œuvre de sensualité qui devrait figurer sur toute playlist « night time » qui se respecte.

Père Castor, il parait que la genèse de Fase Luna a été des plus croquignolesques, tu pourrais nous en dire plus ? C'est vrai gamin, mais cesse immédiatement de parler comme si tu étais dans Jacquou le Croquant, tu seras gentil. Tu m'as agacé, pour la peine je te cite texto le dossier de presse de Domino Records : « Après la sortie de son deuxième album, Sam a reçu des demandes des quatre coins du monde pour construire des boîtes à rythmes, et un correspondant du Belize l'a finalement invité à travailler dans son studio. C'est ainsi que début 2021, Sam a quitté les Pays de Galles pour l'Amérique Centrale, avant de découvrir à son arrivée au Mexique qu'il ne pourrait pas entrer au Belize en raison de restrictions de voyage. À cet instant, ce qui allait devenir le troisième album de LA Priest changea du tout au tout. Marqué par la plage de Puerto Morelos, Sam a trouvé l'inspiration en mer. ». On croirait presque lire un pitch de film de Jim Jarmusch. Un artiste ayant connu le succès dans sa jeunesse, considéré par certains comme un petit génie de la pop mais peinant à se renouveler et à trouver pleinement sa voie, part au bout du monde pour un motif professionnel. Ne pouvant rentrer dans le pays, il est pour un temps assigné à résidence à la frontière voisine. Ces quelques jours devenant des mois et seul pour la première fois depuis des années, extrait de son monde factice, il parvient enfin à se trouver lui-même, délaissant tous ses artifices (pas un synthé ou une machine sur cet album) pour revenir à l'essentiel (sa voix, sa guitare et un batteur local, Carlos Gabriel Favela Manzano, dont le simple nom invite au voyage). Adam Driver, Benoît Magimel et Vincent Gallo se battraient d'ailleurs pour le rôle-titre.

Si l'on ne connait que trop bien les albums de la maturité, généralement euphémisme de manque d'inspiration, Fase Luna appartient à la catégorie bien plus excitante des disques de rupture. Contraint par la situation à changer son logiciel, LA Priest ose mettre au rebut tout ce qui constituait sa marque de fabrique et sa zone de confort, à savoir les collages sonores de différents genres musicaux et l'expérimentation technologique, laissant ainsi l'anglais à la peau pâle se confronter au soleil brûlant du Mexique. Fase Luna est donc un album épuré, concentré de pop chancelante s'inspirant de l'univers cool et dégingandé de Mac DeMarco ou de l'élégance décalée de Connan Mockasin.

Ce qui frappe à l'écoute de l'album est la cohérence des neufs titres qui semblent se répondre en permanence créant ainsi un ensemble immersif. La grande réussite de LA Priest est d'avoir réussi à créer une unité de ton au style très fort et marqué tout en respectant une économie de moyens et une approche assez minimaliste. Tropical et marin, Fase Luna nous embarque pour un voyage en mer, ne cessant de tanguer et de chalouper et s'apprécie tout particulièrement lors d'une écoute d'une seule traite. Même s'il change ici radicalement de style, s'essayant à un format pop plus traditionnel délesté de ses effets de manche, Sam Eastgate reste un incroyable sound designer plus qu'un grand songwriter.
On peut assez facilement découper Fase Luna en trois séquences de trois morceaux. La première, composée de On, Silent et It's You est inspirée et solaire, montant progressivement en puissance et en qualité. Les guitares légèrement distordues et l'atmosphère flottant de On accueillent l'auditeur tout en douceur avant de monter d'un ton avec le sautillant Silent qui impressionne par la finesse de sa production et ses variations mélodiques et rythmiques. On atteint ensuite le sommet de l'album avec It's You, classique instantané et petite perfection de pop feelgood qui ondule comme chez l'ami Mac et étale sa classe nonchalante tel le compère Connan. Après ce départ quasi-parfait, LA Priest s'éparpille et se perd au large sur la deuxième séquence qui débute par les très dispensable Misty avec ses chœurs mollassons et son crispant solo de guitare. Les deux titres suivants, Star et Sail On, sans être vraiment ratés, provoquent une légère indifférence et semblent être surtout là pour faire le nombre. Heureusement Sam se reprend lors de la dernière partie. Si on reste partagé sur Neon, son entêtante ritournelle à la guitare venant sauver de justesse sa partie chantée passe-partout, LA Priest retrouve enfin son niveau de départ sur les deux derniers morceaux, Ocean et No More, doux, mélancoliques et déchirants.

LA Priest a voulu avec cet album « donner aux gens le sentiment qu'ils sont libres lorsqu'ils l'écoutent, que cela ne les ramène pas à la réalité, que ce soit de l'évasion ». Le pari est sur ce point largement tenu et, malgré la baisse de régime à mi-parcours, on ne peut que saluer l'audace dont fait preuve l'anglais sur Fase Luna, osant explorer de nouveaux territoires, se mettant à nu et insufflant ainsi à son œuvre une nouvelle vague des plus vivifiantes.
tracklisting
    01. On
  • 02. Silent
  • 03. It's You
  • 04. Misty
  • 05. Star
  • 06. Sail On
  • 07. Neon
  • 08. Ocean
  • 09. No More
titres conseillés
    It's You - Silent - Ocean
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