Tout vient à point à qui sait attendre. Vous avez quatre heures. Je raccourcirai votre peine avec seulement dix minutes de votre attention et quelques lignes qui viendront vous prouver que les mots de Clément Marot (faites-moi plaisir, n'interrogez pas ChatGPT, il doit bien rester un dictionnaire sur vos étagères) prennent tout leur sens avec l'arrivée tant attendue du premier album de Do Nothing, Snake Sideways.
Les quatre anglais de Nottingham qui nous font patienter depuis 2020 et leur premier EP Zero Dollar Bill sont des orfèvres, peu importe l'impatience des foules fébriles qui ont eu la chance telle votre chroniqueuse de les découvrir dès 2019 sur scène dans divers petits festivals anglais, ébahis par le charisme alors encore un peu balbutiant de leur leader Chris Bailey et ses sermons pisse-vinaigre. S'ensuivit le second EP Glueland en 2021 dont on sentait qu'il était une autre marche dans l'évolution naturelle de la formation vers quelque chose de plus complexe qu'un simple mais jouissif post-punk. Le groupe a depuis peaufiné son style, pris du temps pour que tout soit parfait et corresponde à la virgule prêt à ses souhaits. Do Nothing ont passé haut la main leur examen d'entrée dans la cour des grands lors de leur premier passage parisien au Pop-Up du Label en mars dernier, narré par la plume malicieuse de notre collègue Frank Narquin, ce dernier décrivant un groupe atypique et particulièrement pointilleux. C'est donc avec attention que nous découvrons Snake Sideways, premier album de Do Nothing qui, comme on pouvait s'y attendre, a lui aussi fait franchir un nouveau cap aux jeunes anglais.
Pour les oreilles non aguerries qui découvriront le groupe à cette occasion, vous entrez dans un monde aux contours très irréguliers. Les influences sont riches, le sens de la composition pop affuté, aucun morceau ne ressemblant aux autres et tous faisant appel à divers nuances et changement soudains de rythmes. Les titres passent de longs et élégants rifs de guitare (Nerve) à quelques autres plutôt distordus en mode lo-fi à la Pavement (Happy Feet), ces mêmes guitares deviennent plus langoureuses (Ameoba), en passant par des cadences presque anarchiques (The Needle), pour atterrir dans une ambiance épurée voire cosmique (Hollywood Learn).
Ce qu'il ressort est que Do Nothing sont protéiformes et ne semblent pas prêts à se laisser cataloguer dans un style précis. Et grand bien leur fasse car leur petit monde expérimental ne connaît aucune limite, si ce n'est celle d'une interprétation des plus pointues de chacun des instruments, la basse toujours dominante avec ses épanchements groovy qui apportent tout le sel aux morceaux et restent le fil conducteur dans la lignée des précédents EPs.
Les guitares sont acérées, s'épanchent souvent et ont ce petit « je ne sais quoi » de délicieusement dissonant que l'on vénérait dans nos disques de rock alternatifs de Grandaddy, Pavement et de Pixies en ce début des années 90. Point d'orgue de ce premier album, le chant de Chris Bailey. A ce sujet, le jeune homme nous avait agréablement surpris lors du concert parisien, y faisant montre d'une incroyable maitrise vocale, le tout porté par une élégance naturelle qui rappelle avec plaisir les maîtres en la matière tels Jarvis Cocker et Brett Anderson (la chemise trempée de sueur en moins). L'album vient donc confirmer que le jeune chanteur sait parfaitement user de ses cordes vocales que l'on peut apprécier particulièrement sur Moving Target et Sunshine State, ces deux dernières clôturant l'album avec une touche émotionnelle.
Les paroles, quant à elles, sont toujours acerbes : « I'm stuck in England's teeth and I'm watching you go », « Go ahead and die, you don't have to be afraid », « They're gonna fire you in the morning if you don't get right, all our souvenirs of glory In a big blue pile ». Un peu comme le faisaient leurs glorieux aïeuls dont ils se sont inspirés pour tirer leur nom, Do Nothing énoncent dans Snake Sideways, sous couvert d'un rock aux angles volontairement carrés, un constat amer de la société britannique. Et lorsque ce message vous est délivré par un personnage qui, de VRP débraillé à dandy en prêt à porter (tout est dit dans les chroniques précédentes, fidèles lecteurs) passe maintenant dans la catégorie Charming « front » Man, Do Nothing remportent effectivement tous nos suffrages en 2023.