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Islet

Soft Fascination

Islet - Soft Fascination
Chronique Album
Date de sortie : 29.09.2023
Label : Fire Records
3
Rédigé par Fabrice Droual, le 27 septembre 2023
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L'Islet est une petite rivière côtière des Côtes-d'Armor se jetant dans la Manche près de Sables-d'Or-les-Pins. Vous m'en direz tant ! C'est aussi en cinq lettres le synonyme d'un petit Ilot, terre promise d'un naufragé Robinson en quête d'une vie plus proche de la nature, d'une harmonie retrouvée avec celle-ci. Clin d'œil personnel entre ma situation géographique et la découverte de ce groupe gallois à travers le titre phare River Body extrait de ce nouvel album, Soft Fascination. La nature sera le fil conducteur de cette écoute.

Rappelons-nous donc qu'Islet est un quatuor gallois qui a débuté à Cardiff en 2009 quand Emma Daman et les frères Mark et John « JT » Thomas ont décidé de former un groupe où, musicalement, « tout était possible ». Rejoint juste après par Alex Williams, le quator n'avait pas de chanteur principal et chaque membre pouvait changer d'instrument d'une chanson à l'autre. Il jouait alors, un mélange psyché-rock aux ambiances aériennes expérimentales et avait su trouver une poignée d'auditeurs ravis d'expérimenter en live ce gentil patchwork mystiquo-illuminé. Deux albums (Illuminated People en 2012 puis Released By The Movementen 2013) et une poignée d'EPs étaient sortis « confidentiellement » sur leur propre label Shape Records à l'époque.
Cette approche se voulant très artistique et libre de toute contrainte, elle a vite trouvé ses limites et conduit Islet à opter pour un changement de direction musicale et par la même occasion de label. C'est donc avec son troisième album Eyelet, sorti chez Fire Records en 2020, que le groupe, grâce à une pop plus cohérente, connait un succès plus large et mérité. La voix cristalline d'Emma Daman, mouvante et souvent hypnotique, accolée à celle de son compagnon Mark Tomas, s'associait avec un son électro atmosphérique pour nous proposer de jolies balades dream pop. On y retrouvait encore quelques interludes expérimentaux mais la rythmique très présente rendait cet album frais et très plaisant. C'est donc sur ce même élan que nous attendions nos quatre Gallois une nouvelle fois réunis pour cette promesse de fascination soft.

Pas d'emballement hâtif ! C'est avec le titre prémonitoire Euphoria et sa rythmique agressive que l'on rentre dans l'album. Emma chante sur des nappes de synthé, ou plutôt elle slame avec le phrasé des rappeurs, et semble déjà plongée dans un état d'extase partagée entre deux envies, la retenue et l'abondance (« we have these sudden rushes of virtue and restraint but these love love love multiples mess up the half-faith »). Ce titre est un éclat de lumière, un tourbillon symphonique, comme l'explique cette dernière. La chanteuse a elle-même réalisé le vidéo clip qui l'accompagne et filme en un seul plan la danseuse Anushiye Yarnell. On la voit tournoyer librement comme bon lui semble puis s'effondrer finalement pour mieux se relever (« keep moving keep breathing »).


Arrive déjà le second morceau, River Body, précédemment évoqué, où l'on retrouve les membres de Islet sautillant dans l'eau. Ode à la nature et à son bien le plus précieux l'eau, River Body se présente à la fois comme une célébration et une lamentation de notre relation avec cet élément : dans sa rareté et son abondance et dans sa capacité à être à la fois une force naturelle nourricière et destructrice. Des paroles énigmatiques telles que « this needs re-wiggling this is a shape- shifting, life-giving vital force this is dying » rappellent la fragilité de l'eau et l'urgence de nous réconcilier avec notre planète en bon Robinson que nous sommes. Les membres du groupe interprètent la chanson dans la Wye/Afon Gwy, l'une des rivières les plus longues et les plus polluées du Royaume-Uni et finissent par y tomber, attirés sans doute par cet air de flûte entêtant qui s'inscrit en durée sur ce morceau. Atmosphère onirique, similitude imaginaire avec le conte Le Joueur de flûte de Hamelin, écrit par Prosper Mérimée au siècle dernier, qui voyait d'affreux rongeurs suivre le flutiste et disparaitre dans les eaux d'une rivière.


On enchaîne avec deux morceaux plus rapides, assez dépouillés où l'orchestration simple laisse dominer la voix souvent perchée d'Emma qui frise la ressemblance avec son ainée Islandaise Bjork sur Flailing. On se plaît particulièrement à écouter la ballade Hat Person et sa pop sucrée R&B, sans se préoccuper du contenu interrogatif de ses paroles et on se dit que ce quatrième album sent bon l'ouverture aux charts... sauf si le groupe retombe dans ses travers expérimentaux.
Et c'est ce que semble introduire le morceau quasi instrumental An Open Door qui ouvre une 2nde partie d'album. Terminé l'équilibre délicat entre répétition de voix et vagues de synthétiseurs agrémentés de pulsations rythmiques entrainantes. Nous voilà revenus au créatif plus soporifique ou déroutant comme l'anxiogène Lemons ou le cacophonique Discipline. Flûte ! (je suis en manque de l'obsessionnel instrument), mais à bien y réfléchir, n'est-ce pas une preuve de liberté et d'originalité que l'on retrouve assez souvent chez les groupes du label britannique Fire Records ? Finalement, il est rassurant de constater que cette petite dérive se retrouve vite corrigée avec un morceau élégamment structuré comme Sleepwalker In A Fog. On se quitte sur Kits, morceau révélateur du contenu de cet album, à savoir délicat et marqué par la voix principale de sa chanteuse curieuse et admirative du monde qui l'entoure.

Telle une Robinson sur son Islet, elle nous offre en ce vendredi un beau compagnon d'écoute et de réflexion, une expérience extatique à travers la musique.
tracklisting
    01. Euphoria
  • 02. River Body
  • 03. Sherry
  • 04. Flailing
  • 05. Hat Person
  • 06. An Open Door
  • 07. Woolgathering
  • 08. Lemons
  • 09. Sleepwalker In A Fog
  • 10. Discipline
  • 11. Kits
titres conseillés
    Hat Person - River Body - Euphoria
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