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King Hannah

Big Swimmer

King Hannah - Big Swimmer
Chronique Album
Date de sortie : 31.05.2024
Label : City Slang
45
Rédigé par Bertrand Corbaton, le 27 mai 2024
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Aucun d'entre vous ne devrait avoir à redire si ces lignes commencent par une digression assez loin du sujet qui nous intéresse aujourd'hui. Mais comment ne pas avoir une pensée particulière pour Steve Albini, incroyable producteur qui nous a quittés récemment, bâtisseur talentueux du son de bon nombre de groupes que vous écoutez encore régulièrement. Ce dernier aurait certainement apprécié Big Swimmer, second album présenté par King Hannah.

On avait laissé le duo composé de Hannah Merrick et Craig Whittle avec l'excellent I'm Not Sorry I Was Just Being Me, sorti au début de l'année 2022. La qualité du travail ne manquait pas de nous faire attendre avec une impatience non feinte le retour des ambiances sombres et profondes dévoilées par le groupe sur ce premier effort. Le premier single de ce nouvel album avait ainsi de quoi en décontenancer plus d'un tant il sortait de l'ambiance vaporeuse des débuts. En effet le mélancolique Big Swimmer joué avec l'Américaine Sharon Van Etten plonge l'auditeur dans une folk délicate qui se durcit au fur et à mesure. Savamment orchestrée et loin d'être foncièrement évidente, devait-on comprendre ici la volonté de King Hannah de s'aventurer vers d'autres chemins plus lumineux que sur I'm Not Sorry I Was Just Being Me ?
La réponse à cette question n'est pas si évidente, car Big Swimmer n'est pas l'album d'un groupe qui a foncièrement changé son logiciel. Pour vous en convaincre, une écoute du rauque et charpenté Lili Pad ou de l'immersif Somewhere Near El Paso feront vite comprendre que King Hannah aiment toujours les ambiances sombres et que fondamentalement, le spleen n'a pas vraiment quitté l'esprit du duo.


The Mattress conforte largement cette idée tant ce morceau cotonneux et embrumé aurait pu trouver sa place sans difficulté sur l'album précédent. Il y a toujours chez King Hannah cette mélancolie nuageuse qui vous enserre pour ne plus vous lâcher, jusqu'à une asphyxie merveilleuse. C'est brillamment écrit et réalisé. La réflexion est similaire sur This Wasn't Intentional, une fois encore en duo avec Sharon Van Etten qui se frotte ici de façon plus évidente à l'univers du groupe que sur Big Swimmer. Ce titre évoque l'opposition entre une Amérique des grands espaces et quelque chose de beaucoup plus claustrophobique, comme si King Hannah était ce type de groupe à faire d'une évasion un royaume cloisonné, inquiétant et hostile. À ce petit jeu, c'est peut-être l'abrasif Milk Boy (I Love You) qui remporte la palme tant ce titre brillant vient peser sur vos épaules de tout son poids. Cette ambivalence transpirait sur I'm Not Sorry I Was Just Being Me, elle est également présente sur Big Swimmer.

Pourtant, quelque chose a changé dans le groupe, et cela ne peut être dû à la seule influence de Sharon Van Etten sur le titre éponyme. L'américaine serait peut-être même une espèce de fil conducteur idoine à ce à quoi aspire désormais King Hannah. Car si l'on retrouve sans peine des axiomes de l'album précédent, l'ensemble est définitivement plus clair, moins âpre que précédemment. Quand le groupe semblait parfois lorgner sans vergogne sur des atmosphères qui pouvaient évoquer la noirceur de Portishead, on joue désormais sur une partition bien plus folk, voire lumineuse ici. À cet égard, le très pop et solaire Davey Says joue sur une continuité moins inspirée de Big Swimmer.
Autre exemple avec le sautillant New-York, Let's Do Nothing, où Hannah Merrick se lance dans un registre vocal qui fera irrémédiablement penser aux performances de Florence Shaw de Dry Cleaning. Cette impression est aussi très présente sur Milk Boy (I Love You). Voici qui aura de quoi surprendre et qui au final laisse circonspect devant cette tentative. Pourtant, la petite merveille qu'est Suddenly, Your Hand prouve que ces envies d'ouverture ne sont pas dénuées de sens. King Hannah prouvent ici qu'ils savent nous proposer des respirations intelligentes lors de petites balades rurales. Ce titre d'une simplicité déconcertante est d'une force émotionnelle folle et vous emportera très loin. C'est un peu dans cette ambiance que se clôture ce décidément très bon album, avec le délicatement mélancolique John, Prine On The Radio.


La fameuse zone de confort, cet espace si douillet où il est question de se lover indéfiniment, ou qu'il est nécessaire de faire voler en éclat quand approche l'heure de nouvelles créations : dans cet exercice, King Hannah semblent de pas vouloir trancher de façon claire avec Big Swimmer, tant les racines sont communes avec I'm Not Sorry I Was Just Being Me. Pourtant, la finalité est autre, la brume d'antan s'est quelque peu dissipée. Au grand dam de certains, l'ensemble pourra peut-être paraitre plus lisse. Néanmoins, difficile d'en vouloir à King Hannah de s'essayer à de nouveaux chemins, à chercher l'éclatant et ne pas se laisser enfermer dans un spleen qui pourrait vite devenir caricatural.

Si tout n'est pas parfait, le duo prouve ici qu'il est bien un groupe en mouvement, qui tente des choses, expérimente, avance sans se trahir. À terme, il n'est pas impossible que Big Swimmer souffre de la comparaison avec la densité du très brut I'm Not Sorry, I Was Just Being Me. Il n'empêche, vous avez ici un très bon album qui compte déjà dans les sorties de cette année 2024, et qui consacre King Hannah comme un groupe décidément passionnant.
tracklisting
    01. BIG SWIMMER
  • 02. NEW YORK, LET'S DO NOTHING
  • 03. THE MATTRESS
  • 04. MILK BOY (I LOVE YOU)
  • 05. SUDDENLY, YOUR HAND
  • 06. SOMEWHERE NEAR EL PASO
  • 07. LILY PAD
  • 08. DAVEY SAYS
  • 09. SCULLY
  • 10. THIS WASN'T INTENTIONAL
  • 11. JOHN PRINE ON THE RADIO
titres conseillés
    BIG SWIMMER, SUDDENLY YOUR HAND, MILK BOY I LOVE YOU, LILY PAD
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