J'ai déjà eu le plaisir de voir King Hannah sur scène il y a quelques mois, leur concert avait été tellement intense que je voulais être sûr que le groupe est toujours aussi bon. Emerveillé d'avoir joué à guichets fermés lors de leur
premier passage dans la capitale en 2022 dans la micro salle du POPUP!, puis à la Maroquinerie en septembre dernier lors du
second, c'est maintenant dans un Alhambra aussi complet qu'ils se produisent ce soir. Le concert était initialement prévu à la Gaîté Lyrique, mais celle-ci étant occupée par un collectif de sans-abris, elle n'était pas en mesure d'accueillir le public. La "salle ouverte", a préféré jouer la carte humaine que de passer en force, en plein hiver c'est tout à leur honneur.
Arrivé sur place, je croise Hannah Merrick au stand de merchandising qui signe les disques à peine vendus, un sacré engagement vis à vis de fans. A 20h, elle arrête de jouer à la marchande quand
Joe Gideon et sa guitare montent sur scène. Ils sont accompagnés de John J Presley au clavier et à la basse. L'ambiance est intimiste, les chansons dépouillées avec juste de la distorsion sur les passages plus électriques. Conscient d'être un inconnu pour la plupart du public, Joe introduit ses chansons qui semblent autant centrées sur le monde en général que sur son premier cercle d'intimes. Il a écrit
Salvation, un nouveau titre, en pensant à chacun de nous. C'est un peu barré et pragmatique, l'histoire commence par celle de son père qui lui dit que le monde est plat et qu'il est très heureux dans ce pancake. Cet univers colle bien à celui de King Hannah, on ne sait jamais trop si on vit des expériences surréelles ou si c'est juste un rêve. D'ailleurs Craig Whittle vient discrètement assister au set dans le public.
John fait les chœurs pour adoucir la voix crépusculaire de Joe, c'est beau et captivant, le son est parfait. Il pioche dans son répertoire, que ce soit de son dernier album ou des titres plus anciens de 2009 de Joe Gideon & The Shark, le requin étant alors sa sœur à la batterie. Il termine par
Wild and Free, un morceau avec juste cinq mots, mais il nous décourage de chanter. Il est vrai que le titre part dans tous les sens avec beaucoup de distorsions et même de la flûte à bec. J'aime beaucoup ce grain de folie et j'imagine qu'il n'a pas été trop dépaysé quand il a ouvert pour Nick Cave And The Bad Seeds en 2009, c'est à ce moment-là qu'il avait rencontré Jim Sclavunos, le producteur de ses albums, et batteur des mauvaises graines.
Cette année 2024 a été bien remplie pour
King Hannah, et le groupe aborde son dernier concert en tête d'affiche avec sérénité (ndlr : avant de jouer le lendemain demain à Bruxelles en première partie de Sylvie Kreusch). Ce soir c'est à Paris que ça se passe, ou quelque part vers El Paso. Le concert commence avec le clavier et la batterie, puis la guitare avant l'entrée d'Hannah Merrick dans sa robe rouge flamboyante. C'est la même scénographie qu'à la Maroquinerie, j'avais beau le savoir, cela fonctionne toujours. Je suis transporté par l'ambiance, ces quelques notes de claviers ou les élans fulgurants de guitares vers le final.
Peu importe que la salle soit plus grande, j'ai l'impression que le groupe ne joue que pour moi dans un bar perdu. J'aime l'insistance de la guitare, d'ailleurs il en faut plus, alors Hannah Merrick en attrape une, le claviériste prend une basse et le morceau continue sa progression. Nous sommes toujours au concert de ce duo discret, accompagné de deux autres musiciens. Il y a du chant, pourtant le morceau s'étire sur près de dix minutes alors que les lumières stroboscopiques simulent un orage. Je retombe sur un matelas flottant d'on ne sait où, vers une destination tout aussi inconnue, mais l'ambiance reste tendue. Même si j'ai déjà vu le film, je suis pris par l'ambiance et le suspens. J'ai aussi eu plus de temps pour apprivoiser cet album qui monte doucement dans mon top 10 annuel, et celui de la rédaction de Sound Of Violence.
Le son était déjà parfait pour Joe Gideon, il aurait été fâcheux qu'il se détériore. Dans les moments de redoux on entend les larsens et les grésillements de guitares avec précision, renforçant le côté organique et viscéral de la musique du groupe sur scène. Rassurée de l'accueil enthousiaste du public, Hannah Merrick arbore un grand sourire avant
Milk Boy, et nous gratifie d'un “Hello Paris, this is so cool”. Comme moi, elle est toujours surprise par les concerts de King Hannah. La tension redescend un peu sur la première partie de
Go Kart Kid, seul morceau de leur premier album joué ce soir, que la chanteuse pense inconnu de tout le monde. Le "Hell no !" qui lance la spirale ascendante du morceau deviendra un gimmick de la soirée dans ses interactions avec le public. A son écoute je regrette de ne pas avoir vu le groupe plus tôt sur scène.
Craig Whittle saisit sa guitare acoustique pour
John Prime On The Radio qui sent le sud des Etats Unis. L'harmonie des voix sur le refrain est parfaite et la nostalgie qui s'en dégage taillée pour cette fin d'année.
Davey Says est un des morceaux les plus courts de l'album mais, sur scène, il prend une tout autre dimension. Complices, les membres du groupe n'ont besoin que d'un clin d'oeil pour relancer la ballade. Le morceau se termine et le guitariste lance un gros riff de guitare que je reconnais, c'est le
Cinnamon Girl de Neil Young ! Belle reprise et belle surprise, avant de reprendre pour la fin de
Davey Says. Avec les deux voix et la distorsion c'est presque shoegaze, sauf que les paroles ont leur importance pour nous embarquer dans leurs histoires.
Après une autre reprise, le
State Trooper de Bruce Springsteen, un classique dans leur setlist, le groupe sert le dessert final, leur spécialité de
Crème Brûlée, premier “tube” et signal que le set se termine. Les quatre musiciens quittent la scène après une dizaine de titres qui se sont étendus sur une heure, le public est chaud et gagne son rappel. Hannah Merrick revient seule pour lancer
Big Swimmer avant que le groupe ne la rejoigne. Ils finiront sur le
Blue Christmas, un classique rendu célèbre par Elvis. Leurs deux voix fonctionnent merveilleusement bien, et c'est totalement à propos en ce 18 décembre, je m'attends à voir les routes couvertes de neige en sortant.
Cette soirée à l'Alhambra était leur plus gros concert en tête d'affiche, et comme c'était complet, on se dit que ça aurait pu être encore plus grand !