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Rencontre avec Alan McGee

Dossier réalisé par Anne-Line le 24 août 2011

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Alan McGee est un homme qui a le nez creux. De 1983 à 1999, il a écrit avec son label Creation Records l'un des plus beaux chapitres de l'histoire du rock anglais. La liste des groupes qu'il a repérés et signés, et qui ont atteint par la suite le statut de légendes, dépasse l'entendement : Oasis, Primal Scream, The Jesus & Mary Chain, My Bloody Valentine, Ride, Teenage Fanclub, Felt, Super Furry Animals...
Il était temps qu'un documentaire retrace cette aventure pour la postérité. C'est maintenant chose faite avec Upside Down. Contrairement au film 24 Hour Party People, lequel raconte l'histoire plus ou moins romancée du label Factory de feu Tony Wilson, Upside Down ne rapporte que la vérité, et rien que la vérité. Si pendant longtemps, Alan McGee était réputé pour être encore plus rock'n'roll que les groupes qu'il signait, c'est en sirotant une eau gazeuse, au Café de Flore, qu'il s'est entretenu avec nous...


Bonjour Alan, comment vas-tu ?

Je suis très content d’être à Paris. J’ai toujours aimé Paris. Cette ville m’a toujours attiré comme un aimant. C’est le genre de lieu où l’on vient pour finir sa vie. Et j’adore prendre l’Eurostar (rires) ! Plus sérieusement, j’ai beaucoup d’amis ici : JD Beauvallet ou mon attachée de presse Stéphanie, c’est grâce à eux que je suis ici.

Comment as-tu fait la connaissance des gens qui ont réalisé le documentaire ?

Ce sont eux qui m’ont contacté. Mais je n’ai plus de contacts avec eux maintenant. Ils représentent tout ce que je déteste dans l’industrie de la musique. J’espère que je n’aurais plus jamais à les voir de toute ma vie. Et ce n’est pas un secret, je l’ai déjà dit sur Facebook. Mais je pense tout de même que le film est super !

La chose la plus frappante dans l’histoire de Creation, c’est le niveau d'amateurisme des personnes concernées...

En quelque sorte, oui. Personne ne savait vraiment à quoi s’attendre. Quand j’étais jeune, je n’avais jamais rêvé d’être dans l’industrie de la musique. Je n’avais jamais pensé venir à Londres. La seule raison pour laquelle je suis venu à Londres, c’était pour éviter que Innes ne me vire de notre groupe (ndlr : Andrew Innes, de Primal Scream, avec qui McGee avait formé les Laughing Apple]. Ensuite nous avons commencé à nous faire un peu d’argent avec notre soirée, Living Room, en ne faisant que boire de la bière non-stop, à s’en rendre malades. À l’époque, je travaillais pour British Rail et je gagnais environ 70£ par semaine, et je me suis rendu compte qu’avec nos soirées je pouvais me faire jusqu’à dix fois plus. Les TV Personalities ont lancé à cette époque leur propre label, Wham Records, alors je me suis dit « Pourquoi ne pas faire pareil ? ». Nous n’avons fait que les copier. Au départ, nous n’étions qu’une mauvaise copie de Wham!. Lorsque nous avons commencé, j’avais 22 ans, et à mes 23 ans, nous avions déjà lancé The Jesus & Mary Chain. Nous avions des disques numéro un en Europe, c’était très bizarre. Nous avons réussi très rapidement. Les groupes étaient géniaux, et moi je n’étais pas si mauvais que ça en affaires, donc ça a marché, il faut croire. Ç’a été la meilleure façon d’apprendre.

Dans le documentaire, Martin Carr (Boo Radleys) déclare « Nous voulions être numéro un et nous l’avons été ». Tout semble trop facile...

Il faut avoir une volonté de fer. On n’est jamais aussi bon que les groupes que l’on signe. Et les groupes que j’avais étaient géniaux. Moi je n’ai été qu’un facilitateur.

Tu avais quand même un certain talent pour les vendre, ces groupes. Certains n’étaient pas évidents....

Tout ce que j’ai fait, c’est de ne pas leur mettre des bâtons dans les roues. La plupart des maisons de disques, lorsqu’elles signent des groupes, essaient de les changer. Moi, je n’ai jamais essayé de changer quoi que ce soit à mes groupes. Je les ai laissés être qui ils étaient. Parfois, ç’a été un échec, et d’autres fois, ça a marché ! On avait déjà assez de mal à payer nos loyers, alors on ne s’occupait pas de savoir si on portait les bons fringues. De nos jours, les groupes qu’on voit à Londres, ils ne s’intéressent qu’à leur garde-robe, qui a le meilleur t-shirt de groupe post-punk. Ils ne font que prendre des drogues, ce n’est même pas la peine de leur demander d’écrire des chansons. Je ne vise personne en particulier en disant ça, mais tu vois ce que je veux dire... Plus personne ne s'intéresse aux chansons.

La confiance qu’il y avait entre les groupes et toi devait jouer un grand rôle également, je suppose ?

J’étais un freak, ils étaient des freaks, alors il était facile de s’entendre !

Irvine Welsh (ndlr : auteur de Trainspotting) déclare à un moment que le cœur de Creation était la relation entre toi et Bobby Gillespie. Qu’en penses-tu ?

Il a probablement raison, oui. Bobby était derrière Primal Scream, The Jesus & Mary Chain, Teenage Fanclub... Moi j’ai ramené Oasis, My Bloody Valentine, Ride. D’un point de vue artistique, oui, c’était notre label.

Peut-on mettre en parallèle Creation avec Factory?

Je pense que Factory étaient bien meilleurs que nous (rires). Je veux dire, ils avaient Joy Division. Bien sûr, nous avions The Jesus & Mary Chain, que beaucoup de gens adorent... C'est drôle de voir à quel point les jeunes peuvent encore aimer ces groupes. Je parlais avec Nico Prat avant toi, il est complètement dingue des Mary Chain. Mais la différence entre Factory et nous, c’est que Tony Wilson voulait être le « papa » de ses groupes. Moi, je ne voulais être le père de personne. Bobby n’avait qu’un an de moins que moi, les Mary Chain étaient tous plus âgés. Je n’étais pas là pour ça ! Surtout que je connaissais vraiment leur père pour la plupart (rires) !

Peux-tu nous parler de ton propre groupe Biff Bang Pow?

Ce n’était qu’un simple hobby pour moi. Ça n’a jamais été quelque chose de sérieux. Nous n’avons jamais dépensé plus de 500£ par disque. Il est facile de penser que comme le label avait des groupes énormes d’un côté, je rêvais d’être célèbre moi aussi, mais ce n’était pas du tout le cas. Au contraire. Nos disques étaient potables, mais nous n’avions pas l’ambition de faire une carrière.

On remarque aussi que chez Creation, la plupart des groupes avaient une très forte personnalité. Noel Gallagher déclare d’ailleurs « Alan ne signait pas des groupes, il signait des gens »...

C’est tout-à-fait ça. Si vous aviez une personnalité hors du commun, vous aviez toutes les chances que je vous signe. Je suis naturellement attiré par les gens un peu bizarres. Mon boulot consistait à signer des gens bizarres en espérant qu’ils pourraient faire un bon disque.

Toi-même, tu as une personnalité assez originale. La plupart du temps, les gens ne se rendent pas compte que le label était aussi géré par Joe Foster et Dick Green...

À une certaine époque, Creation c’est tout ce que j’avais. Alors oui, on peut dire que Creation était une extension de ma personnalité. C’était toute ma vie. Cela a duré jusqu’à environ 1994.

La fin du film est un peu abrupte. Pourquoi ne pas avoir évoqué l’après-Creation ?

C’est vrai que j’ai eu une autre vie après. Je me suis occupé des Libertines, Mogwai, Glasvegas... J’ai signé les Hives aussi. Mais je trouve que ça ne rentre pas dans l’histoire de Creation. Honnêtement, ça me va très bien comme ça.

J'aimerais maintenant évoquer cet après-Creation. Que retiens-tu de l’aventure Poptones ?

Nous nous en sortions pas si mal que ça avec les Hives. Mais je pense qu’au fond, nous étions trop en avance sur notre temps. Nous voulions être un label sur internet, dix ans trop tôt. À la fin, nous avons dû sortir des CDs, un peu à contre-cœur. Donc au final nous avons fini par ressembler à tout le monde, et ça ne nous satisfaisait pas. L’idée de départ était d’être « l’anti-Creation ». Nous voulions retrouver cet esprit un peu pionnier que Creation avait perdu sur la fin, après Knebworth et tout ça. Je suis content d’avoir fait ce que j’ai fait pendant les onze années qui ont suivi.

Que s’est-il passé exactement avec les Libertines ?

Geoff Travis, le boss de Rough Trade, m’a appelé un jour, pour me demander si je voulais les manager. C’était à l’époque où Pete était en prison (ndlr : pour avoir cambriolé l’appartement de Carl Barât en 2003). Je me rappelle l’avoir eu au téléphone, il m’a demandé si je pouvais venir les voir au Tap’n’Tin, à Chatham, mais à ce moment-là je me trouvais à New York. Donc finalement je ne les ai pas vus jouer, j’ai rencontré Pete et Carl une semaine après, et nous avons conclu un accord. Ça a duré environ un an et demi. Nous avons eu du succès assez rapidement. Nous avons rempli la Brixton Academy trois fois. Ils étaient vraiment énormes sur Londres. Et quand l’album est sorti, c’était la folie. Mais pour être honnête, je ne pense pas que j’étais l’homme de la situation pour les Libertines. Bien sûr, c’est moi qui les portais quand ils sont arrivés numéro un des ventes en Angleterre, mais je ne pense pas que ce soit vraiment grâce à moi. La seule raison pour laquelle je l’ai fait, c’est parce que Rough Trade m’ont supplié. Je ne dis pas qu’ils m’ont forcé, parce que j’aime les Libertines, j’aime leur musique, et je les aime personnellement, mais je pense juste que je n’étais pas fait pour être leur manager. Il n’y a pas eu de mauvais sentiment entre nous à la fin, parce qu’ils avaient eu tout le succès qu’ils pouvaient espérer. Je n’ai aucune idée pourquoi Rough Trade m’ont demandé à moi. Peut-être ont-ils pensé, avec mon historique, que j’arriverais à canaliser Pete Doherty, mais si c’est le cas ils se fourraient le doigt dans l’œil (rires) ! Peut-être savaient-ils que je serais le seul à ne pas être complètement effrayé par eux.

Après ça, tu as quand même managé les Dirty Pretty Things, le groupe de Carl...

Oui. C’était vraiment par sympathie pour Carl. Ils ont sorti un album, et puis j’en ai eu assez de la musique (rires). Je veux dire, j’aime bien faire des DJ sets, je suis fan des Beatles... mais le milieu de la musique ça ne m’intéresse pas plus que ça en fait.

As-tu des regrets ?

Je ne suis pas du genre à vivre dans le regret. C’est trop facile. Je pense qu’on apprend beaucoup plus de ses erreurs que de ses succès. Alors il n’y aucune raison de regretter ses échecs. C’est en échouant qu’on apprend à gagner.

Cela te surprend-il de voir qu’encore aujourd’hui, les gens continuent de te solliciter à propos de Creation ?

Je reçois tout le temps des démos de groupes, des propositions de groupes à manager, et même parfois des propositions de labels à diriger (rires) ! Mais j’en ai vraiment fini avec la musique. Je ne renie rien de ce que j’ai vécu à l’époque, mais c’est juste que je ne suis plus la personne que j’étais avant. Ce qui me surprend vraiment, c’est l’amour que la France a pour Oasis et surtout pour les Libertines ! Les gens se souviennent de moi parce que quand on traîne avec des gens cool, ça donne automatiquement l’air cool. Mais j’ai eu plusieurs vies. Après la musique je me suis lancé dans l’immobilier, et j’ai gagné beaucoup plus d’argent que jamais je n’en ai gagné dans la musique. Mais personne n’a envie de me parler de ça ! Cela dit, j’ai vendu le catalogue Creation, mais j’ai conservé les droits d’édition. Donc quelque part, ça reste toujours avec moi...