logo SOV

Rétrospective The Smiths : The Queen Is Dead (1986)

Dossier réalisé par Amandine le 16 janvier 2012

Bookmark and Share
En juin 1986, à l'aube de la sortie du troisième album des Smiths, le statut du groupe, confirmé avec leur premier disque éponyme et Meat Is Murder, s'élevait déjà outre-Manche au rang d'icônes de protestation contre l'austérité insufflée par La Dame de Fer.

Le songwriting éblouissant de Morrissey, à l’œil aussi avisé sur la société anglaise qu'avait pu l'être Ray Davies avec les Kinks, combiné au jeu de guitare éclatant de Johnny Marr formait le duo le plus florissant et inspiré d'Angleterre des mid eighties. Leur sens de la provocation, revival du mouvement punk '77, apportait un rayon de soleil au sein du puritanisme thatchériste ambiant.
Le spleen de Morrissey, en quête d'absolu face à l'éternel, semble être à son paroxysme et c'est à l'issue de leurs tournées anglaise et américaine qu'ils décident d'enregistrer ce qui deviendra l'un des albums les plus reconnus des années 80.


Le contexte dans lequel l'opus voit le jour est néanmoins bien différent de précédemment ; harassé par une série de concerts marathon, Johnny Marr sature et commence à comprendre que The Smiths se réduisent de plus en plus à l'image charismatique de Morrissey et cette situation crée des tensions. De plus, Rough Trade se désunit du groupe et The Queen Is Dead sortira plusieurs mois après la date initialement prévue ; ce sera d'ailleurs la dernière collaboration avant la signature chez EMI, comble pour un combo considéré comme digne représentant de l'anti-establishment.
L’atmosphère n'était donc pas au beau fixe lorsqu'il fallut se rendre en studio ; la rumeur veut même qu'Andy Rourke, peu de temps avant et à cause de son addiction à l'héroïne, reçut un post-it pour le moins explicite posé sur son pare-brise (« Andy, you have left The Smiths. Goodbye and good luck, Morrissey ») en guise d'adieu. Le groupe, victime de son succès fulgurant, sent déjà les prémices d'une séparation certaine et plus ou moins imminente.
Les tensions sont néanmoins laissées de côté lorsqu’ils arrivent en studio pour enregistrer avec l’ingénieur du son déjà présent sur Meat Is Murder. L’ambiance ne laisse pas présager des problèmes extérieurs et ceci leur permet donc de se focaliser sur leurs compositions pour en tirer la quintessence. En résulte un album magistral, comportant très peu (voire aucun) de déchet.
Comme à leur habitude, l’iconographie du disque ne sera pas laissée au hasard ; la photo du jeune Alain Delon dans l’Insoumis vient nous rappeler l’un des grands principes des Smiths : la liberté d’agir et de penser, tout en gardant le romantisme et le bon goût que l’on leur connaît.

The Queen Is Dead, titre éponyme, ouvre la danse avec ses six minutes d’ironie et d’acharnement sur la royauté. On entend pour commencer des dialogues d’un film anglais des années 60, The L-Shaped Room, cher à Morrissey. Cette critique de la famille royale est bien loin du God Save The Queen de Rotten et des Pistols. Ici, le Moz préfère imaginer Dumbo Charles en première page du Daily Mail, coiffé du voile de mariée de sa mère. Ce titre montre tout le cynisme du groupe face à une société anglaise sclérosée dans ses principes et dans laquelle il ne se reconnaît pas. Johnny Marr, quant à lui, livre un solo épique pour clôturer cette composition qui pose dès le départ le niveau de l’album.
Même si le groupe a désormais acquis ses lettres de noblesse, il n’en laisse pas pour autant de côté ses revendications et Morrissey va, une fois encore, régler ses comptes avec ses détracteurs. Ainsi, Frankly Mr Shankly interpelle Geoff Travis, président de Rough Trade, et le chanteur lui rend un hommage très peu élogieux, à coups de « I want to leave, you will not miss me » et autres noms d’oiseaux. Sur une trame et une mélodie très légères, les paroles n’en sont toutefois pas moins acerbes. Avec Cemetry Gate, Morrissey s’en prend à ceux qui le critiquaient de plagier ses auteurs préférés en citant insolemment Oscar Wilde en réponse.
The Queen Is Dead ne peut néanmoins se résumer à ces quelques coups de gueule ; il est avant tout un album poignant, soulevant toute la noirceur et la tristesse de notre rebelle anglais. Que ce soit sur la magnifique I Know It's Over ou encore sur Never Had No One Ever, le Moz évoque sa solitude, ce sentiment de ne pas appartenir à Manchester et de ne jamais pouvoir établir de connexions avec ses congénères. Enfin, comment ne pas évoquer There Is A Light That Never Goes Out qui reste l’un des chefs-d’œuvre du groupe ; ici, l’amour est absolu, sans concession et mène doucement et agréablement à la mort sur ces paroles aussi belles que tragiques : « And if a double-decker bus, crashes into us, to die by your side, is such a heavenly way to die. And if a ten-ton truck, kills the both of us, to die by your side, well the pleasure, the privilege is mine ».
Étrangement, il faudra attendre 1992 pour que le titre sorte en single, choisissant Patti Smith en couverture. Le fameux Bigmouth Strikes Again sera d’ailleurs le seul single de l’album à proprement parler. James Dean, idole du Moz, trône sur la couverture et une phrase d’Oscar Wilde résume ainsi la composition : « Talent borrows, genius steals ». Le dernier single de ce The Queen Is Dead n’est autre que The Boy With The Thorn In His Side, sorti en 1985, quelques mois avant l’album. C’est d’ailleurs le premier titre des Smiths à être accompagné d’une vidéo, chose que le groupe clamait détester.


Ainsi, si The Queen Is Dead amorce les changements au sein du groupe et des préoccupations de ses membres, il n’en demeure pas moins , pour beaucoup de fans, le meilleur album des Smiths (même si Morrissey et Marr lui préfèreront Strangeways Here We Come). Resté vingt-deux semaines dans les charts en Angleterre, il atteindra la deuxième place et en 2006, NME le nommera même deuxième meilleur album de tous les temps. Dix ans après sa sortie, ce seront Les Inrockuptibles qui lui rendront hommage avec The Smiths Are Dead, invitant des artistes britanniques tels que Supergrass ou Divine Comedy à reprendre les dix titres originaux. Une fois encore, les Anglais réussiront la combinaison impossible d’allier le mal-être de Joy Division à la pop des Beatles.


Si The Queen Is Dead flirte avec la perfection et vient prouver que les Smiths sont encore capables de surpasser leur art d’album en album, leur ultime sortie viendra clore de la plus magistrale des façons la carrière de l’un des groupes britanniques les plus influents de ces trente dernières années.