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Rétrospective The Smiths : Strangeways, Here We Come (1987)

Dossier réalisé par Amandine le 23 janvier 2012

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Si, comme nous l’avions déjà évoqué précédemment, le torchon commençait à brûler entre le duo Morrissey et Marr, les mois qui ont suivi la sortie de The Queen Is Dead n’ont fait qu’accentuer ces tensions. Malgré cela, les quatre comparses décident de retourner en studio pour enregistrer un quatrième album.

S’ils savent la rupture inévitable, il n’empêche que The Smiths vont tout de même, avec l’élan créateur de Johnny Marr et pour la première fois de leur courte existence, expérimenter de nouvelles pistes. Malgré l’explosion imminente, le duo infernal réussit encore à trouver une alchimie que l’on pensait désormais impossible. Marr est au sommet de son art et de sa créativité, faisant appel à des arrangements riches et variés (utilisation de nombreux synthétiseurs, de saxophone synthétique ou ajout de batterie), il donne aux Smiths une nouvelle impulsion, un nouveau tournant, afin que le groupe puisse se renouveler et qu'il élargisse son panel musical. Pendant ce temps, il semble que Morrissey se soit nourri, encore et toujours, de sa mélancolie et de sa solitude pour effleurer les sommets et porter son chant et son songwriting à un lyrisme plus jamais égalés depuis.
Malgré tout, lorsque sort Strangeways, Here We Come le 28 septembre 1987, le sort de The Smiths est déjà scellé : Johnny Marr a claqué la porte et laisse son groupe orphelin, alors même qu’il commençait à découvrir tout son potentiel. En résulte un album magistral, d’une beauté douloureuse, qui permettra aux quatre Mancuniens de tirer leur révérence de la plus belle des façons.



Un titre qui en dit long : Strangeways, Here We Come fait en fait référence à une célèbre prison de Manchester. Connaissant le contexte de la genèse du disque, on peut se demander à quoi voulait bien faire allusion le groupe en faisant ce choix. Une fois encore, l’artwork n’est pas laissé au hasard et nous découvrons un portrait de Richard Davalos, autre héros du célèbre film A l’Est d’Eden ; son regard se porte sur James Dean, hors champ.
Dix titres suffiront ici à réinventer un groupe bien trop créatif pour vouloir se contenter de tomber dans la facilité en réinterprétant un schéma déjà entamé sur les albums précédents. Bien que tendant encore vers la pop qui leur est si chère, The Smiths s’adonnent ici à une exaltation portée par une orchestration riche, des sections rythmiques ou de cordes justement posées, à l’instar de Last Night I Dreamt That Somebody Loved Me. Le travail de Stephen Street, compagnon de l’ombre depuis leurs débuts, est ici bien plus abouti que sur The Queen Is Dead. Le premier sentiment à l’écoute de cette sortie posthume est la place prépondérante laissée au pathos, au sens noble du terme. Les paroles sont désabusées, incisives, comme si le Moz savait la rupture inéluctable.


Il résultera plusieurs singles de ce dernier disque. Le premier, Girlfriend In A Coma, sera le dernier à renfermer un titre inédit du groupe (I Keep Mine Hidden). La pochette, quant à elle, fait honneur à l'écrivaine et dramaturge Shelagh Delanay, que l'on retrouvera plus tard ornant leur Louder Than Bombs. Ici, la recette classique de la pop song aux paroles profondes est reprise avec brio. En effet, comment ne pas succomber au « There was a time I could have murdered her but I would hate anything to happen to her » ? L'ironie du sort a voulu que I Started Something I Couldn't Finish soit le single intervenant juste après la séparation du groupe. S'ensuivra Stop Me If You Think You've Heard This One Before, qui sortira partout sauf au Royaume-Uni pour un parallèle malencontreux avec un massacre ayant eu lieu peu avant à Hungerford.
Comme il nous en avait donné l'habitude, Morrissey se livre ici à une critique de l'industrie musicale. Ce titre, très immédiat, n'est pas seulement un tube en puissance à la mélodie accrocheuse ; il est aussi le lieu de paroles des plus poétiques, avec des jeux d’assonances et d'allitérations. Une fois de plus, il y est fait allusion à un amour perdu, nourrissant la métaphore filée sur la totalité de l'album. Stephen préfère nier l'évidence d'une fin qu'il ne désire pas réellement: « Nothing's changed, I still love you, oh I still love you... Only slightly, only slightly less than I used to my love ». Enfin, le dernier titre à avoir bénéficié d'une sortie en simple est le splendide Last Night I Dreamt That Somebody Loved Me. Sa longue introduction au piano de presque deux minutes nous enveloppe totalement dans la mélancolie. Quand vient le « Last night I dreamt that somebody loved me. No hope, no harm, just another false alarm », on comprend toute la désillusion de Morrissey, ce sentiment que tout est déjà terminé, avant même d'avoir commencé et une fois encore. Comment ne pas penser à sa relation tumultueuse avec Johnny Marr ?



A côté de tels titres, on retrouve tout de même des chansons plus légères, à l'image de Unhappy Birthday qui prête à sourire. Death Of A Disco Dancer se détache elle aussi clairement, avec son entame sur la guitare grinçante accompagnée par une énorme ligne de basse. La batterie y prend peu à peu sa place pour une montée en puissance fulgurante se soldant par deux minutes d'instrumental (où, pour la première fois, Morrissey joue du piano sur un album des Smiths) s'inscrivant dans la lignée des grands moments de Bowie pendant sa période Aladdin Sane. La phrase récurrente « Love, peace and harmony, very nice but maybe in the next world » pourrait à elle seule résumer ce Strangeways, Here We Come et le contexte dans lequel le public l'a reçu.


Ainsi, ce quatrième album à l'atmosphère mélancolique porte le groupe à son apogée. Voilà peut-être leur opus le moins connoté 80's, qui aura su traverser les époques sans prendre une ride. Les expérimentations du groupe laissent supposer beaucoup sur ce qu'aurait pu être leur carrière si elle avait été moins brève.
Depuis, nombre d'artistes se sont nourris des Smiths : d'Oasis à Blur en passant par Radiohead. Morrissey aura continué son petit bonhomme de chemin, ponctuant ses apparitions de quelques scandales parfois douteux tandis que Johnny Marr aura butiné dans différentes formations comme The Cribs. Il aura enfin pu, notamment avec Modest Mouse, poursuivre et combler ses besoins d'expérimentations sonores diverses. Comme l'a si bien résumé le Moz dans une interview donnée en 1987 aux Inrockuptibles, The Smiths auront été « un groupe qui sonnait assez dur, avec des mots sensibles ». Malgré la brièveté de leur carrière, ils auront influencé l'histoire de la musique britannique.

Comme ils le chantaient : « There is a light and it never goes out »...