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Dossier : Pop'pea au Théâtre du Chatelet à Paris du 29 mai au 7 juin

Dossier réalisé par Anne-Line le 13 juin 2012

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Le Théâtre du Châtelet n'en est pas à son coup d'essai en ce qui concerne les projets musicaux audacieux. Après la création en 2007 de l'opéra Monkey – Journey To The West par Damon Albarn, c'est un projet encore plus loufoque qui est présenté actuellement : une adaptation du dernier opéra de Monteverdi, datant de 1642, avec un casting de musiciens pop et rock : Pop'pea – L'Incoronazione Di Poppea. Avec des musiciens d'univers complètement disparates et une scénographie signée par Pierrick Sorin, le projet avait de quoi mettre l'eau à la bouche. Si l'on ajoute à cela une direction musicale confiée à Peter Howard (ex-Clash) et des costumes créés par Nicola Formichetti, collaborateur de Lady Gaga), l'on était en droit de s'attendre à un spectacle des plus ébouriffants.

Dans la pratique, Pop'Pea défie toutes les attentes que l'on aurait pu avoir en découvrant les affiches et autres trailers. En effet, le livret a été ré-adapté et simplifié par Ian Burton, librettiste de renom. Les dialogues et paroles des chansons sont ultra-contemporains et ne portent plus aucune trace de 1642. Les quelques scènes non-chantées sont très naturelles, les « acteurs » n'ayant pas cherché à donner dans le côté ostentatoire que l'on pourrait facilement associer à un opéra classique. Les voir s'exprimer avec ce naturel désarmant alors qu'ils arborent des costumes créés par le costumier de Lady Gaga est assez déroutant. De fait, tout le spectacle est nourri de ce contraste, entre naturel et grotesque. A un Néron au tempérament fougueux et adolescent de Carl Barât, pas tout-à-fait sorti de son rôle de rock-star des bas-fonds, répond une Poppée majestueuse en la personne de la soprano Valérie Gabail. La première fois que leurs voix se mêlent, et entonnent leur thème Now I Hold You, l'impression est plus que bizarre. Il faut accepter la superposition de voix lyriques et non-lyriques sous peine de passer à côté du charme du spectacle. Ce charme réside non pas dans la musique en elle-même, ni dans l'imagerie entre kitsch et absurde, mais dans la superposition improbable de ces deux éléments. C'est une œuvre qui s'apprécie pour son concept, pas pour son exécution. Il faut regarder ce spectacle comme une performance d'art contemporain plus que comme un récital.

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Car Pop'pea brouille les pistes. Néron est un personnage historique ici représenté comme une rock star tout droit sortie de Spinal Tap. Et la scénographie repose sur des anachronismes permanents et des incrustations vidéo en temps réel qui donnent par moment l'impression de se trouver dans un clip des Rita Mitsouko géant. C'est cet univers d'absurde, un ressort comique cher aux Anglais, qui fait tenir debout ce spectacle. Il n'est pas sûr que tous les instants où le spectateur est amené à sourire aient été intentionnels de la part des auteurs, mais l'on se trouve dans un univers proche des Mighty Boosh, où il faut juste accepter ce que l'on regarde. Pendant ce temps, les musiciens, dans leur fosse, semblent s'en donner à cœur joie.
Dirigés par Peter Howard, et reliés informatiquement à une régie cachée sous la scène, ils jonglent entre les styles portés chacun par une expérience des tournées avec des artistes aussi divers que Paul Weller, Queen Adreena, Wedding Present (pour Peter Howard), Jah Wobble, Perry Farrell, Viv Albertine (pour Max La Villa), ou encore les Specials, Goldfrapp et Brett Anderson (pour Angie Pollock). De l'opéra ne subsistent que deux manuscrits postérieurs à la mort de l'auteur, fortement incomplets, ce qui donne l'opportunité de laisser libre court aux interprétations. De façon tout-à-fait inattendue, ici le résultat final est truffé de sonorités new wave, agrémentées par moments d'accents hip-hop (le thème des deux soldats-rappeurs-gardes du corps de Néron) et de gros riffs de guitare bien lourds (le thème d'Othon, le personnage de Benjamin Biolay). La complicité entre les 6 musiciens est évidente, et le plaisir qu'ils prennent à jouer fait plaisir à voir. Ils soutiennent de toute leur volonté un casting lui aussi très hétérogène, non seulement de par leurs différents univers, mais surtout de par leurs différences de niveau technique.
C'est un peu là que le bât blesse dans cette production. Confronter des artistes techniquement irréprochables à d'autres plus approximatifs tient de la gageure. Carl Barât semble hésitant dans ce costume d'empereur trop grand pour lui (figurativement) et s'applique du mieux qu'il peut, à défaut d'être juste. Les seuls moments où il semble reprendre du poil de la bête sont ceux où il doit se servir d'une guitare électrique, renouant avec sa zone de confort. Benjamin Biolay, quant à lui, semble se demander ce qu'il fabrique là, tout comme le public d'ailleurs. Ses efforts dans les parties chantées ne rattrapant malheureusement pas la médiocrité de ses scènes parlées, récitées avec la conviction d'un poulpe neurasthénique. Le trac ? On ne peut s'empêcher de penser qu'il eût été judicieux d'échanger les rôles entre Carl Barât et Benjamin Biolay : ils auraient été l'un comme l'autre beaucoup plus convaincants.

À leurs côtés, Marc Almond tire la couverture à lui. Véritable talent naturel pour la comédie musicale, il occupe l'espace avec grâce, élégance, et une facilité inouïe. À croire qu'il a fait cela toute sa vie. La jeune Anna Madison apporte une touche de fraîcheur et d'espièglerie de sa voix rauque et sexy. Les scènes de Fredrika Stahl, alias l'impératrice Octavie, sont d'une beauté à pleurer. Parfaite dans son rôle de femme bafouée, sa voix pure comme du cristal donne le frisson. Son monologue final (« I shall sail across a sea of bitter tears... ») est certainement le moment le plus émouvant du spectacle. Au milieu d'eux, la soprano Valérie Gabail, lisse et immaculée, fait figure de tour d'ivoire imprenable.
L'intrigue reposant entièrement sur la supposée attraction entre Poppée et Néron, qui désire répudier son épouse Octavie pour pouvoir épouser Poppée et en faire la nouvelle impératrice romaine, l'on aurait pu s'attendre à plus de sensualité entre les deux acteurs principaux, qui ne font que se titiller, se violenter, se bousculer dans toutes leurs scènes en commun. À défaut d'amoureux transis, ils ont plutôt l'air de partenaires sadomasochistes. Effet accentué par leurs costumes en cuir. Peut-être était-ce l'impression qu'ils voulaient donner dans leur jeu ? Si l'on considère que la gaucherie naturelle de Barât et que la froideur de Valérie Gabail font partie des personnages, le rendu est réussi. On pourrait également supposer que leur relation n'est pas basée sur un amour sincère, mais sur des sentiments plus triviaux ; la simple luxure de la part de Néron, et l'ambition sociale de la part de Poppée. Quoi qu'il en soit, la respiration anarchique du rockeur, constamment à bout de souffle, fait véritablement apparaître Néron comme un sociopathe avide de violence, ce qui rend alors la scène finale crédible. L'affrontement des deux amants, tandis qu'ils continuent à se chanter leur duo d'amour, apparaît donc comme la conclusion inévitable de leur relation particulière.

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En résumé, Pop'pea est un spectacle à ne surtout pas prendre au sérieux. Si l'on décide d'être indulgent sur l'inexpérience de certains des interprètes, il est facile de se laisser prendre par le côté loufoque et poétique de la mise en scène et passer un agréable moment. Ce n'est assurément pas l'endroit pour réviser ses cours de chant ou d'art dramatique. La simplification à l'extrême de l'intrigue, éliminant les personnages secondaires superflus et autres figures allégoriques (la Vertu, la Fortune, l'Amour, etc...) rend le spectacle très contemporain et souligne de par l'absence de dieux l'absence de morale des personnages uniquement guidés par leurs pulsions. L'esprit punk qui en ressort n'est sans doute pas fait pour plaire aux puristes, mais en tant que divertissement Pop'pea remplit sa mission. Il faut saluer le directeur artistique du Châtelet, monsieur Jean-Luc Choplin, à l'origine de ce cocasse projet, et l'on ne peut que l'encourager à continuer de participer à faire de Paris un haut lieu de la création artistique.

Pop'pea a fait l'objet d'une captation en 3D par le groupe France Télévisions et sera diffusé prochainement sur leur antenne ainsi que sur Orange 3D. Une sortie en DVD est également prévue.

CASTING
Carl Barât : L'empereur Néron
Valérie Gabail : Poppea
Benjamin Biolay : Ottone
Fredrika Stahl : Ottavia
Marc Almond : Seneca
Anna Madison : Drusilla
AC The MC : Soldat 1
Matic Mouth : Soldat 2

MUSICIENS
Peter Howard : (Directeur musical) Batterie
Max La Villa : (Orchestrateur) Guitare
Gaz Williams : Basse
Chris McComish : Percussions
Angie Pollock : Claviers
William D. Drake : Piano, claviers

Adaptation musicale : Michael Torke
Adaptation livret : Ian Burton
Mise en scène : Giorgio Barberio Corsetti
Scénographie : Pierrick Sorin
Costumes : Nicola Formichetti
Lumières : Marco Giusti