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Interview : Alex Stevens présente le Dour Festival 2013

Dossier réalisé par Cyril Open Up le 4 juillet 2013

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Le festival de DOUR célèbre son quart de siècle et s'est taillé la belle réputation d'être celui qui propose une offre de programmation très large, couvrant de très nombreux styles musicaux. Alex Stevens, programmateur de l'événement, nous en dit plus, sans langue de bois aucune, sur l'envers du décor dans un café parisien dont la décoration à la thématique peau de léopard ne manquera pas de nous faire sourire « off the record ».

Le Dour Festival a une programmation très éclectique avec certaines scènes réservées à un style musical en particulier, comment parvient-on à trouver le bon équilibre ?

C'est un peu la difficulté du travail de programmation, parvenir à la fois à convaincre les gens qui sont à fond dans une niche et les autres pour les rassembler. Par exemple, un festival comme le Primavera Sound Festival a une programmation très typée indie. Quand la liste des artistes confirmés paraît, les gens qui écoutent ce genre de groupes s'identifient très facilement et se décident aussi assez facilement. Nous, c'est plus compliqué car on est à la fois sur des niches métal, hip-hop, électro, reggae ... En même temps, c'est cela qui fait l'ambiance du festival, quand tu es à Primavera, tu en as peut-être assez d'écouter du rock au bout de deux jours, alors qu'ici, tu peux aller voir ce qui se passe sur la scène métal, te vider l'esprit avec du reggae, sauter sur du hip-hop après avoir bu un verre pour te lâcher alors que tu n'as pas l'habitude de le faire. C'est ce que j'aime quand je vais à un festival. C'est vrai que c'est plus facile de vendre un festival comme le Sonar sur l'électronique ou le Hellfest sur le métal mais je trouve cela bien aussi de proposer quelque chose où les gens peuvent bouger d'une scène à l'autre et écouter des choses différentes selon leur esprit et leur humeur. Pour le dosage, ça c'est avec l'expérience. Je suis sur le terrain, je vais beaucoup à d'autres festivals également pour capter les atmosphères.

Quels sont tes festivals préférés ?

J'essaie de ne jamais faire deux fois le même festival mais je n'y parviens pas puisque mes amis vont toujours aux mêmes et que j'ai quand même envie d'y aller avec eux. Ou alors il faut faire des festivals tout seul, ce que je fais de temps en temps. Quand tu es tout seul, c'est là que tu fais les meilleurs rencontres. Pour le boulot, en janvier, il y a l'Eurosonic qui est vraiment pas mal au nord des Pays-Bas. C'est le marché des musiques européennes. Tu as tous les groupes rock, électro ou autres d'Europe, ce n'est pas donc pas pour le marché américain. Tous les professionnels et festivals européens sont là-bas. Tous les gros agents sont présents, c'est là que j'ai confirmé les Smashing Pumpkins dans un bar à minuit avec l'agent qui est également celui de Coldplay. Il me faisait des bisous sur le front, sur la joue, il me portait et tout le monde regardait ça en se demandant ce qu'il se passait. Pour le travail, c'est très important d'être là-bas. Pour le plaisir, j'aime le Primavera Sound Festival avec Barcelone, le côté city trip, aller à la plage la journée. La semaine passée, j'étais invité sur le Sakifo sur l'Ile de la Réunion parce qu'on a aussi un peu de musique world sur le festival. Ça fait changer un peu d'air, c'est beaucoup plus chanson française, world, créole et maloya. Cela m'a permis de voir comment ils font leur programmation par rapport à leurs publics créole et métropolitain, de voir comment ils les mélangent, c'est une problématique sur laquelle je suis aussi. Ça m'aide à y réfléchir. Là-bas, ils ont une petite scène sega, c'est vraiment un truc local, tous les créoles arrivent et foncent là-dedans. Ils font la fête, musicalement, c'est pas du tout ce que j'écoute mais je crois qu'il y a des trucs à prendre un peu partout. Il faut créer une atmosphère, un équilibre, rassembler les gens. Et puis les gens qui allaient voir autre chose tombent sur cette petite scène, ils voient l'ambiance un peu folle et cela contribue aux souvenirs que tu gardes de l'événement.

Dour contribue d'ailleurs de son côté à promouvoir la scène belge...

On a cette année trente groupes belges francophones et une quinzaine ou vingtaine de groupes flamands. Beaucoup de flamands viennent au festival et ont aussi envie de voir les groupes de chez eux. Mais tout simplement, c'est parce qu'il y a des groupes de qualité. On est plutôt pas mal en Belgique, il faut être fier. Il ne faut pas toujours regarder à côté et se dire que c'est mieux ailleurs. Il faut savoir regarder chez soi et voir qu'il y a des choses bien chez soi aussi.

Quel a été ton parcours pour arriver à devenir programmateur sur le festival ?

Je suis tombé dedans en étant petit. J'ai vu dans le journal de mon village une annonce qui disait « tu as entre 7 et 77 ans, tu veux faire de la radio, contacte nous ! ». J'avais douze ans, je me suis dit, c'est bon, je suis dans la tranche. J'ai envoyé ma cassette. Le mec s'est dit que j'étais malade de vouloir faire ça à douze ans. Mais j'ai eu une émission qui s'appelait Rock Attitude en 95 et, grâce à ça, j'ai réussi à avoir mon pass pour Dour en 97, j'avais donc quatorze ans. Je suis tombé amoureux du festival, l'ambiance, la diversité. C'était génial sauf qu'à quatorze ans, on n'a pas beaucoup d'argent. J'avais pris des biscuits dans l'armoire de mes parents. J'ai mangé ça pendant deux jours, je n'en pouvais plus. Le samedi midi, je suis rentré, j'étais fauché. J'y suis ensuite retourné d'année en année. En 1998, j'ai lancé un webzine, Nameless, et le programmateur organisait un festival près de chez moi. Je lui ai proposé de faire la page web de son festival local. Comme ça, j'ai été en relation avec lui. En 1999, je lui ai dit que le site officiel du festival n'était pas terrible et s'il ne cherchait pas un webmaster. En 2000, il m'a nommé responsable dudit site. J'ai continué mes études, mon magazine en ligne, d'aller à des festivals et quand j'ai fini mes études, il m'a embauché, je suis devenu son assistant. Lui est devenu ministre et j'ai pris sa place ! (rires) C'est mon quatorzième festival en tant que programmateur et je travaille depuis seize ans avec le fondateur du festival. Il me connait depuis que je suis tout petit.

Tu n'étais donc forcément pas présent lors de la première édition, encore moins en tant que programmateur. Quels sont les artistes que tu aurais aimé programmé et que tu n'as pas réussi à avoir ?

En fait, ce qui marque le Dour Festival, c'est l'audace de la programmation. En 1991, c'était le tout premier festival rock en Belgique à programmer De La Soul qui était un groupe hip-hop, et quand tu regardes les capsules vidéo de l'époque que l'on a posté sur Viméo, tu y vois des gens avec des vieilles crêtes de punk de la fin des années 80 qui font des interviews et qui disent à la journaliste « c'est un scandale de mettre du hip-hop dans un festival de rock, c'est n'importe quoi, ils n’ont rien compris ici ». En 1997, on regarde le reportage, il y avait une scène techno avec la discothèque le Fuse à Bruxelles. A l'époque, ça ne se faisait pas, maintenant on a l'habitude de voir de la musique électronique. Je crois que ce qui a marqué la programmation, c'est donc son audace, proposer des choses que les autres ne proposaient pas, ce n'est donc pas forcément programmer LE groupe, parce que sur la masse des groupes, c'est clair que si tu regardes l'affiche de 1994 avec Blur, dEUS et Pulp... Après tu peux vivre sur ce mythe là pendant vingt ans. Il y en a qui le font mais c'est clair que sur la masse des trois mille groupes qui sont passés, heureusement qu'il y en a trois qui sont devenus superstars, sinon cela voudrait dire que le festival n'a vraiment pas du tout de nez. (rires) Mais le plus fort, c'est d'aller faire des trucs avant les autres, programmer des scènes électro et hip-hop à des époques où ça ne se fait pas du tout. C'est présenter six scènes à une époque où tous les festivals n'en ont qu'une.

Comme un pied de nez, cette année ce sont les Eurockéennes qui ont Blur pour leur vingt-cinq ans, comment le prends-tu ?

Chez nous, en Belgique, c'est Rock Werchter qui les a. Mais c'est normal, ce sont des groupes qui font des stades, ils demandent à jouer dans chaque pays dans le ou les plus gros festival(s). Le manager et l'agent anglais ne comprendraient pas sinon, c'est un grand groupe, il doit jouer dans le plus grand festival. Ils ne comprennent pas autre chose. Enfin, ce n'est pas si vrai, parce que regarde, quand Pulp sont venus il y a deux ans, Jarvis dit à un moment ce morceau, la première fois qu'on l'a joué, c'était ici puis il demande qui était là. Cinq mecs lèvent la main et il leur répond « il y a des menteurs ici, il n'y avait pas autant de personnes ». Pulp, ils le font bien, cette sympathie et ce lien avec le passé. C'était un bon moment. Blur, c'est un autre truc, c'est un énorme groupe anglais, je ne leur en veux pas du tout.

A cette période de l'année, ton principal concurrent reste Benicassim même si ce n'est pas forcément le même public, tu essaies de faire ta programmation pour te démarquer d'eux ?

Je suis allé pas mal de fois à Benicassim. C'est vrai que leur public est plutôt anglais. Nous, on fait assez peu de public qui vient d'Angleterre. On doit avoir deux ou trois mille anglais, ce qui représente entre 5 et 10% de la fréquentation. C'est loin des 80% de Benicassim. Notre public est à un tiers belge francophone, un tiers flamand et un tiers d’autres (français, anglais, etc...). En termes de public, j'ai l'impression que les gens qui viennent à Dour se demandent s'il faut aller au Sziget ou chez nous. Quand tu compares avec Benicassim, ce sont deux concepts différents. Ils sont dans les gros noms anglais pour le public anglais, nous on est plutôt dans un festival à la campagne. Au niveau des tarifs, ce n'est pas comparable non plus. Au niveau de la météo, ça ne l'est pas non plus (éclat de rire). Enfin, je dis ça, il vaut mieux en rire. Mais avec des festivals comme ça sur notre week-end, c'est difficile parfois d'avoir des groupes comme ... non, je ne peux pas le dire, allez si, comme Queens Of The Stone Age. Ils les ont attirés dans le sud, ils ont des gros camions, c'est une tournée compliquée à monter et c'est difficile de les faire remonter vers la Belgique. Benicassim, ils travaillent en plus avec un festival au Portugal, alors ils font des offres couplées, il ne reste donc plus que deux jours sur les quatre. On fait des offres pour des artistes qui font les deux mais c'est très rare d'en avoir. On n'est pas vraiment en guerre. Ils font aussi de l'électronique mais je pense qu'on est beaucoup plus forts. J'ai l'impression que les artistes ont plus envie de dire qu'ils ont joué à Dour plutôt que Benicassim. Ça dépend aussi des genres musicaux, sur le métal ou sur le reggae, ils ne nous posent aucun problème (rires). On essaie de faire notre festival à notre manière pour éviter cette concurrence au niveau du public et de l'artistique.

Travailles-tu tout seul ou te fais-tu aider pour établir la programmation ?

Le rock, l'électro et le hip-hop, c'est ce que j'écoute principalement, je suis donc pas mal l'actualité. Le reggae, je ne me baigne pas assez dedans, on va dire. Tout ce qui est métal hardcore, j'en écoutais quand j'étais plus ado et j'en écoute encore de temps en temps mais mes collègues au bureau et ma copine ne sont pas pour, comme je fais du covoiturage, je ne peux même pas en écouter dans ma voiture non plus ! Je ne peux en écouter ni au bureau, ni dans la bagnole, ni à la maison. Mon entourage m'empêche d'écouter un bon Slayer tranquillement mais j'aime toujours ça. Je suis un métalleux frustré caché chez les popeux. Je reçois beaucoup de listes de noms et je les envoie à des gens que je consulte. Si plusieurs d'entre eux tiltent sur le même, je vais l'écouter en cachette le midi pendant que les autres vont manger ou alors je leur dis que je programme la Cannibal Stage pendant deux heures et ils vont faire un tour.

Quels sont tes meilleurs souvenirs sur le festival ?

Il y a bien sûr ma première année, en 1997 où j'ai fait une file de trois heures pour rentrer dans le camping, où j'ai mangé des Grany pendant deux jours non-stop et que je suis rentré chez ma mère exténué. Maintenant quand je repense à ça, c'est assez drôle. Je n'avais même pas d'ami avec qui y aller, j'y étais allé tout seul. Ensuite c'est la première scène que j'ai programmée en 2004. Je crois me souvenir qu'il y avait, Pinback, The Notwist, Lali Puna, Karate, To Rococo Rot... c'était juste incroyable. Quand tu choisis la programmation, tu fais un truc sur papier, tu fais un plan d'attaque, tu joues un peu à Sim City, tu mets des maisons. Et puis, tu ne te rends pas compte et l'ensemble prend vie. Et la première fois, c'est quand même une émotion. Tu vois les groupes pour lesquels tu t'es battu qui viennent, le retour du public. Le soir, c'était un des plus beaux jours de ma vie. C'était un effet incroyable. Ce n'est quand même pas facile de faire ce métier, c'est beaucoup de négociations, de responsabilités, d'enjeux financiers. Il y a des moments où on voudrait abandonner pour faire autre chose et puis quand le festival a lieu et tu as ce retour du public... J'en ai parlé avec d'autres programmateurs, on se dit que quand la foule de 40 000 ou 80 000 personnes acclame le groupe, c'est un peu comme si tu gagnais Roland Garros (rires). Ce n'est pas toi que le public acclame mais tu le prends un peu pour toi. C'est quand même le résultat de ton travail. Il n'y a pas beaucoup de boulots qui offrent la chance d'avoir un retour concret du public comme ça. Quand tu gagnes la coupe du monde de football aussi, tu as cette émotion, mais là c'est tous les ans et deux cent trente fois, enfin pas deux cent trente parce qu'il y en a toujours un ou deux qui merdent.

Dans le cas où certaines scènes ne sont pas très remplis, tu t'adaptes au goût du public pour l'année suivante ?

Sur quelle scène as-tu trouvé qu'il n'y avait pas beaucoup de public ?

Je ne suis jamais venu, c'était une supposition...

Il y a toujours beaucoup de monde sur toutes les scènes, même assez tôt, ce qui surprend souvent les artistes. Des groupes américains qui arrivent qui n'ont jamais joué en Belgique et qui passent à 14h00, ils font la gueule, ils en veulent à l'agent. Ils montent sur scène et il y a 2500 personnes. Et souvent, du côté des artistes, le souvenir qu'ils en gardent, c'est que le public est là tôt, nombreux et à fond. Après, il y a des styles qui fonctionnent un peu moins que d'autres. Par exemple, le hip-hop fonctionne super bien pour le moment alors que pour l'indie rock quand tu regardes le public, la moitié c'est des journalistes. Donc si tu veux des bons papiers, tu fais une scène comme ça mais si tu veux vendre des tickets, tu fais du hip-hop. En même temps, c'est ce que j'écoute aussi mais il y a un certain équilibre à trouver. Je suis content par exemple de programmer Converge, DIIV et Klaxons sur le même festival, de voir Biohazard puis d'aller danser sur Salut c'est cool.

Y-a-t-il des groupes qu'on t'a proposés, que tu n'as pas programmés et qu'avec le recul tu aurais finalement bien aimé avoir à Dour ?

Il y a des artistes sur lesquels j'ai fait des erreurs mais ce n'est pas forcément sur les styles de Dour. On programmait un autre festival qui avait lieu sur le même site il y a quelques années. Il s'adressait plus aux jeunes de la région et on m'a proposé à un prix que je trouvais trop cher les Tokyo Hotel que je n'ai pas faits parce que je ne trouvais pas ça très bien. Et je me dis que finalement si j'avais pu les faire, ça aurait été un bon coup à un bon prix. C'est pareil avec Skrillex, on me l'a proposé à un prix ras du plancher il y a deux ou trois ans, je ne l'ai pas fait parce que j'avais bouclé la programmation. Il y a des trucs comme ça, c'est une question de feeling ou pas. Généralement, il y a quand même plus de coups que tu tentes et qui fonctionnent que de trucs que tu ne sens pas du tout et qui cartonnent. Ce qui est bien avec 230 groupes, c'est que cela permet d'avoir plus de places pour faire des paris que les autres festivals. Et comme je parie plus, j'ai plus de chances de gagner.

As-tu déjà eu des soucis avec des annulations en cascade ou des artistes un peu capricieux ?

On a vraiment de la chance avec les annulations, on a toujours deux à trois changements de programme à la dernière minute. Il y a une dizaine d'année, les interlocuteurs étaient beaucoup moins professionnels qu'ils ne le sont aujourd'hui. Mais désormais, on travaille avec des agents, des gens avec qui on a confiance, il y a des procédures avec eux. Ils doivent réserver les billets de train à tel moment, ils doivent réserver le backline, envoyer le contrat. Du coup, on sait que si l'artiste n'a pas réservé son billet de train c'est souvent qu'il est en train de préparer un coup fumeux. Pour ce genre de cas, on a l'expérience et l'agent entre les deux sait comment il doit réagir et mettre un coup de pression. On a déjà eu des problèmes en terme d'accueil du public en raison d'une mauvaise météo qui a provoqué du retard sur le montage mais sur l'artistique depuis six ou sept ans, le truc est vraiment au point. On a très peu d'annulations mais je ne devrais pas dire ça parce qu'il y a la loi de Murphy. Il suffit que je dise qu'on a très peu d'annulations pour que je regarde mes mails et apprendre qu'il y en a une à cause de toi. Je ne sais pas encore qui a annulé mais tu me le paieras cher (rires) !

Quelles anecdotes un peu inédites pourrais-tu nous raconter à propos du festival ?

Oui, il y a des trucs un peu drôles chaque année. Les artistes ne sont pas très capricieux parce qu'on n'a pas d'énormes stars. Par exemple, Alec Empire a cassé un pied de micro sur scène, on lui a retiré les deux cents Euros de son cachet. Il a dit « OK, mais si je le paie, il est à moi, il faut me le retrouver, je veux le reprendre ! ». L'année d'après, il est revenu et il a dit qu'il pensait à nous tous les jours et qu'il l'avait mis en décoration dans son salon. Il y a pas mal de petites histoires sympas comme ça.

L'année passée, la météo a été plutôt capricieuse et des zones du festival s'étaient transformées en lacs, que s'est-il passé ?

Il a plu non-stop pendant quatre jours. Au début, le terrain absorbe, absorbe et au bout d'un moment il est gorgé d'eau et ne peut plus absorber. Il y a une zone qui est le Dance Hall où il a énormément plu le dimanche matin, où le plancher a commencé à monter. Des camions sont venus pour aspirer des milliers de tonnes d'eau mais ça prend un peu de temps, deux ou trois heures. On a dû annuler le premier groupe qui était le gagnant d'un tremplin et qu'on a reprogrammé cette année pour s'excuser. On a donc annulé un seul groupe à cause des problèmes météo, rien de dramatique au final. Maintenant, il n'y a pas de miracle, tu mets 80 000 pieds dans un champ gorgé d'eau, tu as beau mettre de la paille et du plancher, quand c'est inondé, ça flotte. On a à peu près ça tous les douze ans. On n'a jamais eu deux festivals de suite où il a plu quatre jours sans cesse mais il suffit que je dise ça pour que ça arrive aussi. (rires) Ce sera encore de ta faute. (éclats de rires) C'est la loi de Murphy, la poisse de l'organisateur. Il dit qu'il ne pleuvra pas deux années de suite et ça se passe. Ce qu'on peut garantir à Dour, c'est l'atmosphère, la qualité des concerts, la diversité musicale, mais finalement sur vingt-cinq ans, on n'a eu que trois ou quatre années vraiment problématiques en matière de météo. Comme on a eu des problèmes les deux dernières années, du coup, les gens ne pensent plus qu'à ça. Si tu regardes depuis les débuts du festival, il y a eu plus de jours ensoleillés que de jours de pluie. De toute façon, quand il fait trop chaud, les gens se plaignent parce qu'il fait trop chaud et qu'il y a de la poussière, quand il pleut, ils se plaignent qu'ils sont mouillés. Qu'est-ce que tu veux y faire ! J'ai répondu cyniquement à des festivaliers, pas de problème, cette année, on a bétonné le sol et mis un toit sur tout le site, il n'y aura pas de boue, pas de soleil, pas de pluie et ça va être super. Pour ceux qui ne supportent pas le plein air, il y a plein d'évènements indoor très sympas.

Il y a un journal qui s'appelle No Bullshit! qui paraît tous les jours pendant toute la durée du festival, peux-tu nous en dire plus sur le financement et la réalisation de ce projet ?

Il est réalisé avec Moustique qui est un peu notre Telerama belge et qui est partenaire du festival depuis très longtemps. Ce sont eux qui ont eu l'idée il y a une quinzaine d'années de proposer un journal tous les matins avec des infos un peu décalées, des interviews, le programme du jour... Ce sont eux qui le financent dans le cadre du partenariat plutôt que de monter un stand avec des hôtesses. L'idée c'est d'apporter un service aux festivaliers qui est bon pour la marque et qui travaille leur image. Les gens savent que c'est l'équipe de Moustique qui le fait et en allant chez un marchand de journaux les semaines suivantes, ils seront peut-être tentés de retrouver cet humour décalé qu'ils ont trouvé dans le journal du festival plutôt que d'acheter le concurrent. C'est une manière intelligente d'être présent sur un événement.

Quels sont tes coups de coeur dans la programmation de cette année, les groupes émergents dont tu aimerais que le public évite de passer à côté ?

J'en ai distillé un peu partout dans la programmation. C'est un peu l'histoire de ma vie de mettre des coups de coeur à gauche à droite. La programmation est composée à 60% de groupes autour desquels j'ai une histoire, un truc à raconter. Dans les groupes que j'écoute pas mal en ce moment, il y en a un que j'ai revu au Primavera Sound Festival et pas mal de fois en début d'année, c'est Thee Oh Sees. Je ne sais pas si tu les as déjà vus, mais à chaque fois c'est un niveau au-dessus. Pour moi, c'était le meilleur concert du festival. Je ne sais pas pour toi...

Oui, c'est vrai que ce n'était pas loin d'être le meilleur...

Ils mettent tout le monde d'accord. Quand tu croises quelqu'un qui était à Thee Oh Sees, tu ne lui demandes pas si c'était bien.

Il y avait d'ailleurs beaucoup de monde pour ce concert-là...

Oui, c'est fou. Pour moi, ils sont en train de se construire une carrière un peu à la Fugazi un peu dans leur genre au niveau de l'énergie, de l'attitude et de la manière d'être. Ils sortent deux disques par an, ils montent en niveau d'année en année, pour moi c'est vraiment incroyable. Ensuite, pour faire un peu cocorico, on a les BRNS, il y a vraiment de la puissance dans leur show. C'est original dans son genre. Il y a aussi un disque pop hollandais, c'est rare que je sois fan d'un groupe hollandais, mais il y a Jacco Gardner. Son album est vraiment très bon. Voilà, ce serait mon troisième, c'est très chouette.

N'étant jamais venu, des espions m'ont raconté qu'il y avait beaucoup de stands avec des marques de boissons qui font de la publicité. Est-ce une part importante du financement du festival ?

C'est vrai qu'entre la France et la Belgique, le marketing autour du festival n'est pas fait pareil. Certaines marques sont plus agressives en Belgique qu'elles ne le sont en France. Les publics hollandais et flamands ne sont pas du tout choqués en arrivant. Le public belge francophone est aussi habitué et le public français est sous le choc.

D'un point de vue législatif, on ne peut pas trop montrer les marques d'alcool en France...

C'est vrai que nous sommes un peu plus laxistes de ce côté-là mais c'est quand même encadré. On ne peut pas faire n'importe quoi non plus. On a mis du temps mais on travaille maintenant avec Jupiler notre marque de bière et Red Bull. Il y a deux ans, ils avaient chacun un stand avec des hôtesses et des DJs et ils mettaient la musique à fond au milieu du festival à côté des scènes. Je trouvais ça horrible. J'étais vraiment scandalisé. J'essaie de créer une atmosphère, une ambiance, et eux, ils arrivent comme des bourrins et ils cassent le tout. Et ils font la même chose sur tous les événements. Après, ce n'est pas évident parce que ce sont eux qui financent le festival. Mais d'année en année, en leur expliquant, en discutant avec eux, on a essayé de faire évoluer le partenariat et on a réussi l'année passée pour la première fois avec Red Bull de leur dire, plutôt que de monter une petite scène toute pourrie, on a une scène qui s'appelle la Balzaal avec des grands DJ techno et électro, est-ce que vous ne voulez pas mettre l'argent de votre petite scène sur notre Balzaal, vous mettez l'argent de votre scène dans la déco de notre scène pour apporter une meilleure expérience au public. On renomme la scène en Red Bull Elektropedia Balzaal, comme ça votre marque est travaillée. Comme avec Moustique, ils associent leur marque à un service pour les gens. Ils nous ont écoutés, ils ont embrayé le pas et ils étaient ravis du partenariat. Ils ont donc signé à nouveau cette année. Suite à ça, on a réussi à convaincre Jupiler de faire de même pour cette édition. Il n'y aura plus le stand Jupiler avec DJs et chapeaux de cow-boys. Ils n'ont pas leur mot à dire du côté de l'artistique, ils nous font confiance pour ce qui est des groupes programmés. C'est le festival qui fait la programmation, on ne veut pas entendre de quoi que ce soit venant d'eux. La marque reste visible comme ça. Les stands de boissons avec de la musique ne seront donc plus là cette année, il restera des stands Coca-Cola, Bacardi ... mais on travaille pour faire des partenariats qui collent plus avec le festival, son image et son public. Après il y a des habitudes, quand le boss du marketing de Coca-Cola te dit « je fais ça sur cinquante événements cet été et ce sera comme ça aussi chez vous », sinon il ne te donne pas l'argent. C'est difficile d'aller contre. Après, avec le temps, en leur montrant ce qu'on fait avec les autres, on arrive à les convaincre petit à petit et leur montrer que c'est bénéfique aussi pour leur marque. Ça va dans le bon sens, il y a deux ans, on avait deux stands qui polluaient le festival, maintenant on a deux marques avec qui on travaille intelligemment. Petit à petit, on arrive à régler le truc.

Penses-tu que le festival a atteint sa taille maximale ou il est voué à s'étendre encore ?

On est toujours autour de 34 000 à 36 000 spectateurs par jour. On a fait une année record avec 40 000 personnes il y a deux ans qui était exceptionnelle. Non, je ne crois pas que l'on deviendra plus grand que maintenant par rapport au nombre d'événements, la crise et le fait que nous ne soyons pas sur un modèle avec de grosses têtes d'affiche. Cependant, le festival a réussi à passer de 2000 à 40 000 personnes tout en gardant son atmosphère. On reste le festival cool où les gens s'entendent bien. On a réussi à garder ce côté Woodstock du début et il faut qu'on arrive à le conserver, c'est ce qui fait l'identité du festival. Quoiqu'on fasse, il faut qu'on garde ça.

La logistique doit être assez importante, combien de personnes travaillent sur le festival ?

Pour le moment, on est une vingtaine à travailler au bureau, on est cinq à l'année et pendant le festival, il y aura 3000 personnes sur le terrain aussi bien des sociétés externes qu'on mandate pour des missions, que des équipes de scouts qui font le nettoyage ou des clubs sportifs qui gèrent le parking et qu'on rémunère ou encore des bénévoles qui travaillent contre un t-shirt. Cela représente 3000 personnes au total réparties en une cinquantaine d'équipes différentes. Mais ce n'est pas moi qui gère tout ça. (rires)

Choisir The Smashing Pumpkins qui ont failli faire mettre la clé sous la porte à La Route du Rock en 2007 en raison de leur cachet, pour clore cette édition, n'est-ce pas un choix un peu étrange ?

Je les ai vus en 2007, le concert était horrible, je suis parti au bout de trois chansons. C'était vraiment cauchemardesque. J'étais un grand fan des Smashing Pumpkins dans les années 90, j'ai tous leurs disques, des bootlegs, je suis allé les voir dix fois, j'étais le collectionneur fou. Quand on me les a proposés, c'est vrai qu'ils ont eu une passe à vide avec des concerts qui étaient mauvais. J'étais le fan un peu frustré et dégouté. Il se trouve que le dernier album Oceania est un peu meilleur que les autres. Ils ont changé le bassiste qui n'était pas terrible et ils ont repris la fille qui était sur la pochette de Siamese Dream. Ils ont revu un peu leur setlist aussi pour jouer un peu plus de classiques. J'ai vu un concert de juin de l'année dernière filmé à Lisbonne, la setlist et le concert sont assez bons. On a ensuite négocié le cachet et on a donné à l'agent un tiers de ce qu'il demandait en lui expliquant que ce n'était pas raisonnable sinon. Je pense que Billy Corgan, il a une fierté. Il sait bien qu'il a merdé. Tout le monde lui a dit. Il ne veut pas partir là-dessus, sur une défaite, il a besoin de remonter un bon groupe, de revenir et de prouver qu'il peut le faire. Je pense qu'il est vraiment dans cette optique actuellement, de ne pas partir en laissant l'image d'un groupe tout pourri, qui a sorti des disques de merde et qui n'a fait que des concerts de merde. On peut se revoir le lendemain si tu veux et je te dirai si je me suis trompé ou pas mais je pense que c'était le bon moment pour les faire en tout cas sur ces treize dernières années. Tu sens qu'il a vraiment envie de montrer que son groupe c'est autre chose. Quand tu touches le fond de la piscine, tu remontes. (rires) Je pense qu'ils sont dans une bonne période.

Vois-tu d'abord les groupes en concert avant de savoir si tu vas les inclure dans la programmation du festival ?

Dans l'idéal, mais je ne peux pas tout voir. Ça se passe pas mal au feeling. Si je vois un groupe sur scène et que c'est le coup de foudre, même s'il n'y a pas de buzz et que j'y crois, je vais essayer de le faire. Je vois tellement de trucs que tu deviens un peu blasé alors quand tu vois un truc et que tu te dis « wahou, c'est super », c'est un signe même si les médias ne sont pas encore dessus. Ce fut le cas avec Half Moon Run. Je les ai vus en septembre, c'était fou, et tout de suite, j'ai fait l'offre pour qu'ils jouent cette année. L'album vient de sortir chez une major et ils vont faire une grosse tournée à l'automne, c'est en train de monter pour eux et je pense que ça peut aller loin. J'ai foncé direct et souvent ça paie, quand tu sens vraiment le truc, il faut y aller.

Tu vois donc des concerts presque tous les soirs ?

Non, j'essaie d'éviter, je vais surtout dans les festivals pour en voir beaucoup d'un coup et ne pas faire une sortie pour voir juste un concert. Je vais pas mal de scène en scène et de salle en salle, ça fait faire pas mal de kilomètres.

Comment définirais-tu l'esprit Dour ?

A DOUR, les gens oublient un peu leurs codes. L'année passée, j'ai vu des parisiens assez sérieux le premier jour, ils étaient toujours dans leur trip bonjour et on se serre la main. Le dimanche, ils te prennent dans leur bras et ils ont le sourire jusqu'aux oreilles. C'est un festival qui détend. Les gens s'en foutent de comment tu es habillé, comment tu danses ... On est oppressé par plein de codes dans cette société. Plein de festivals disent ça, mais ici, tu peux vraiment venir et faire ce que tu veux, il n'y a personne qui te regarde. La rencontre est facile, tu peux y aller tout seul et te faire trente potes en dix minutes.

Le public est-il fidèle et revient-il tous les ans ?

Une partie revient d'année en année mais le public est assez jeune. Pour les trois quarts, les gens ont moins de vingt-cinq ans et c'est donc un public qui se renouvelle beaucoup. C'est assez rare en Europe, si tu regardes le Paléo, Roskilde, Rock Werchter ou le Pinkpop, ce sont des festivals dont la programmation a vieilli avec le public. Dans ces festivals, des gens plus âgés viennent avec leurs enfants, ils viennent en famille. Les parents vont voir Santana et les jeunes vont voir Justice. Alors que l'on a 25 ans, on reste avec l'image d'un festival jeune, très renommé sans cette image poussiéreuse. On évolue avec notre temps. Il arrive encore que des gens me disent « il est pas mal votre nouveau festival » !

Quels sont, selon toi, les points qui restent à améliorer à Dour ?

On débriefe chaque année pour essayer de s'améliorer et de faire le meilleur festival. Il y a une grosse concurrence, le public n'est pas dupe, il veut la meilleure décoration, la meilleure nourriture, le meilleur son, les meilleurs concerts ... On repart d'une feuille blanche et on se remet en question. On redémarre à zéro tous les ans. Ce n'est pas évident de se dire qu'il faut tout refaire mais c'est un château de cartes, tu mets un an à le monter, tu le regardes, il dure quatre jours et il est cassé et tu dois en remonter un.

Quels groupes aurais-tu aimé avoir cette année et pour lesquels cela n'a pu se faire ?

Chaque année, on me demande ça, il y a des groupes que j'aurais peut-être voulu avoir cette année, que l'on me proposera l'année prochaine et que je n'aurai plus envie de prendre. Il y a aussi des groupes à faire à certains moments. Et les groupes dont je suis vraiment fan, je préfère généralement les voir ailleurs, comme ça mon téléphone ne sonne pas ! Je peux être avec mes potes et je ne suis pas obligé de gérer des trucs. Je ne fais pas une programmation pour me flatter moi-même, j'essaie d'organiser un événement où les gens en profitent. Le but ce n'est pas d'avoir LE groupe pour se faire plaisir. Ce n'est pas notre démarche. S'il y a un groupe que je n'ai pas qui va ailleurs, soit je l'aurai l'année d'après, soit je vais le voir ailleurs. On a aucune frustration par rapport à la programmation qu'on a fait. On a fait du mieux qu'on a pu avec les groupes qui étaient disponibles et je suis content de son équilibre. C'est pas un groupe qui fait tout, c'est vraiment un équilibre global.

Tu ne fais donc pas la programmation qu'en fonction de tes goûts, l'adaptes-tu en fonction des attentes du public ?

C'est un équilibre à trouver. Tu dois connaître la morphologie du public. Si tu as un public très jeune, tu ne vas pas programmer Santana par exemple. Il faut connaître ton public pour ne pas faire n'importe quoi dans tes choix. Tu dois quand même programmer quelques groupes pour les rassurer, en même temps, cela peut être des artistes que tu aimes mais il faut quelques groupes rock ou électro pour les rassurer. Une fois que tu as établi ta base pour rassurer chaque cible, ensuite tu te fais plaisir et tu ne penses plus à rien. Ce n'est pas pour moi, c'est pour la beauté de créer cet ensemble cohérent, intéressant et différent des autres événements. Les 230 groupes ne me plaisent pas forcément tous mais je les défends tous. Il n'y a pas un groupe dont j'ai honte ou que je regrette d'avoir programmé. Tryo ou Psy 4 De La Rime qui peuvent paraître plus grand public sont des artistes qu'on a fait venir quand ils étaient tous petits, qu'on a connu au début de leur histoire et qui ont grandi avec le festival. Ils sont venus à une époque où ils étaient alternatifs et on est des gens fidèles, on est comme ça. IAM et Amon Tobin font aussi partie de la famille. Quand ces artistes veulent revenir, je ne peux pas dire non.