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Gravenhurst

Interview publiée par Amandine le 23 avril 2012

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Cinq longues années que Nick Talbot, cerveau de Gravenhurst, ne nous avait pas livré d'album. A l'occasion de sa venue dans la capitale, il nous a expliqué les doutes qui l'ont saisis et sa perception de la musique, dans une bonne humeur et avec un entrain loin de sa personnalité effacée sur scène.

Ton dernier album est sorti en 2007 : pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour sortir un nouveau disque de Gravenhurst ? Avais-tu besoin de temps pour trouver l’inspiration ou t’occupais-tu de tes side-projects en priorité ?

C’est en fait un mélange de plusieurs choses. J’ai fait quelques sessions acoustiques mais le gros problème qui s’est posé, c’est que j’ai commencé à écrire des chansons en 1995 et elles ne sont sorties que sur le premier album de Gravenhurst en 2000, ce qui te permet de voir le temps qu’il a fallu pour les mener à maturité. Ensuite, quand est venu le moment d’écrire ce qui deviendrait Fire In Distant Buildings, j’avais encore des chansons de côté. Pour te donner un ou deux exemples, Down River (ndlr : le premier titre de Fire In Distant Buildings) a été écrit en 1996 et la musique de She Dances, qui apparaît sur The Western Lands, a été composée en 1997. Depuis que je conçois des albums, j’ai toujours eu la chance d’avoir une réserve de titres qui n’étaient pas terminés et sur lesquels je pouvais retravailler. Quand j’ai eu terminé la tournée pour The Western Lands et que je me suis dit qu’il était temps que je travaille à la conception d’un nouvel album, pour la première fois de ma vie, je n’avais plus rien en stock, plus aucune chanson sur laquelle je pouvais me reposer pour une idée de départ. Ç'a beaucoup joué dans la lenteur de la sortie de The Ghost In Daylight.
Ensuite, l’autre élément important a été la multitude de concerts que j’ai donnés durant les dernières années : nous avons fait plusieurs tournées en Europe et j’ai du annuler plusieurs concerts parce que j’étais malade. Durant la dernière tournée, je n’ai pas pu jouer pour les quatre dernières dates parce que j’avais perdu ma voix. Ce n’était pas la première fois que ça m’arrivait, c’est un problème récurent chez moi. J’essayais de chanter avec la musique assez fort derrière moi et je devais donc pousser ma voix, ce dont je suis physiquement incapable. Pour être honnête, à cette époque, je ne m’amusais plus à monter sur scène et à faire des tournées. J’avais donc de nombreuses raisons qui me laissaient penser qu’il fallait que je prenne un peu de recul par rapport à tout ça. J’ai pris cette décision d’une manière assez douce, pas de façon abrupte ; c’était réfléchi et, vraiment, je n’étais pas certain de refaire de la musique un jour. Par la suite, je me suis rendu compte que mon style de vie ne me permettrait pas d'avoir un boulot comme tout le monde, avec des horaires. Naturellement, ce que j’aime, c’est me lever à midi, prendre mon temps et bosser jusqu’à minuit s’il le faut. J’ai beau me dire que ce n’est pas forcément bon pour moi, j’aime ça ! Je me retrouve donc complètement décalé par rapport aux autres et je me voyais mal appeler quelqu’un à 4h du matin parce que je venais d’avoir une idée lumineuse (rires) !

Durant cette période, tu as tout de même travaillé sur d’autres projets, comme Exercise 1 par exemple ?

Oui, en effet, je continue à travailler sur ce projet. Pendant le mixage de The Ghost In Daylight, je pensais à ce que je voulais faire après : un album d’ambient qui serait influencé par l’album Mesk de l’un de mes amis, Dan, dont le pseudonyme est imprononçable... donc inutile d’essayer. C’est le genre de musique qui pourrait être chroniqué sur Wire Magazine. C’est absolument incroyable ce qu’il a fait et traiter le mixage de cet album avec lui m’a donné envie de travailler sur un nouveau projet plutôt dans cette direction. Je suis aussi impliqué dans un projet avec Planet B Records et ai co-écrit quelques titres pour le deuxième album d’un ami. Enfin, je suis toujours sur beaucoup de projets à la fois comme tu peux le voir.

Gravenhurst n’a de toute façon jamais été ton seul sujet de travail...

Oui, c’est certain. Et puis j’écris aussi, j’adore ça. Je fais un peu de journalisme et j’écris sur mon blog également, pas autant que je le devrais d’ailleurs, il faudrait que je sois plus sérieux parce que c’est un exercice que j’apprécie particulièrement ! Je consacre un peu de temps aux bandes dessinées aussi.

Pour le moment, ce nouvel album de Gravenhurst doit tout de même être au centre de tes préoccupations ?

Oui... plus ou moins...

Trois concerts sont déjà programmés et j’ai vu sur ton blog que certaines représentations se feront en solo, d’autres avec des musiciens. Peux-tu m'en en dire plus ?

J’ai toujours l’intention de me produire avec un groupe, je vais juste veiller à ne pas jouer trop fort pour que mes problèmes de voix ne se reproduisent pas. En discutant avec mon manager, qui est aussi une très bonne amie à moi, je lui ai dit que j’allais jouer en solo et elle m’a dit que c’était une mauvaise idée, qu’il fallait un groupe avec moi, même pour jouer « calmement ». J’ai pour habitude de faire confiance à ses conseils en ce qui concerne la musique. Là, j’ai la flexibilité de pouvoir faire des concerts en solo, en duo, avec tout le groupe, donc je vais tester les différentes combinaisons. C’est aussi le bon moyen de jouer différemment les morceaux de The Ghost In Daylight, de les revisiter un peu. En ce moment, nous sommes en pleines répétitions avec le groupe. J’ai beaucoup réfléchi aux concerts que je ferai en solo et j’ai travaillé sur les morceaux : je pourrai en jouer la plupart seul, sans pour autant tout faire en acoustique mais en utilisant des pédales, en me samplant. Je pense que ça peut bien rendre. Pour ce qui est des concerts avec le groupe, je pense faire quelque chose un peu comme Low, si tu vois de quoi je parle.

Entre l’électrique et l’acoustique, très calme et ambient ?

Oui, parfaitement. De toute manière, même si je voulais rejouer comme j’ai pu le faire auparavant, j’en serais incapable physiquement donc il faut faire avec.

J’ai vu que l’un de tes prochains concerts allait se dérouler dans une toute petite église. Pourquoi avoir choisi un tel lieu ?

La personne qui s’occupe de la promo chez Warp, qui habite à Londres, a toujours des choix de lieux intéressants pour des concerts, des endroits insolites. Il m’a proposé cette petite église en me disant que ce serait super, notamment pour l’acoustique du lieu. J’aime l’idée d’arriver dans un lieu qui n’est pas destiné à recevoir de tels concerts et de se sentir tout de même très à l’aise, que ça ait l’air totalement naturel. J’aime aussi me dire que d’un soir à l’autre, je ne vais pas du tout jouer dans le même genre d’endroit et pas du tout devant le même nombre de personnes.

Il y a une capacité d’une centaine de personnes dans cette église il me semble...

Oui, c’est à peu près ça. Beaucoup de monde voulait venir mais ce n’était pas possible. Ça va être très intimiste, j’ai hâte d’y être. Pour être honnête, ça n’a pas non plus été la cohue comme pour un concert des Beatles. Je ne suis pas aussi populaire en Angleterre que je peux l’être en France.

Vraiment ? Pourtant, la dernière fois que tu es venu à Paris, l’an dernier à La Flèche d’Or, avec Paul Smith, le concert était complet et les gens avaient l’air d’apprécier, je pensais donc que c’était pareil en Angleterre...

Non, pas du tout. C'est d'ailleurs cette tournée avec Paul Smith qui m’a donné envie de me remettre plus sérieusement à Gravenhurst et de refaire des concerts. Il m’a invité à venir jouer avec lui et m’a dit « Fais un truc en solo, ça va être génial ! ». Il voulait une première partie calme, pour mettre en condition les spectateurs car ce qu’il fait seul est beaucoup plus posé que ce qu’il peut faire avec Maxïmo Park. Je me souviens très bien du soir en question à Paris. Il y avait cette fille au premier rang qui était en train de discuter et de pianoter sur son portable, juste en face de moi. C’était insupportable. Bref, je ne vais pas recommencer à m’égarer. Tout ça pour dire que cette tournée a été décisive pour l’avenir de Gravenhurst.

Il est tout de même très étrange de se dire qu’en Grande-Bretagne tu n'es pas très connu. Le premier souvenir que j’ai de toi, c’était en première partie d’Explosions In The Sky, en 2007, et tout le monde dans le public te connaissait aussi bien que la tête d’affiche...

Ah ! C’était génial de jouer avec eux... Je ne vais pas dire que je suis un inconnu dans mon pays, il ne faut pas exagérer. Disons que tous les magazines chroniquent mes albums, comme Uncut ou le NME. Généralement, les critiques sont bonnes mais la presse ne m’a jamais donné la chance de me présenter lors d’un reportage, j’ai juste le droit à une chronique parmi tant d’autres. C’est pareil avec Pitchfork pour les États-Unis. En France et en Allemagne, j’ai des doubles pages. Regarde, par exemple aujourd’hui, j’ai fait plus d’une dizaine d’interviews, ce qui est totalement inenvisageable en Angleterre ! Mes albums ont toujours eu beaucoup plus de succès en France et en Allemagne qu’ailleurs et tant mieux, parce que j’adore jouer dans ces deux pays, c’est beaucoup plus accueillant. L’hospitalité en Angleterre n’est pas une qualité développée. Quand tu viens de faire le tour de l’Europe, que la France ou la Suisse t’ont accueilli comme un roi et que tu termines par le Royaume-Uni et que tu te retrouves à Southampton, ça fait un choc ! Tu vas à la cantine où ils te servent un bol de pâtes trop cuites et te mettent du fromage industriel pour tuer le goût définitivement, avec une espèce de sauce végétarienne dégueulasse. C’est immangeable ! Et là, tu repenses à la Suisse où ton repas était digne d’un restaurant étoilé. Mais non, tu es là, à Southampton (rires) ! Je suis tellement content d’être plus connu dans le reste de l’Europe que dans mon propre pays, tout y est tellement mieux !

Le premier morceau de Gravenhurst à sortir depuis des années l'est dans le cadre du Record Store Day. C’est une coïncidence ou une réelle volonté ?

C’était une belle opportunité pour mon retour, ça coïncidait parfaitement avec les dates de sortie de l’album. On a choisi de sortir The Prize et ce sera un bon coup de pouce avant l’arrivée de The Ghost In Daylight. J’aime l’initiative de ce Record Store Day. Tous les petits disquaires indépendants ont tellement de mal. Je vois à Bristol, ils ferment tous les uns après les autres et là, c’est un jour de célébration en leur honneur. La jeune génération n’a plus du tout le même rapport au disque qu’avant. Même le CD est dénigré de nos jours, il faut un format transportable, qui entre dans l’iPod. A côté de ça, tu as les nostalgiques qui se rendent compte de la beauté de l’objet : tu le touches, tu le sens, tu apprécies l’artwork.

Donc, à côté de The Prize, tu as enregistré une reprise de Tim Buckley...

Oui, Song To The Siren.

Pour toi, les titres de chansons et d’albums sont importants. Que signifie donc ce The Ghost In Daylight ?

Pour une fois, je ne sais pas vraiment. Le titre me vient toujours en premier et je travaille ensuite autour de lui mais là, je ne me souviens pas vraiment où et comment ça m’est venu. Même si je n’ai pas le souvenir de la genèse du titre, ce que j’aime chez lui, c’est l’antithèse qu’il porte parce qu’on ne voit jamais de fantôme en plein jour. Enfin, je n’ai jamais vu de fantôme mais, de manière générale, c’est un phénomène qui est associé à la nuit. Pour moi, c’est comme un synonyme de révélation car on peut toujours nier une chose qui survient la nuit mais il est beaucoup plus difficile de le faire dans la lumière. Je sais que j’ai l’habitude d’écrire sur des choses qui me sont arrivées personnellement, même si je le fais de manière discrète, sans lyrisme et là, même si, pour le titre de cet album, ce n’est pas le cas au sens littéral, c’est comme une allégorie.

Peux-tu nous parler un peu de l’enregistrement de The Ghost In Daylight ?

La plupart du temps, j’étais seul. Dave est venu enregistrer la batterie à un moment mais le reste du temps, il n’y avait que moi avec mes ordinateurs dans ma chambre...

Tu as à nouveau enregistré chez toi ? Tu n’aimes décidément pas les studios ?

Non, pas tellement, et je déteste l’idée qu’il faille payer pour y aller. On voit l’argent défiler au rythme de l’horloge et ça met une certaine pression. J’ai l’habitude d’enregistrer chez moi, ça a été le cas pour tous mes albums quand j’y pense. Là, en plus, je tenais particulièrement à bien faire les choses.

Cet album est particulier, il mise beaucoup sur les ambiances et il me semble plus introspectif que les précédents...

Oui, c’est le cas. C’est le meilleur album que j’ai enregistré, vraiment !

J’ai l’impression que tu as travaillé l’instrumentation d’une manière différente. Tu as utilisé beaucoup d’instruments différents et ils semblent tous ajouter une petite pièce à un ensemble qui les dépasse...

Il y avait un côté addictif à faire cet album. Ça me fait penser à ces salles où tu peux jouer en réseau ; les ados jouent pendant des heures et des heures à Donjons et Dragons, sans jamais s’arrêter, et quand tu passes devant le magasin, tu sens la transpiration qui se dégage de la pièce tellement ils se donnent à fond. C’était un peu comme ça pour The Ghost In Daylight. Quand je compose, je suis comme un adolescent de seize ans puant et monomaniaque (rires). Plus sérieusement, ce que je fais quand je compose, c’est créer un monde, un univers. Mon nom de scène n’est en fait que le nom du monde que je suis en train de construire, ce n’est pas mon nom. Ça me permet de m’évader complètement. Cette fois, j’ai l’impression que j’ai réussi à bâtir quelque chose, j’ai bien fait les choses. Je ne suis pas religieux mais je dirais que ce que j’essaie de faire s’apparente à une religion. Je suis arrivé à trouver un certain équilibre dans ma musique.

Pour terminer, quels sont tes projets pour les mois à venir ?

Ça va être la période des festivals donc nous allons faire des concerts pendant cet été et nous ferons une tournée à l’automne prochain.