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Night Works

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 8 mars 2013

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À l’époque de Radio Ladio ou du hit Heartbreaker de Metronomy, Gabriel Stebbing officiait à la basse et au clavier de ce groupe qu’il a contribué à mettre sur pied en 1999. Ami d’enfance de Joseph Mount et de son cousin Oscar Cash, Gabriel est passé par des périodes de très forts doutes avec son second groupe, Your Twenties, et aura dû batailler quatre ans pour enfin trouver sa voie et son identité musicale, toujours accompagné et aidé de son ami Joseph qui, malgré le succès stratosphérique de Metronomy depuis 2011, n’a pas oublié sa vie passée et les gens qui la peuplaient.

Des échos de Metronomy sont donc à prévoir dans ce premier album de Night Works, Urban Heat Island, mais on y retrouve aussi et surtout des hommages appuyés à la pop rock littéraire anglaise des années 80/85 représentée par des groupes comme Prefab Sprout. Assis à une table du café Bataclan, Gabriel est encore un artiste à la richesse émotionnelle inversement proportionnelle à sa richesse matérielle, profitons-en.

Pourrais-tu revenir un peu en arrière et expliquer pourquoi tu as décidé de quitter Joseph Mount et Metronomy en 2009, juste avant l’écriture de l’album The English Riviera ?

Tout d’abord, je veux préciser que l’histoire n’est pas tout à fait finie avec Joseph et Metronomy, mais j’y reviendrai. Tout a commencé quand j’avais quatorze ans. Ma famille a déménagé de Reading, au sud-Ouest de l’Angleterre, pour le Devon. À seize ans, j’ai intégré l’école de la ville de Totnes, proche de la ville de Torquay, sur l’English Riviera. À cette époque, j’ai formé un groupe avec mon ami Richard qui ne fait plus de musique aujourd’hui, James Hoare à la guitare (membre de Your Twenties puis de Veronica Falls), Jospeh Mount à la batterie et moi à la basse. Nous avons passé deux années à jouer des titres originaux et pas mal de covers des Beatles et des Who, beaucoup de musique des sixties. Depuis cette époque, Joseph et moi avons participé à nombre de projets musicaux différents. Quand Joseph a démarré son propre projet, Metronomy - un projet né dans sa chambre avec une musique faite sur ordinateur – il a fait appel à moi pour transformer Metronomy en groupe live. Oscar Cash, le cousin de Joseph, nous a également rejoints et j’ai passé quatre années fantastiques dans Metronomy. La raison pour laquelle j’ai quitté Metronomy dans cette configuration vient du fait que l’envie de de jouer mes propres titres me démangeait de plus en plus ; depuis mes seize ans, j’ai toujours écrit des chansons. A l’époque, déjà, Metronomy était constamment sur la route ou en représentation et je savais que si je voulais mener à bien mes propres projets, j’allais avoir besoin de plus de temps et de toute mon énergie. Cette décision a été pour moi facile à prendre tant elle paraissait évidente, mais elle a également été une des plus difficiles de ma courte vie ; je savais que je ne vivrais peut-être plus jamais les merveilleuses années passées avec Metronomy. Mais, comme je le pressentais, cela m’a pris longtemps pour mettre mes idées en place. Il a fallu que j’apprenne à être mon propre producteur et puis, mon premier groupe après Metronomy, Your Twenties, n’a pas vraiment fonctionné comme je l’aurais voulu... Aujourd’hui, rien n’est vraiment fini avec Metronomy. J’ai joué de la basse sur The English Riviera, pour cinq ou six titres je crois – et j’ai joué la partie guitare sur le titre Corinne. En décembre dernier, j’ai également joué et chanté sur le nouvel album de Metronomy qui est en préparation.

Justement, quand tu regardes en arrière, as-tu quelques regrets de ne plus faire partie de ce groupe qui est devenu internationalement reconnu ou es-tu heureux pour Joseph et les autres membres de Metronomy ?

Je suis tellement heureux pour Joseph ! J’ai l’impression que The English Riviera l’a libéré. C’est un album tellement relax, il transpire l’attitude zen de son auteur. Non pas que Joseph a été tendu par le passé, mais en choisissant d’écrire un album sur la région où nous vivons en Angleterre, il a su parfaitement retranscrire son atmosphère et son style de vie. De mon point de vue, Metronomy est le meilleur groupe anglais de ces dix dernières années. Le point fort de Metronomy, c’est que tu n’es jamais lassé de jouer ces titres. J’ai dû interpréter Radio Ladio plus de quatre-cent fois, et à chaque fois, c’était une motivation nouvelle qui m’animait. Bien sûr, je te mentirais si je te disais que je n’aurais pas aimé faire moi aussi partie d’un tel succès, mais je ne vis pas dans les regrets et je respecte trop Joseph pour lui envier quoi que ce soit. »

Que faisais-tu avant de jouer de la musique ?

J’étais encore à l’école et ensuite j’ai un peu travaillé dans chez un caviste en Angleterre. Mais, ayant commencé le violon à six ans, on peut dire que j’ai toujours été bercé par la musique. J’ai toujours privilégié mes passions à l’argent ; du coup, j’ai souvent été en mode survie !

Est ce que ta famille fait partie des premiers fans de ta musique ?

En fait, oui. Ma mère aime beaucoup ce que je fais. Mon père n’est malheureusement plus là pour le dire. Et mon frère est un de mes supporters les plus farouches. Ils sont tous des soutiens importants à mes yeux.

Qu’est-il advenu de ton premier groupe après Metronomy, Your Twenties ?

J’ai pratiquement enregistré un album avec eux. Joseph en était le producteur. Mais je n’étais pas encore assez en confiance et j’ai pris trop de temps ; je faisais de la procrastination. Your Twenties était composé de tellement de talents ! Mon demi-frère, Michael Lovett (NZCA Lines), James Hoare (Veronica Falls), Joseph Mount pour produire tout ça... Mais le déclic n’est pas venu. Ensuite, nous avons dû finir le travail à deux avec Joseph, les autres musiciens étant sur d’autres projets musicaux. Avec lui, nous avions travaillé sur ce titre, Long Forgotten Boy, qui se trouve maintenant sur l’album de Night Works, Urban Heat Island. Il a fallu que j’écrive ce titre et que Joseph le produise pour que je réalise que le son que je recherchais était là et qu’il fallait que je fasse table rase du projet d’album de Your Twenties pour faire autre chose. Émotionnellement, c’était très dur de se dire qu’il fallait tout effacer et recommencer, mais cela m’a fait comprendre que je n’étais pas en accord avec moi-même sur Your Twenties. Deux ans de travail par la fenêtre ! J’ai donc recommencé à écrire et cela m’a pris une autre année pour arriver à l’album de Night Works. Heureusement, pendant ce temps-là, j’ai joué de la basse en live avec des formations comme celle de Nick McCarthy de Franz Ferdinand, Box Codax. J’ai aussi fait quelques remixes, juste ce qu’il me fallait pour tenir le coup pendant ces années difficiles.

Voici donc ton premier album solo depuis Metronomy. Urban Heat Island est-il un album que tu as fait seul ?

Je ne peux pas vraiment affirmer cela. J’ai pratiquement écrit toutes les chansons et Joseph Mount a produit trois titres de l’album : Long Forgotten Boy, The Evening Time et Boys Born In Confident. J’ai la chance d’avoir eu à mes cotés, entre autres, mon demi-frère Michael Lovett et un des saxophonistes du groupe Madness qui les a rejoints il y a quelques années. Et le co-producteur de mon disque est l’ingénieur du son de The English Riviera.

Pour toi, quelle est la signification de Night Works ?

J’aime le fait que ce nom permette une libre interprétation à chacun. Cela peut être le travail qui intervient après le coucher du soleil, celui que je préfère ! Ou bien, les rêves que la nuit t’apporte...

Il y a une forte incidence de groupes comme Prefab Sprout ou Hall & Oates période 90s dans ton album. Avec ta touche personnelle composée de rêverie électronique. Tu as été influencé par ces formations ?

Oui. C’est marrant parce que Hall & Oates sont des musiciens que nous écoutions beaucoup avec Metronomy quand nous étions en tournée. Ce n’est pas un groupe que j’écoutais pendant l’écriture de mon album mais j’avais le souvenir de Hall & Oates pendant ma période Metronomy constamment en tête. Quant à Prefab Sprout – je suis ravi que tu aies pointé ce groupe – avec un groupe comme Scritti Politi, ce sont vraiment des influences que je revendique et des formations qui m’ont beaucoup marqué. C’étaient des groupes à l’écriture intelligente, libérées par les périodes punk et post-punk auxquelles ils étaient postérieurs. C’était de la pop musique dansante, mais une pop brillante et aérienne. Un album comme Steve McQueen de Prefab Sprout m’a tellement marqué !

Les musiques et textes, érotiques et poétiques, de titres comme I Tried So Hard, semblent être une autobiographie musicale de ton passé récent. Valides-tu cette idée

Tu n’as pas tort. « I’ve tried so hard not to loose it, I've tried so hard not to care », ça en dit beaucoup, non ? Ça parle de ne pas perdre la tête ou d’arriver si prés de cet état que tu dois l’exorciser. Tout cela m’a pris tellement de temps et d’énergie que j’ai bien failli me perdre...

Quel a été l’apport de Joseph Mount sur un titre comme Evening Time ?

Énorme ! De nous deux, c’est lui qui est à l’origine du son final de l’album. S’il est un producteur classique au sens noble du terme, c’est aussi quelqu’un qui sait oser. À chaque fois que j’arrivais avec un nouveau titre, il s’asseyait avec moi et me proposait des idées d’arrangements qui lui sont vraiment propres. Il sait mettre l’accent sur les reflets pop avec le talent qu’on lui connaît avec Metronomy. Il a donc laissé ses empreintes sur ce disque mais d’une façon discrète et subtile. Travailler avec Joseph semblait si naturel pour moi. La démo de The Evening Time était à l’origine bien différente de la version finale arrangée par Joseph.

Où a été enregistré Urban Heat Island ?

Dans différents studios de Londres. Aux studios Smoke House, Strongroom et Promesses. Ce sont les mêmes studios qu’utilisent Metronomy d’ailleurs.

Qui est responsable des vidéo clips des chansons de l’album ?

Voilà une question qui me plait ! Les trois clips disponibles – un quatrième sera très vite en ligne – sont tous de Daniel Brereton. Je l’ai rencontré avec Metronomy pour qui il a fait les clips de Radio Ladio, Heartbreaker et Holiday. Nous avions essayé de travailler ensemble pour Your Twenties, mais nous n’avions jamais réussi. Quand j’ai écrit le titre I’ve Tried So Hard, il était évident qu’il me fallait Daniel pour le vidéo clip. Il l’a réalisé avec peu de moyens mais avec beaucoup de talent et d’imagination. Et quand tu verras les quatre clips tirés de l’album, tu pourras reconnaître une ligne conductrice que nous avons voulu dans sa réalisation. Très subtiles, mais elles sont connectées entre elles.

Le deuxième single s’appelle Modern European et le vidéo clip a été tourné à Paris. Pourquoi cette ville ?

Nous avons tourné le vidéo clip en août 2012 à Paris, d’abord parce que j’aime la ville et ensuite parce que le titre parle d’Europe et de l’excitation qu’il y a à découvrir de nouvelles villes, de nouvelles personnes et, pourquoi pas, un nouvel amour dans un des pays qui forment l’Europe et qui nous connecte tous un peu, peu importe d'où l'on vient dans cette entité supérieure. J’ai en tout cas ce sentiment quand je pars d’Angleterre pour un autre pays d’Europe et je voulais retranscrire ce sentiment dans le clip.

Comment recommandes-tu l’écoute de Urban Heat Island ? Allongé seul sur son lit ? En voiture ? En faisant l’amour ?

Oh ! Intéressante question (rires). Pour moi, c’est un album à écouter seul au casque, en faisant l’amour et c’est aussi un bon album à écouter en conduisant. Puis je choisir les trois réponses (rires) ?

Quel est le dernier disque tu as acheté ?

Je crois que c’est le deuxième album de Chic, C’est Chic. J’ai toujours écouté les productions de Nile Rodgers et ses formidables arrangements. J’ai même lu son autobiographie, Le Freak. Son travail sur les instruments à cordes, à vent ou la basse, notamment, est légendaire.

Si tu étais abandonné, seul sur une île déserte, avec un seul album, lequel emmènerais-tu avec toi ?

Une autre question inattendue ! (rires) Sans hésiter, Hejira de Joni Mitchell. Je pense souvent à cette question ou cette anecdote, et à chaque fois, je pense à cet album. Je le connais depuis que je suis adolescent. Mais, à cette époque, je n’ai jamais vraiment compris cette musique et le travail de Joni Mitchell. En grandissant, cette musique ne m’a jamais quitté et a grandi avec moi. C’est de la poésie à l’état pur. Donc, si je devais être le dernier humain sur une île déserte, ce disque serait comme une compagne pour moi.

Tu fais partie de la génération Internet et tu connais les contradictions de ce média concernant le téléchargement légal ou illégal qui s’y pratique. Quelle est ta position à ce sujet ?

D’un côté, les gens qui créent ont besoin d’être protégés des copieurs ou des voleurs. Il est dommage que cette époque où tu économisais pour acheter l’album de tes rêves que tu chérissais et scrutais sous toutes ses coutures soit révolue. Ce n’est pas tant une question d’argent mais bien une question de respect envers le travail des artistes musicaux jusqu’aux graphistes qui ont conçu les pochettes. Et, bien sûr, il devient en plus de plus en plus difficile pour nous de gagner notre vie avec notre musique ; et je suis très bien placé pour t’en parler ! Dans mon esprit, il est maintenant trop tard pour placer des garde-fous sur Internet. Mais, dans mon cœur, j’aimerais tellement qu’on trouve un arrangement pour que les artistes n’aient pas à souffrir matériellement de cet état de fait. Paradoxalement, il y a aujourd’hui tellement plus d’auditeurs potentiels grâce à Internet... Je n’ai pas les capacités pour résoudre ce phénomène, mais tu as raison, c’est un problème qu’il faut garder en tête et résoudre rapidement. Les gens consomment trop et trop vite. Pareil pour la musique, c’est devenu comme un bonbon pour eux. Ils l’ingèrent rapidement et oublient jusqu’au nom ou au goût de la confiserie une fois consommé... Un disque comme Urban Heat Island a été en ligne avant même qu’il ne soit annoncé ! On parle là de quatre années de ma vie et de beaucoup d’énergie et d’argent propre investis. S’il s’agit de le voler et le mettre en ligne pour que les gens l’écoutent plusieurs fois et se décident à l’acheter au final, cela reste acceptable. Mais si c’est dans l’unique but de consommer pour consommer, cela me met un peu en colère. »

J’ai lu que tu avais déjà quelques idées ou titres de prêts pour un nouvel album et même un titre spécial pour la France...

Je vois de quoi tu parles... Effectivement, je travaille déjà sur un nouvel album, mais le titre français que tu évoques fait partie d’un autre projet de reprises. C’est un disque qui s’appelle Echos Du Monde n°2 et je joue une reprise de Georges Brassens. Il est prévu pour sortir le 23 avril prochain et il comprendra ma reprise de Putain De Toi. Je crois que c’est un petit scoop car il n’est pas encore annoncé.

Tu te sens proche de la France ?

Je suis venu ici tellement de fois, que ce soit seul, étant enfant, ou avec Metronomy du fait que notre label Because Music est ici à Paris... Si tu prends le train de Londres, c’est aussi rapide d’aller vers le nord à Manchester que de venir à Paris. Mais je vais plus souvent à Paris qu’à Manchester !

Qu’aimes-tu et que n’aimes-tu pas en France ?

J’aime le French way of life ! La nourriture bien sûr et cette façon que vous avez de faire des repas des moments de partage et de joie. Et le public des concerts. J’ai le sentiment que les Français démontrent plus de respect envers les groupes, notamment les nouveaux, qu’en Angleterre. Quant à te dire ce que je n’aime pas ici, c’est très difficile pour moi... Je ne veux pas dire quelque chose de négatif sur la France. Il faut quand même reconnaître que Jean-Marie Le Pen et son étrange parti politique ne sont pas ma tasse de thé... Mais il n’est plus trop au premier plan en ce moment je crois, donc c’est une bonne chose (rires).

Quelle serait la scène où tu choisirais de te produire en priorité si tu avais le choix ?

Paris ! Mais, par-dessus tout, j’adorerais jouer au Japon.

Tu as joué en première partie de Alt-J sur la scène du O2 Shepherd's Bush Empire à Londres en janvier dernier...

Oui, c’était fantastique ! Ils m’ont invité après avoir écouté et apprécié mon travail dans ce très beau théâtre de Londres. C’est un endroit magique imprégné d’histoire et nous y avons fait une fête terrible ! Les photos sur ma page Facebook parlent d’elles-mêmes...

Quel est ton plus mauvais souvenir sur scène ?

N’ayant donné que deux concerts avec Night Works jusque-là, ce sera donc un souvenir avec Metronomy. Le pire pour un groupe plutôt électronique, c’est la dépendance envers les ordinateurs. Une fois, le laptop a glissé de son pied et s’est écrasé sur la scène ! Il a fallu que nous racontions des blagues et jouions des improvisations au clavier pendant plus d’une demi-heure pour ne pas perdre notre public. C’était à Amsterdam, je crois et ce fut un moment vraiment terrible !

Je crois que tu es également acteur de la vie associative et que tu vas donner des affaires personnelles comme des instruments et des goodies à des œuvres de charité ?

Je suis content que tu parles de cela parce qu’il s’agit d’une oeuvre de charité qui se nomme Rumble In The Jumble, gérée par Oxfam, et qui regroupe atour d’elle des artistes peintres, photographes, plasticiens et des groupes comme Foals, Anna Calvi ou The Vaccines qui participent à une donation pour engranger des fonds. Ceux-ci peuvent être destinés aux femmes violentées au Congo comme aux plus démunis en Angleterre.