logo SOV

Jamie Cullum

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 17 juillet 2013

Bookmark and Share
Un Anglais dans un rôle de crooner – rôle généralement dévolu, avec talent aux artistes américains ? C’était un pari risqué, mais Jamie Cullum l’a fait ! Et bien fait. Avec, dans ses live, une géniale facétie de l’improvisation, le goût des reprises, revues à sa sauce – il faut voir sa version de Thriller de Michael Jackson au festival de Glastonburry en 2009 –, Jamie Cullum s’impose, au fil du temps, en tant que descendant né de l’union impossible, mais aujourd’hui légale, d’Elton John et Harry Connick Junior ! Artiste autodidacte, dit crossover (puisant dans des racines jazz mais également rock et contemporaine avec le hip-hop) il est une boule d’énergie malgré son mètre cinquante et sa silhouette fluette.
Avec Momentum, il signe un sixième album fait de compositions originales – là où les précédents comportaient tous des reprises de ses artistes préférés – et nous reçoit modestement et simplement chez International Records, un disquaire indépendant du 11ème arrondissement de Paris.

Momentum est ton sixième album, déjà. Où a-t-il été enregistré ? Qui l'a produit ?

Je l’ai enregistré dans plusieurs endroits différents ; une partie chez moi et l’autre dans un studio de Londres appelé Sarm, à Notting Hill. J’ai préparé la base des titres moi-même et, ensuite, j’ai beaucoup travaillé avec le producteur Dan The Automator.

Tu possèdes ton propre studio, chez toi ?

Studio est un grand mot, il s’agit surtout de quelques micros, des instruments et beaucoup de câbles qui traînent par terre (rires). C’est une pièce de musique plus qu’un studio, à proprement parler.

Un titre dans Momentum se nomme When I Get Famous. Après plus de quatre millions d’albums vendus, tu attends toujours la célébrité ?

(rires) Tu sais, j’ai un rapport étrange avec la célébrité. C’est quelque chose que je n’ai jamais recherché et que j’ai du mal à appréhender. Et puis, on ne peut pas dire que je sois célèbre ; personne ne me court après dans la rue comme pour Robbie Williams ou Johnny Hallyday (rires) ! When I Get Famous parle d’un étudiant qui rêve de devenir célèbre un jour et je peux t’assurer qu’il n’y a rien d’autobiographique là-dedans !

Tu as souvent eu de bonnes critiques musicales par le passé ; est-ce qu’il t’arrive de les lire ?

Non. Je ne les évite pas non plus, mais je ne vais pas les rechercher. Lire de bonnes ou de mauvaises critiques à propos de ton travail, ce n’est pas une bonne chose.

Dans le passé, Harry Connick Junior ou encore Stevie Wonder ont su mélanger, avec talent, le jazz, la pop et le blues rock. Comment décrirais-tu ta musique ?

Honnêtement, je ne la décris pas. C’est ton boulot de le faire (rires). C’est une musique très pop, ça c’est certain. Et plus que blues ou rock, j’aime y inclure un zeste de hip-hop ou de funk, le tout sur des bases très jazz. Quelque chose entre Elton John, Oscar Peterson et Harry Connick Junior.

Spécialement pour cet album, le son pop y est très présent ; était-ce une volonté de ta part ?

Étrangement, ce n’étaient pas les bases de départ pour Momentum. Ce qui l’a rendu plus pop, ce sont des influences plus contemporaines que les précédents.

Le titre Edge Of Something ramène inévitablement à une musique de film, pour un nouveau James Bond par exemple...

C’est vrai. Ce titre contient une base de dramaturgie musicale qui pourrait très bien s’intégrer à un film d’espion ! Quand j’ai écrit ce titre, j’ai moi aussi tout de suite senti que j’étais en train d’écrire quelque chose de très cinématographique, quelque part entre James Bond et Jason Bourne.

Quatre ans ont passé depuis ton précédent album, ce qui est assez long. Tu as vécu beaucoup d’aventures depuis, avais-tu besoin d’un moment de répit pour te relancer dans l’écriture d’un nouvel album ?

C’est vrai que j’ai vraiment démarré à écrire Momentum il y a un an et demi, à peu prés. Mais j’ai été très occupé ces dernières années : Je me suis marié, j’ai eu des enfants et j’ai quand même continué à donner pas mal de concerts à droite à gauche. C’est important de préserver une vie sociale et intime, même si j’ai toujours joué ou pensé à la musique durant cette période. Parfois, il faut que tu penses à rester un être humain comme les autres et t’éloigner un peu de ce monde, sinon ta musique s’en ressent et devient de moins en moins intéressante.

Félicitations, puisque nous en parlons, pour tes deux filles ! Qu’est-ce que ces évènements ont changé dans ta vie de musicien ?

Beaucoup de choses. Avoir des enfants m’a appris à observer les choses avec plus de calme et de sérénité. Tu ressens les choses avec plus de profondeur, sans aucun doute. Avec plus de joie et plus de tristesse parfois également. Quand tu es parent, tu te dois de te trouver et de décider quel exemple, quelle éducation tu vas laisser à tes enfants. Avant cela, tu peux vivre dans l’improvisation la plus totale, tu ne risques pas de blesser quelqu’un d’autre que toi ; après cela, il te faut être un homme responsable. Tout ceci m’a permis d’écrire des titres plus matures, en un sens.

Cela va sûrement rendre tes tournées un peu plus compliquées à organiser maintenant ?

C’est certain. Que ce soit en promo ou en tournée, je vais devoir composer avec ma famille dorénavant. Mais, dès que mes filles en auront l’age, elles m’accompagneront là où je vais.

Quels sont les artistes que tu feras découvrir en premier à tes enfants quand ils seront en age d’écouter de la musique ?

Je leur fais déjà écouter de la musique ! Ray Charles était le premier, je crois. C’est quelqu’un qui passe souvent dans notre cuisine (rires). Jimmy Hendrix également... bon début pour des enfants de deux ans, n’est-ce pas ?

Dans tes influences, dans ton éducation musicale, tu étais entouré de groupes aux styles hétéroclites ?

Comme je l’ai dit, cela est assez vaste. Il y avait Nirvana, Jimmy Hendrix, Rage Against The Machine, Mettalica... beaucoup de heavy rock en fait ! Mais aussi pas mal de hip-hop avec A Tribe Called Quest, The Beatnuts, Dr Dre, Snoop Dog... Finalement, mes racines jazz, je les ai prises dans les samples des Beastie Boys, A Tribe Called Quest ou DJ Shadow. Et en parallèle de tout ça, j’ai vu un jour Harry Connick Junior à la télé et j’ai tout de suite flashé sur sa coolitude et son attitude de crooner. Il proposait une musique qui était abordable, mais également sophistiquée et très intéressante. Des artistes comme Jerry Lee Lewis et son jeu de piano ou Elton John et ses compositions m’ont vraiment ouvert la voie. Puis, j’ai eu ma période prog-rock avec la découverte de Franck Zappa. Je crois que je suis un nerd musical ! Un geek de la musique.

Viens-tu d’une famille où la musique était importante ?

Mon frère est un musicien professionnel (ndlr : Ben Cullum, le frère de Jamie, est également musicien, compositeur et producteur ; il a composé le premier single de Jamie : These Are The Days). Mes parents jouent également, mais en amateurs seulement.

Pourquoi ce choix de titre, Momentum ?

C’est en relation avec la manière dont j’ai écrit les titres de l’album. Quand j’ai démarré ce nouveau disque, l’inspiration venait très facilement et les titres s’enchaînaient sous mon clavier et à mon piano. J’ai trouvé que le moment était vraiment spécial pour moi.

Par le passé, tu as souvent joué des reprises, y compris sur tes disques. Il n’y en a aucune sur Momentum. Jouer des reprises, c’était ta manière de rendre hommage aux artistes que tu aimes ?

En un sens, oui. Mais pour moi, jouer des reprises c’est un art à part entière. Il y a de bonnes et de mauvaises manières de jouer des reprises. Quelque part, tu te dois de ne pas respecter l’originale pour faire de bonnes reprises. Il faut que tu oublies complètement la version originale. Quand je joue Don’t Stop The Music de Rihanna, j’oublie de qui est ce titre et qui l’a joué en premier.

Tu es souvent décris comme un musicien de Jazz, mais ton univers musical est bien plus large...

Si tu pars des racines, tout commence avec le blues de toute façon. Le blues a donné naissance au jazz ; le jazz et le blues ont donné naissance au R&B et au rock & roll... le rock fait partie du jazz. Mais tout est parti du blues. Tu suis (rires) ?

Tu as écrit des titres pour un film de Clint Eastwood (Gran Torino) et pour Bridget Jones. Aimerais-tu composer une bande originale de film en entier ? Si oui, avec quel réalisateur voudrais-tu travailler ?

J’adorerais ! Et si je pouvais choisir, je travaillerais pour Wong Kar-Wai. Ou Wes Anderson.

Sur scène, tu es un musicien explosif. Pourtant, tes chansons studio sont plutôt posées. Où te sens-tu le mieux ? Sur scène ou en studio ?

Tu as vraiment besoin des deux. Sur scène, tu apprends comment le public ressent ta musique et tu as un espace de liberté pour improviser. Il y a également cette puissance de l’immédiateté quand tu joues en live. En studio, tu affines tout cela et tu rentres plus avant dans les détails. Tout cela est très important et je me garderais bien de dire que je préfère la scène ou le studio... Souvent, j’entends les gens me dire qu’ils me préfèrent en live qu’en studio. Heureusement que c’est le cas ! On devrait toujours préférer les artistes quand ils jouent sur scène. Cela vient peut être du fait qu’on s’attend trop à ce qu’un groupe sonne de la même façon en studio que sur scène, mais c’est faux. Il faut qu’il y ait cette distinction entre la musique faite en studio et celle jouée en live.

Tu as déclaré à la télévision anglaise qu’être en forme physiquement était très important en tournée. Que fais-tu pour garder la forme quand tu joues en live ?

Je bois beaucoup de whiskey et je me couche tard (rires) ! J’ai effectivement dit que c’était important de l’être, mais je ne le suis vraiment pas (rires). Spécialement aujourd’hui... on s’est vraiment couché tard après avoir bu beaucoup d’alcool !

Toi qui es un amateur d’improvisation sur scène et de musiciens que l’on pourrait qualifier de traditionnels, que penses-tu des groupes électro qui arrivent à donner un concert avec deux ordinateurs et une boîte à rythme ?

Si cela est bien fait, cela peut donner de fabuleux concerts ! Je viens de voir Flying Lotus sur scène et j’ai passé un super moment. Prends Daft Punk également ; ils sont l’archétype même du groupe de machines, mais qui donnent à voir autre chose que des artistes qui appuient sur des boutons. Il y a tout un esprit derrière eux. James Black est également un extraordinaire artiste électro car il arrive à créer ses sons en direct, sur scène. Si je vais voir le concert d’un groupe de « laptop », je sais où je vais et ce à quoi je dois m’attendre. J’y vais pour danser et m’amuser.

Nous sommes accueillis, cet après-midi par l’International Records, ce disquaire situé rue Moret dans le 11ème arrondissement de Paris et qui recèle de vraies pépites pour un geek de la musique comme toi. Si tu devais choisir un disque dans ses rayons, lequel serait-ce ?

Lee Scratch Perry, Blackboard Jungle Dub ! C’est un de mes disques favoris de tous les temps. Et en vinyle surtout ! J’aime acheter les vinyles, l’odeur qui s’en dégage et le son qu’ils procurent.

Que penses-tu de la musique dématérialisée et de la consommation de mp3 au détriment, souvent, d’un son de qualité travaillé par les artistes en studio ?

C’est un monde différent qui s’ouvre à nous, les artistes, depuis quelques années. Si les plus jeunes préfèrent télécharger, cela aide aussi les groupes qui démarrent car ils fédèrent plus de fans qu’auparavant qui, je l’espère, iront ensuite les voir sur scène. Qu’est-ce que le téléchargement, d’ailleurs ? Est-ce que tu es en illégalité quand tu écoutes un titre gratuitement sur Youtube ? Sur Deezer ou Spotify ? À la limite, télécharger un titre est presque un trop grand et inutile effort de nos jours pour certains puisqu’ils peuvent écouter tranquillement en passant par des plates-formes de streaming. Sujets compliqués...

Tu emportes de la musique avec toi en tournée ? Qu’est-ce que tu aimes écouter quand tu es loin de chez toi ?

Hier soir, j’ai écouté avec joie le dernier album des Flaming Lips qui s’appelle The Terror et qui est très bon. Également le dernier Vampire Weekend. Et aujourd’hui, je me laisse guider par le manager de l’International Records où nous nous trouvons et qui est un vrai spécialiste des années 70 et de la musique prog-rock, notamment française.

Où pourrons-nous te voir sur scène cette année ?

Nous allons démarrer avec les festivals de l’été et à la rentrée une tournée est programmée en Europe. Fin 2013 ou début 2014, nous nous rendrons en Asie et en Amérique. Je sais que je vais également jouer dans des festivals français cet été, mais je ne saurais te dire lesquels... (ndlr : il sera à Musilac ou au Jazz à Sète cet été)