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Mystery Jets

Interview publiée par Cassandre Gouillaud le 18 janvier 2016

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Depuis le Texas jusqu'à une ancienne usine londonienne, il aura fallu quatre ans à Mystery Jets pour donner vie au successeur de Radlands. Entre deux sessions avec les français de The Shoes, nous profitons d'un rapide passage parisien pour faire le point avec Blaine Harrison et Jack Flanagan, qui a repris la place de Kai Fish à la basse. L'occasion de revenir sur ces dernières années, et sur leur attendu sixième album, Curve Of The Earth.

En dix ans, c'est la première fois que l'on reste aussi longtemps sans nouvelles de vous. Quand avez-vous commencé à travailler sur Curve Of The Earth ?

Jack : On a commencé il y a trois ans, à partir du moment où j'ai rencontré Blaine et fait mes débuts avec le groupe. On s'est immédiatement mis à écrire. Cela dit, il y a eu beaucoup de phases d'écriture en trois ans... on pourrait dire qu'on est même toujours en train d'écrire aujourd'hui. (rires)
Blaine : C'était la première chose que l'on voulait faire lorsqu'on est revenus en Europe après avoir tourné pour Radlands en Amérique. On voulait trouver un endroit pour enregistrer, faire cet album ensemble et redécouvrir une sorte d'esprit de groupe. Ce qui est à l'origine de ce groupe, ce n'est pas forcément une envie de faire carrière dans la musique ou d'être tout le temps en train de faire des albums. On l'a fait parce que c'est ce que tu fais avec tes potes, être dans un groupe et jouer dans le garage de tes parents. Là, on a enregistré des choses, des démos, peu importe ce que c'était, jusqu'à ce que l'on trouve cette mentalité. Trouver Jack était la première pièce du puzzle. La seconde, c'était d'écrire les chansons. Cette partie nous a pris trois ans. On a décidé que l'on n'arrêterait pas tant que l'on n'avait pas la sensation que c'était fini.

On aurait pu continuer pendant quelques mois supplémentaires à jouer avec les sons.

Qu'est-ce qui a causé le déclic, après avoir passé tant de temps dessus ?

Jack : Je crois que tu ne l'as jamais, il te faut toujours quelqu'un d'autre pour t'arrêter.
Blaine : Je me sentais de plus en plus épuisé, et je pensais avoir donné tout ce que j'avais. Je pense qu'on aurait pu continuer pendant quelques mois supplémentaires à jouer avec les sons, à éditer ce que l'on avait enregistré, à essayer plein de choses. Mais plus tu t'engages sur cette route, plus tu es entraîné loin de tes premières impressions, du cœur des chansons. A partir de là on s'est dit stop, il faut qu'on arrête là et qu'on termine l'album.

Début 2015, vous disiez déjà en interview que vous aviez assez de chansons pour en faire deux albums...

Jack : On a écrit quelque chose comme 40 chansons en tout.
Blaine : Ce qu'il s'est passé, c'est qu'il y a environ un an et demi, on a fini ce qu'on pensait être l'album. Pour nous, c'était ça, c'était Curve Of The Earth. On a invité tous nos amis, notre équipe et on leur a fait écouter le résultat. C'était la première fois qu'on écoutait l'album en entier. Mais à la fin, on s'est tous regardés, et on s'est dit "c'est tout ?". On leur a présenté l'album comme étant fini mais au final, on a bien senti que ça ne l'était pas. Il y avait vraiment plus à faire. Du coup, on a écrit dix chansons supplémentaires. Le Curve Of The Earth que vous avez là, c'est le résultat d'une combinaison de ces deux albums.
Jack : On sortira probablement aussi les autres chansons. Il y en a que j'aime beaucoup. Certaines qui durent douze minutes aussi, elles sont un peu plus complexes. (rires)


Il paraît que vous vous êtes installés dans une ancienne usine de boutons pour enregistrer cet album...

Jack : Oui, c'est ça, elle est juste en face de la maison de Blaine. Tu vois les boutons qu'on a sur nos manteaux ? Cette usine ne faisait vraiment que ça, dans les années 1980 ou 1990. Un jour, le propriétaire de celle-ci – j'espère qu'il ne lira pas l'interview – a fait faillite, et les locaux sont restés inoccupés jusqu'au jour où Blaine l'a croisé.
Blaine : Je lui ai simplement demandé si on pouvait les louer. Il a accepté, mais nous a prévenus qu'il faudrait bouger les machines. Pour te donner une idée de ce que cela représentait, elles font toutes quelque chose comme deux tonnes chacune, et il y en avait vingt-cinq. On a tout fait, mais après ça, on était complètement épuisés sans même avoir commencé à enregistrer. (rires)

En quoi est-ce que le fait d'avoir votre propre studio d'enregistrement modifie votre façon de travailler ?

Jack : Je crois que l'une des choses les plus dures dans cette situation, c'est d'avoir de l'autodiscipline. Normalement, quand tu travailles avec d'autres personnes, tu leur prends du temps, et tu es très conscient de ça justement. Il faut que tu arrives à rester à la fois motivé et créatif, et c'est assez dur de trouver son équilibre quand tu es tout seul. Tu n'as plus personne à essayer d'impressionner. Heureusement on avait quand même un ingénieur avec nous, et il a joué un grand rôle dans l'élaboration de l'album. On peut dire qu'il en a fait la moitié.
Blaine : Il fallait en quelque sorte qu'on se retrouve nous-mêmes. En temps normal, une grande partie du métier du producteur est de savoir comment tirer le meilleur des artistes. Comme nous n'avions pas cette figure, il a fallu que nous nous encouragions nous-mêmes à jouer comme nous ne l'avions jamais fait. On a aussi passé du temps de l'autre côté de la vitre du studio – même si pour le coup ce n'en était pas vraiment une. On n'a pas encore fini d'aménager les lieux, mais on en aura une un jour. (rires)
Jack : On travaillait dans deux pièces séparées, et pendant longtemps on n'avait même pas de vrai moyen de communication. Tu vois, normalement, il y a toujours un microphone en studio pour qu'on puisse se parler pendant qu'on enregistre, mais là non. Alors on tapait sur les murs.

J'ai réalisé que le monde était petit et fragile.

Radlands semblait porter une influence texane, tout droit issue du lieu où il a été enregistré. Quelles ont été vos sources d'inspiration pour Curve Of The Earth ?

Blaine : Beaucoup de nos précédents albums sont en fait inspirés par l'extérieur. Par le printemps, par un moment musical particulier, les années 1980, par des lieux particuliers, le Texas pour Radlands. Pour celui-ci, c'est principalement venu de nos expériences personnelles. Le fait d'être un groupe pendant dix ans, et aussi devenir un nouveau groupe. Il y a également cette idée d'échelle, l'idée même d'être des humains, des petits points dans cet univers si grand. Fût un temps où il y avait quelque chose de très effrayant là-dedans. Comment est la vie à l'autre bout du monde ? Qu'est-ce que ça fait de voyager ? Aujourd'hui on a pu le faire nous-mêmes, et vivre toutes sortes d'expériences. J'ai réalisé que le monde était petit et fragile. Pour une centaine d'euros, tu peux monter dans une boîte et voler jusqu'en Asie. Tu peux vivre avec ce groupe une expérience que d'autres n'ont pas vécu. C'est ce qui nous rapproche, et je crois que c'est pour cela qu'on a voulu écrire un album plus personnel et intime.

J'ai l'impression qu'il y a comme une forme de contraste dans Curve Of The Earth, avec une articulation entre ce qui relève de l'univers, de l'espace, et le fait que l'album soit pourtant très personnel, comme un retour à l'individu...

Jack : C'est l'idée. C'est un peu comme s'élever dans les airs, et, lorsqu'on essaie d'écrire et de voir ce qu'il en ressort, se retrouver à revenir à la Terre et à nous-mêmes. Ce changement d'échelle est très présent dans l'album, à travers l'exploration de soi et de notre corps, de notre sang (ndlr : Telomere).


Vous avez joué Curve Of The Earth en entier à Londres en novembre, deux mois avant sa sortie. D'où vous est venue cette idée ? Est-ce le fait de révéler l'intégralité de l'album en concert crée une pression supplémentaire ?

Blaine : On a eu l'idée grâce à The Shoes, avec qui on avait joué sur France Inter. Ils ont joué leur album du début à la fin. A l'époque j'ai trouvé l'idée vraiment cool, et on a décidé qu'on ferait la même chose il y a trois ou quatre mois. Je trouve ça vraiment bien, car ça encourage les gens à aller vers ce qu'ils ne connaissent pas. On était nerveux, jusqu'à ce que je voie des gens essayer de faire du crowd-surfing sur une chanson très lente, juste devant moi. (rires) Après ça, je me suis dit que ça irait finalement.
Guillaume (The Shoes) : En fait, je pense que c'est assez excitant de jouer un album en concert avant qu'il ne soit sorti. Tu peux tester ce qui marche, et ce qui ne marche pas. On l'a fait avec Woodkid, le public répondait vraiment bien... désolé, je n'ai rien à faire là mais j'adore les interviews. (rires)

Puisque l'on aborde le sujet, vous êtes à Paris avec The Shoes en ce moment, et vous avez collaboré avec eux sur leur dernier album, Chemicals. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Blaine : On s'est rencontrés par l'intermédiaire de Woodkid, qui avait d'ailleurs réalisé une vidéo pour nous, et pour qui j'avais fait un remix. On s'entend très bien, et il se trouve qu'il est très fan des Shoes. Ils avaient besoin d'un chanteur pour leur dernier album, et ils ont demandé conseil à Woodkid. Il leur a dit "n'appelle surtout pas Mystery Jets, ce sont des connards" (rires). Ils sont venus nous voir pour nous dire qu'apparemment on serait un mauvais choix, mais on leur a quand même dit qu'on le ferait. Du coup, depuis l'année dernière, on fait des allers-retours à Paris et on s'adore. Ça a pris du temps, mais on s'aime beaucoup maintenant. (rires)