Confiné à Los Angeles où il peaufinait son nouvel album à paraître cette année, Yungblud fait partie de ces artistes ayant contourné les restrictions en chantant sur Internet pour divertir son public. A l'occasion de la sortie de son nouveau single Weird, et par écran interposé, Dominic Richard Harrison est revenu sur ses différentes initiatives, l'évolution de sa musique, ainsi que sur son rapport à la France. Entretien.
Salut Dominic, comment vas-tu ? Je crois que tu vis habituellement en Angleterre mais tu es actuellement à Los Angeles où tu peaufines ton nouvel album. Comment se passe ton confinement ?
C'est très étrange comme période pas vrai ? Je vais très bien merci, en fait je n'ai jamais été aussi occupé ! Je pensais que j'allais me tourner les pouces, écouter de la musique, me poser, etc... mais finalement avec le Yungblud Show, la finalisation de l'album, je suis débordé mais dans le bon sens du terme ! Et surtout, je me sens plus proche que jamais de mes fans, ce qui est assez incroyable. Même si je ne peux pas les voir physiquement ou les toucher, ça ne veut pas dire que je ne me sens pas proche d'eux.
En effet, tu as fait beaucoup de choses pendant ce confinement : tu prépares ton prochain album, tu as sorti ton single Weird, tu as fait des émissions sur Youtube... J'ai l'impression qu'au delà des sketchs et de l'humour de ces émissions, tu as surtout fait cela pour divertir ton public et le faire penser à autre chose. Est-ce que c'était ton but ?
Exactement. Yungblud s'est construit sur le principe même de ne jamais se sentir seul. C'est pour cette raison que je me suis lancé au départ : plus jeune, je me suis senti tellement seul et isolé dans ce que je ressentais et la façon dont les gens me traitaient... Nous devions cette année faire une tournée mondiale à la sortie de l'album, mais cela a été annulé au vu de la situation sanitaire. Et je me suis dit qu'il était hors de question que le lien très fort que j'ai avec mes fans soit compromis par quoi que ce soit, même si c'est une pandémie mondiale ! (Rires) Je voulais trouver un moyen de rester en contact avec eux, parce que Yungblud ce n'est pas que de la musique. Moi, Dominic, suis connecté à Yungblud au même titre que peut l'être un Freddy en Belgique, qu'une Claire à Paris, ou qu'un Joey à Boston ! C'est un vrai lien qui nous unit, dans notre quotidien. Je ne voulais pas juste leur dire : « OK ma tournée est reportée de six mois ou d'un an, désolé et à bientôt ! ».
Tu as sorti ton single Weird récemment, lequel fera partie de ton prochain album. Quand on écoute les paroles, on réalise que cela fait finalement beaucoup écho à la période qu'on vit actuellement. Est-ce un hasard que le single sorte maintenant ou as-tu au contraire tiré parti de cette situation pour le sortir ?
Ce n'est pas un hasard. J'ai écrit cette chanson durant ce que je pensais être la période la plus étrange de ma vie, en tout cas jusqu'à la pandémie. Pour te donner une image, j'avais la sensation d'essayer d'attraper de la fumée, mais sans jamais pouvoir la saisir. Comme un sentiment familier mais qui nous échappe. C'était une période très bizarre, rien n'avait de sens, mais cela m'a permis de mieux comprendre qui j'étais et qui je suis. J'ai grandi de cinq ans en dix secondes ! Il y a des moments comme ça dans la vie où tu mûris très vite en très peu de temps ! Weird devait normalement sortir plus tard, mais je me suis dit que les paroles représentaient bien ce que beaucoup de gens devaient ressentir en ce moment : cette désorientation, cette perte de repères. Cette chanson est sortie pour dire: « Hé, je ressens la même chose que vous, on est tous dans le même bateau et ce n'est pas parce qu'on ne peut pas se toucher qu'on n'est pas là les uns pour les autres ».
Dans ton premier album, on sentait beaucoup de colère. Mais comme tu viens de l'expliquer, tu as grandi, mûri, et on te sent plus optimiste. Est-ce que c'est le maître mot de ton nouvel album, et est-ce que c'est désormais ton état d'esprit aujourd'hui ?
Lorsque j'ai écrit mon premier album, je ressentais beaucoup de colère parce que j'avais le sentiment que le monde ne voulait pas me connaître. Il reflète une période de ma vie très spécifique. Le nouvel album est sur moi, de mes quinze ans à aujourd'hui. Lorsqu'on me demande de quoi parle l'album, je réponds que ça parle de la vie en version non censurée. J'y parle beaucoup de maturité - mais pas forcément dans le sens « grandir » pour autant : on peut mûrir quand on est vieux par exemple ! Et oui, c'est un disque optimiste qui parle d'indépendance sexuelle, de découvrir qui on est, de drogues, d'amour, de peine, de dépression, d'automutilation, et surtout de comprendre que tout cela te permet de mûrir, qu'importe ton âge. Simplement un album sur la vie.
Même si ces sujets sont toujours aussi délicats et présents dans tes chansons, on a le sentiment que le son de Weird est quant à lui non pas plus léger mais presque plus « naïf » ou innocent. Était-ce une volonté d'associer ce son à ces sujets-là ?
Absolument ! Quelqu'un m'a dit un jour que l'instinct, la spontanéité, est la forme d'expression la plus pure. Réagir instinctivement c'est être dans ce qu'il y a de plus vrai. Et je voulais que cet album soit fait uniquement à l'instinct, même si ça pouvait donner lieu à des contradictions, ou sonner trop naïf, porter à confusion etc... Après tout, c'est ça la vie ! Alors pourquoi ne pas relater tout cela de mon point de vu et via mon vécu ? Avec un peu de chance, les gens s'y retrouveront aussi et cela créera de la solidarité, un vrai lien avec eux. Je veux juste pouvoir toucher les gens avec ma musique comme ont pu le faire les artistes que j'écoutais plus jeune. J'ai grandi avec Alex Turner (des Arctic Monkeys), ou Lady Gaga, ou David Bowie et je me disais « Comment font-ils pour savoir exactement ce que je ressens alors qu'ils ne m'ont jamais rencontré ?! ». C'est ça mon but.
Tu as dit dans le NME : « Personne n'était en mesure de me faire rentrer dans une case parce que je rentrais dans sept d'entre elles ». Quel est ton secret pour mixer toutes tes influences et faire coexister tous ces univers et les rendre cohérent dans ce nouvel album ?
Déjà, pour moi, ce sont les céréales qui vont dans des boîtes, pas les gens ! (Rires) Je suis le produit de mes influences, aussi éclectiques soient-elles, parce qu'elles ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Tu prends ce que tu aimes chez qui tu veux ou ce que tu veux, tu mixes le tout et ça créé un peu un nouvel être humain finalement. J'aime plein de styles de musique différents, plein d'artistes différents. En fait, j'aime tout ce qui suscite de l'émotion chez moi, même si ce n'est pas de la « bonne » musique ou que ce n'est pas parfait. Par exemple, si je chante une mélodie qui sonne incroyablement bien, qui a tout pour devenir un tube et qu'ensuite je chante quelque chose de moins juste, avec plus d'imperfections mais qui suscite bien plus d'émotion chez moi, alors je choisirais directement le morceau qui n'est pas parfait. Quand je regarde ce que mes artistes préférés m'ont apporté, j'espère pouvoir susciter la même émotion et que les gens se disent « il m'apporte quelque chose de vrai, de spontané et d'authentique ».
Je vais te parler de nouveau de tes fans. Pour préparer cette interview j'ai regardé ton passage chez Nagui dans Taratata où tu parlais de ton passé et où tu interpellais des gens dans le public en disant qu'ils n'étaient pas « tes fans » mais « ta famille ». Le but de cette famille, celle de Yungblud, c'est de donner aux gens l'impression qu'ils peuvent être qui ils sont, peu importe où ils se trouvent ?
J'adore Nagui, c'est le meilleur ! (Rires) Ce sera toujours le but de Yungblud. Quand j'ai choisi le nom Yungblud, ma mère m'a dit « mais ça ne va pas, tu ne pourras pas t'appeler Yungblud quand tu auras 45 ans ! » Et je lui ai répondu que d'ici-là, cela aurait un sens différent ! Mais le coeur et le fondement même de Yungblud, qui ne changera jamais, c'est l'acceptation et l'égalité. Récemment, j'ai dit sur les réseaux sociaux que les cinquante premières personnes qui commenteraient le post avec un emoji coeur noir recevraient un appel de ma part. J'ai eu des milliers et des milliers de coeurs noirs ! (Rires) J'en ai choisi au hasard et leur ai téléphoné, et ce que j'ai appris en discutant avec eux, c'est que Yungblud leur permet d'être eux-mêmes et ouverts. Quand ils viennent à un de mes concerts, ils peuvent parler à n'importe qui parce qu'ils savent qu'ils ont tous quelque chose en commun. C'est tout ce que j'ai toujours souhaité : qu'ils sentent qu'ils peuvent être qui ils sont dans cette communauté.
Parlons de la branche « française » de cette famille et de tes concerts en France. Tu as commencé par un concert gratuit au Supersonic et au Badaboum à Paris, puis plusieurs de suite au Trabendo, tous sold out ! Quel est ton rapport à la France et quand reviens-tu faire des concerts chez nous ?
J'adore tellement la France ! Quand je fais des concerts en France, je suis toujours super stressé parce que vous avez des goûts incroyables en terme de musique, d'art ou encore de mode ! Du coup je me mets la pression et je me dis qu'il faut absolument qu'on défonce tout pour atteindre votre niveau ! (Rires) Quand je vois que mes concerts à Paris sont sold out, que certains fans ont passé la nuit dehors devant la salle de concert pour être les premiers à entrer, et qu'ils recommencent pour le concert suivant, je me dis que c'est une passion incomparable et incroyable et je n'ai qu'une hâte c'est de revenir. J'aime énormément la culture française et je songe d'ailleurs à venir m'installer quelques temps en France pour des projets futurs, peut-être un recueil de poésie, m'inspirer de la créativité de Paris. J'ai été un grand fan de Peter Doherty, qui a longtemps vécu à Paris, et j'adorais ses photos de sa vie là-bas. J'espère revenir le plus vite possible, partir en tournée me manque ! D'ailleurs, nos plans de tournée sont en train de changer un peu, parce que la fanbase ne cesse de grandir en France !
Tu as vingt-deux ans, presque deux albums à ton actif, tu as écrit avec Travis Barker, pour la série 13 Reasons Why, tu as fait une émission sur Youtube, donne des concerts partout dans le monde et j'en passe... Est-ce que tu as encore un rêve que tu n'as pas encore accompli ?
Bien sûr, ça paraît fou quand tu le dis comme ça ! Mon plus grand rêve n'est pas de vendre des albums. C'est de faire des concerts dans des stades, partout dans le monde. Voir tous ces gens ensemble, qui sont réunis autour d'un intérêt commun, c'est ça la vraie magie. N'importe qui peut buzzer sur internet, et être célèbre. Mais le plus important pour moi ce sera toujours les gens, la culture et l'interaction humaine. Qu'importe ce que je décide de faire, en terme d'art, de musique, de mode ou autre ; cela tournera toujours autour des gens, de l'humain et de l'acceptation de soi.