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Gavin Friday

Interview publiée par Jean-Christophe Gé le 24 octobre 2024

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Rencontre avec un personnage haut en couleur de mon adolescence. J'ai beaucoup écouté les Virgin Prunes et fantasmé sur leurs prestations live cultes, mais j'ai pourtant perdu la trace de Gavin Friday sans l'avoir jamais suivi. La sortie de son premier album solo en treize ans est l'occasion de connaître l'artiste au-delà de la légende.

La rencontre est organisée en visio, Gavin me "reçoit" chez lui dans un salon baigné de lumière rose, des disques et des livres recouvrant tous les murs. Quant à moi, je suis dans une cabine sombre aux murs lambrissés de bois noir et recouverts de moquette bordeaux sur la partie supérieure, ces espaces pour passer les appels dans nos bureaux ressemblent à un confessionnal. Généralement les interviews sont limitées à une demi-heure par les services de presse, et de toute façon notre logiciel gratuit de visio est limité à quarante minutes. Mais alors que nous allions être coupés, Gavin propose de reprendre la conversation ! Je devrai malheureusement l'interrompre après une heure en raison d'un télescopage avec un autre rendez-vous.

Nous parlons de musique (de Brel à KNEECAP), de politique (de l'Eglise Catholique à l'Europe), de la mort, de la vie et de la création artistique. Il pourrait d'ailleurs y avoir une chanson qui s'appelle Sound of Violence sur un de ses futurs albums. Je n'ai posé que la moitié des questions que j'avais préparées, mais rendez-vous est pris lors de son prochain concert à Paris pour reprendre la conversation là où nous l'avons laissée.

Où étais tu passé pendant tout ce temps ?

Treize ans se sont écoulés depuis la sortie de Catholic, mais je crois que j'ai tourné pendant environ un an et demi. Je n'aime pas suivre la cadence habituelle de sortir un disque tous les deux ou trois ans. J'ai tendance à me laisser distraire par d'autres projets. J'ai travaillé avec Gavin Bryars, sur des sonnets de Shakespeare, et aussi avec mon ami Hal Wilner, qui est décédé. J'ai fait un album avec le groupe Atonalist et un projet artistique en 2016 basé sur Roger Casement, un héros irlandais.

Je n'ai jamais suivi une ligne droite. Je fais ce que je veux faire. Je fais un album quand j'en ressens l'envie, pas parce qu'il est temps d'en sortir un autre. Et en vieillissant, le temps passe vite. Un jour, on se rend compte que, oui, ça fait bien treize ans. Et puis, ma mère est tombée malade avec Alzheimer, donc j'ai pris du temps pour m'occuper d'elle. Ensuite, il y a eu le COVID-19, qui a tout arrêté. Avant Catholic, j'avais écrit beaucoup de musique pour des bandes originales, donc, ce n'est pas comme si je restais inactif, je suis occupé. J'aime faire les choses à ma manière. Ça peut paraître arrogant, mais je suis plus vieux maintenant, alors je me dis que je vais faire à ma façon. Cet album, au début, je ne savais même pas que j'allais le faire.

Alors, qu'est-ce qui te pousse à enregistrer un disque ?

Eh bien, tout a commencé lorsque j'ai commencé à écrire avec Dave Ball, l'un des producteurs de l'album. Je le connais depuis les années 80, il était dans Soft Cell et a produit le dernier disque des Virgin Prunes. Je n'avais pas eu de nouvelles de lui pendant presque trois décennies, puis il m'a contacté en 2015. Il savait que j'étais un grand fan du groupe Suicide, et pour l'anniversaire d'Alan Vega il m'a proposé de faire une reprise de Ghost Rider. Il m'a envoyé ce qu'il avait commencé et j'ai beaucoup aimé alors j'ai poursuivi avec lui. Après, il a continué à m'envoyer des idées musicales de temps en temps, et c'est comme ça qu'on a construit cette relation. Il m'envoyait une idée, je m'amusais avec quelque jours, puis la laissait reposer sur une étagère. Six mois plus tard je lui renvoyais, c'était un genre de ping-pong musical très lent.

Il y a une vraie alchimie entre nous. Je me suis ensuite dit qu'il y avait vraiment quelque chose d'intéressant dedans alors je suis allé à Londres pour développer ça davantage avec des éléments très électroniques, puis j'ai voulu le rapporter à Dublin pour être dans l'environnement musical que j'aime, y intégrer des cordes, des cuivres, de la clarinette, intégrer ces éléments organiques dans cet univers électronique.

Ensuite, quand Trump est devenu président et que j'ai vu la montée de l'extrême droite, cela a réveillé une colère en moi que je n'avais pas ressentie depuis mon adolescence. Tu sais, cette colère viscérale que tu ressens à l'adolescence et que j'avais exprimée dans le punk et les Virgin Prunes. Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose contre cette merde qui commençait à ressembler aux années 30. Donc, cela a été une motivation. Puis j'ai perdu plusieurs proches, dont ma mère, et Hal Wilner qui était comme un mentor pour moi. En trois ans je crois que j'ai perdu six amis, deux à cause du COVID-19 et le reste du cancer ou d'autres maladies. Ça m'a vraiment poussé à finir l'album. Il aurait pu sortir plus tôt, mais le jour où nous allions démarrer le mixage, le confinement a commencé. Le confinement en Irlande était plus dur que partout ailleurs dans le monde...

Ne dis pas ça aux français, ici il fallait imprimer une attestation pour sortir trente minutes. J'habitais en Grande-Bretagne à l'époque, on était beaucoup plus libre, mais les gens faisaient n'importe quoi, ce qui était assez effrayant dans un autre genre...

En Irlande, c'était assez sévère, mais notre pays respectait les personnes âgées. Les pays qui croyaient en l'immunité de masse avant le vaccin n'en avaient pas grand chose à faire. Mon ami Hal Wilner est mort du COVID-19 dès la deuxième semaine, je le connaissais depuis trente-cinq ans, ça m'a bouleversé. Tout ça a aussi influencé l'album.

Maintenant, je suis dans la soixantaine et ce que j'aime par-dessus tout c'est de donner des concerts. Au fait, j'ai encore deux autres disques qui attendent d'être terminés. J'ai aussi pas mal écrit et j'ai plein de projets en cours. J'espère qu'après la sortie de cet album, j'en sortirai un autre dans dix-huit mois. Mais bon, qui sait ce qui peut se passer dans le monde...



Tu parles de dix-huit mois, mais ton précédent remonte à plus de dix ans, alors peut-être plutôt dans cinq ans pour le prochain ?

(rires) J'ai déjà beaucoup enregistré ! Je ne prévois pas de tournée avant le printemps pour laisser passer l'hiver et j'aimerais que l'album soit écouté pendant quelques mois avant de commencer à le jouer, d'autant qu'il est plus rythmé et plus enjoué que ce que les gens attendent de moi.

Justement, je ne sais pas quoi attendre de toi en live. J'ai vu les vidéos de Virgin Prunes qui étaient vraiment quelque chose d'unique. Peux-tu déjà nous dire à quoi ressemblera la tournée ?

Je suis en train de constituer le groupe. L'instrumentation principale de Ecce Homo est électronique, donc il y aura des claviers et de l'électronique, mais aussi du violoncelle et un joueur d'instruments à vent, Renaud Pion, avec qui j'ai souvent travaillé et qui joue de la clarinette basse et de tous les instruments dans lesquels on peut souffler. J'aurai aussi probablement une chanteuse qui jouera aussi de la guitare. Je vais surtout me concentrer sur Ecce Homo, tout en intégrant quelques morceaux de mon répertoire précédent. C'est ce que j'ai fait pour Catholic, j'aime donner vie à l'album en entier lors des concerts, alors que d'autres groupes jouent seulement les singles.

Quant à l'aspect visuel, il est encore trop tôt pour le dire, j'ai encore six mois pour y penser. Pour ceux qui ne m'ont jamais vu sur scène, je ne suis pas du genre à regarder mes pieds, j'interprète mes chansons. Une de mes plus grandes influences, musicalement et en tant qu'interprète, c'est Jacques Brel. Ce que j'adore chez lui, c'est sa manière de se laisser posséder par ses chansons, elles pénètrent dans son corps, et ensuite, c'est son corps qui s'exprime. Il y a une physicalité et une sensualité chez lui. Je ne l'ai jamais vu en live, je n'ai vu que des vidéos de lui. Et j'adore ça. J'ai tendance à laisser la théâtralité s'exprimer physiquement. Donc, soit on aime, soit on déteste, mais ce n'est jamais ennuyeux.

J'ai hâte de voir ça, tu comptes venir jouer en France ?

J'en ai très envie. Une fois que tu entres dans la culture française, c'est formidable. J'y ai beaucoup joué plus jeune, les Virgin Prunes étaient très populaires. Jouer en Europe m'a fait découvrir une autre culture et la chanson (ndlr : en français dans le texte). Je n'ai pas que découvert Jacques Brel mais aussi Serge Gainsbourg, Charles Aznavour et Edith Piaf. Et en Allemagne, Kurt Weill et Bertolt Brecht.

Je vois même un morceau comme Lamento comme une sorte de "chanson" gothique et futuriste. When The World Was Young n'est pas un morceau pop rock direct, c'est aussi une "chanson". C'est comme cette émotion chez Jacques Brel. Charles Aznavour était aussi extraordinaire sur scène, c'est comme du théâtre dans un costume. Donc oui, j'ai hâte de jouer en France, ma musique est très européenne, avec seulement un tout petit peu d'influence américaine.

Comment vois-tu l'Irlande dans cette Europe post-Brexit ?

L'Irlande a toujours embrassé l'Europe. C'est un pays étrange parce qu'il est tout petit, avec seulement cinq millions d'habitants sur toute l'île en incluant le Nord. Et il y a l'Angleterre juste à côté, mais c'est plus proche de l'Amérique, ne serait-ce que par les expressions irlandaises qui y ont été apportées par les émigrés irlandais. J'adore l'idée d'une Europe unie. C'est un endroit fascinant. Quand tu es en Belgique tu conduis une heure et du es dans une partie francophone, une heure de plus, tu es dans une zone germanophone. Tu passes de l'Allemagne à la France, et après tu peux conduire jusqu'en Italie. C'est tellement éclectique. En Amérique, le même trajet te laisserait au même endroit.

J'adore cette idée d'Europe, j'étais vraiment déçu quand le Royaume-Uni a voté le Brexit. Je pense que c'était une erreur, et qu'ils le reconnaissent maintenant. Je suis un républicain Irlandais alors les mots Grande-Bretagne ne m'ont jamais vraiment plu, ma mère disait toujours 'Ah tu veux dire l'Angleterre, pas la Grande Bretagne !". Il est étrange que, tandis que les distances se réduisent, le monde semble s'éloigner. L'Angleterre a un gouvernement travailliste maintenant, j'espère que les choses vont changer. Le monde est devenu si compliqué politiquement avec les réfugiés, les sans-abris, la montée du racisme... Je ne sais pas ce qui se passe. Regarde les dernières élections en France, l'extrême droite était aux portes du gouvernement. En Irlande il y a eu des émeutes terribles, nous avons accueilli beaucoup de réfugiés Ukrainiens, et alors que l'Angleterre se referme, plus de réfugiés viennent ici. Ils sont dans des tentes, et des gens sans éducation leur jettent des pierres. Et regarde la situation au Proche-Orient, ça va créer plus de réfugiés et où peuvent ils aller ? Je n'ai jamais vu le monde dans un tel état, et pourtant quand j'étais jeune l'IRA posait des bombes, c'était dur de grandir en Irlande dans les années 60, 70 ou 80. Et le monde aujourd'hui est pire que ça à cause du fondamentalisme et du populisme. Il n'y a plus de débat, juste la haine.

Je comprends bien ton besoin viscéral de faire un album...

Oui, ça vient de différents sentiments. Certains très politiques, d'autres plus intimes.

Comment t'y prends-tu pour écrire un morceau ?

Certains sont comme des flocons de neige magique qui arrivent complètement formés. D'autres sont plus difficiles, comme dans une naissance ou tu dois faire une césarienne pour extraire le bébé et le mettre dans une couveuse pendant des mois. C'est généralement la musique qui m'inspire, je vais me sentir attiré dans une direction. Ça peut être juste un riff ou un rythme et j'improvise dessus. Les mots arrivent après, plus ou moins rapidement, plus ou moins spontanément. Il n'y a pas de logique. Certaines chansons très complexes se forment très vite, comme When The World Was Young que j'ai écrite en quelques heures. J'ai entendu cette mélodie et voilà. D'autres sont plus compliquées.

Laquelle a été la plus difficile ?

Lovesubzero, le titre d'ouverture, était compliqué, parce que j'avais une image dans la tête. Je travaille beaucoup les partitions, j'ai une approche visuelle de la musique. Je voulais que ça commence de manière très ambiante comme une composition de Debussy qui deviendrait une chanson, puis qui deviendrait quelque chose de narratif sur la sexualité, puis quelque chose de dansant. Ça m'a pris du temps de travailler cette partition.

Ecce Homo était plus simple. J'avais besoin de cette énergie punk sans retenue, comme une ligne de basse. La plus simple et rapide à écrire était The Best Boys in Dublin, sur mes chiens. Je chantais un jour dans le studio et l'ingénieur m'a dit qu'il aimait cette mélodie. Il l'a enregistré tel quel, puis nous avons ajouté les cordes. Malheureusement, l'un de mes chiens est mort récemment, mais l'autre est toujours là. Ils allaient partout avec moi. Ce sont des teckels à poils longs, avec une opinion bien à eux.

When The World Was Young a été techniquement difficile à mixer parce que je voulais quelque chose à la fois électronique, chanson et mélodramatique. C'est une chanson sur un homme qui vient d'avoir soixante ans et qui réfléchit à l'ado qu'il était à seize ans. L'inspiration que nous avons eue de quitter Dublin et la société catholique. Nous en avons eu le courage, et la clé c'était le punk.

Je voudrais envoyer un message aux jeunes, allez-y ! Ne restez pas plantés là, vous n'avez pas besoin de téléphone ou d'argent, jetez vous. A l'époque, tu empruntais une guitare, répétais dans ta chambre ou n'importe où, c'était du bricolage. C'était ça le punk et ça a un peu disparu, même si aujourd'hui tu peux facilement mettre ta musique sur Soundcloud.

Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec ça. Avant internet, enregistrer un album coûtait une fortune que ce soit le temps en studio ou l'achat des instruments. Aujourd'hui, en travaillant un mois tu peux t'acheter une guitare, un microphone et enregistrer un album sur ton ordinateur. Ce qui est plus difficile, c'est de trouver un public. En gros, n'importe qui peut mettre de la musique en ligne...

Tu as tout à fait raison. Avec un logiciel comme GarageBand sur son ordinateur, quelqu'un dans sa chambre peut créer un album incroyablement émouvant. Mais le problème, c'est qu'il y a tellement de trafic... Tu ne sais pas où chercher. Quand j'étais plus jeune, c'est la musique qui te tombait dessus. Tu entrais dans un magasin de disques, tu regardais une pochette et tu te demandais "Qu'est-ce que c'est ?". Tu en écoutais un morceau et c'était Horses de Patti Smith et tu te disais "Oh mon Dieu, je n'ai jamais rien entendu de tel !". Maintenant, il faut taper et chercher.

Je ne veux pas paraître comme un vieux con ennuyeux, j'ai totalement adopté le streaming et tout ça. Mais, comme tu peux le voir, j'ai toujours des albums et des CDs (ndlr : il me montre les étagères tout autour de lui). Quand des amis viennent et qu'on ouvre une bouteille de vin, tu vas fouiller dans ta collection de CDs ou de disques et tu dis "Oh, je n'ai pas écouté ça depuis longtemps !". Tu mets l'album, et la pochette est là, les gens la prennent, ils regardent les musiciens, lisent les paroles, plutôt que de juste cliquer sur "suivant" ou te dire "cette intro est trop longue, on passe". Quand on était jeune, on écoutait un album en entier, même si la dernière piste était bizarre. Et puis cette piste étrange devenait notre préférée parce qu'on l'avait écoutée plusieurs fois. Je pense que les gens ne passent plus autant de temps avec la musique. C'est de la gratification rapide, rapide, rapide... J'ai vu ça avec les enfants de mes amis. Ils disent : "C'est sorti ! C'est sorti !". Et la semaine suivante, c'est déjà oublié. C'est fou.

La musique était plus précieuse avant...

Oui. Un album était précieux. Et j'ai raté tellement de groupes parce que je n'avais pas d'amis qui avaient leurs albums, je ne pouvais jamais les écouter. Aujourd'hui, tout est accessible en un clic. Quand j'avais douze ans, mon père était très strict et nous n'avions pas une bonne relation. Si je voulais un disque, il me disait de trouver un boulot et de l'acheter moi-même. C'est ce que j'ai fait. J'achetais du David Bowie et du Roxy Music. Quand le punk est arrivé, je me suis senti moins seul. Ces artistes partageaient ma colère, ils me faisaient sentir spécial. Je n'avais plus besoin de rester dans cette banlieue ennuyeuse du nord de Dublin, je pouvais aller n'importe où. Ça m'a donné une identité, quelque chose pour lequel me battre, et quelque chose en quoi je pouvais croire.

Le monde est très différent aujourd'hui. Nous n'avions ni téléphone, ni Google, ni ordinateur. David Bowie a été une grande influence pour moi. Il parlait de William Burroughs et, grâce à lui, j'ai aussi découvert Allen Ginsberg et Kraftwerk. Les musiciens étaient comme des guides spirituels, te poussant à lire des livres. J'ai lu Jean Genet à quinze ans à cause de la chanson The Jean Genie. Je n'avais aucune idée de ce qu'il racontait à l'époque, mais plus tard, je me suis rendu compte à quel point c'était lourd de sens et controversé.

La musique, c'était une sorte d'université. Ça avait ce pouvoir. Je pense que ça existe encore, mais d'une manière différente. L'Irlande produit certains des meilleurs groupes de rock en ce moment. Fontaines D.C. sont en train de devenir l'un des plus grands groupes du monde. Ils sont punk, post-punk, et ils ont cette attitude. Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas vu ça. Il y a aussi The Murder Capital. Même dans le folk, as-tu entendu parler de Lankum ?

Oui, je les ai vus sur scène, c'était impressionnant...

C'est presque païen, comme des druides qui créent une sorte de transe. C'est une résurgence de la musique celtique irlandaise qui dit quelque chose, qui proteste. Ils sont extrêmement politiques, pro-Gaza, anti-Royaume-Uni. Ils n'ont que vingt-huit ou trente ans, mais je trouve ça génial. La musique folk devient une nouvelle version du punk.

Et le groupe KNEECAP ?

Je les connais, ils font du hip-hop. Ils sont jeunes, ils ont de l'énergie. Ils sont bons. Je n'ai pas vu leur film, mais même si je suis républicain, je n'aimais pas l'IRA et la glorification de ce passé. Alors je ne suis pas fan de quelqu'un portant une cagoule tricolore et beaucoup de gens portent encore les stigmates d'une blessure par balle dans la rotule. Mais ce groupe représente la nouvelle Irlande et ils poussent à parler gaélique. Donc je les respecte, mais je suis un peu réservé.

J'allais justement te demander comment tu voyais la scène de Dublin d'aujourd'hui. Nous couvrons beaucoup de groupes de là-bas ces temps-ci. Comment est-ce maintenant par rapport à quand tu as commencé avec les Virgin Prunes et U2 ?

C'est très différent. Dans les années 76-77, quand U2 et les Virgin Prunes ont émergé, avec d'autres groupes punk irlandais comme les Boomtown Rats et les Undertones, c'était une époque où tout ce qu'on avait avant, c'était Van Morrison, Thin Lizzy, Rory Gallagher... Le punk a donné à l'Irlande une véritable identité musicale. Quand U2 est devenu le plus grand groupe du monde au début des années 80, cela a donné confiance à l'Irlande, eEt en même temps, les jeunes de notre génération ont commencé à dire à l'Église Catholique "Allez vous faire foutre". C'était nous, les jeunes comme moi et Sinead O'Connor, qui avons dit non. L'Irlande de l'époque était quasiment une dictature menée par l'Église. C'était fou.

Quand Sinead O'Connor est décédée, c'était dans le journal télévisé. Toutes les stations de radio, que ce soit les indépendantes ou les grandes chaînes, comme RTE qui est notre BBC, ont diffusé Sinead pendant six heures d'affilée. J'étais obsédé, car je la connaissais. Je suis allé me promener avec mon chien et à chaque fenêtre, dans chaque maison et chaque pub, on entendait sa musique. C'était incroyable. Et une semaine plus tard, son enterrement, c'était phénoménal. C'était comme si Lady Diana était morte. Elle était tellement aimée. Elle avait eu tellement de mal avec les médias à cause de sa maladie mentale, mais là, on a vraiment vu combien ce pays adore la musique. Le pays tout entier était en deuil pour l'une de nos plus grandes artistes. La musique est vraiment importante ici.

Pour revenir à ton album, Ecce Homo, je crois que c'est une référence au moment où le Christ a été présenté, avant qu'il ne soit torturé et sacrifié. Est-ce que tu es l'homme présenté, destiné à être sacrifié et torturé ?

Non. En fait, ça veut dire "voici l'homme". C'est plutôt "me voilà". J'aime l'idée qu'en vieillissant, j'ai traversé des périodes difficiles dans mes relations ou avec mon père, mais c'est comme si j'avais enlevé la couronne d'épines. C'est pour ça que je saigne sur la pochette de l'album. Ces épines sont parties, je ne me torture plus. C'est aussi provocateur. Ce sont les dernières paroles de Ponce Pilate à Jésus. C'est aussi le titre de l'autobiographie de Friedrich Nietzsche et un livre de George Grosz. Et puis, certains pensent que ça parle d'homosexualité, mais non. C'est drôle comme les gens sont gênés par des petits mots... (rires)

Tu as travaillé avec Dave Ball sur ce disque. Vous avez commencé à collaborer ensemble il y a quarante ans...

Oui, les Virgin Prunes étaient de grands fans de Soft Cell et lui aussi était fan de notre musique. Nous nous sommes rencontrés à Londres, où nous séjournions à Soho à l'époque. Il est venu et a produit ce qui est devenu notre dernier album. Son groupe était perçu comme un groupe de synth pop, mais ils étaient assez sombres et rock 'n' roll dans leur esthétique. C'était une collaboration facile.

Dave Ball a produit le dernier album des Virgin Prunes, alors que Colin Newman de Wire avait produit le premier. Est-ce que c'était un choix de travailler avec des musiciens plutôt que des producteurs ?

Oui, surtout quand j'étais plus jeune, je ne faisais pas confiance aux producteurs. Avec les Virgin Prunes, nous avions une attitude DIY, la volonté de tout faire nous-mêmes. Le post-punk est vraiment intéressant, peut-être plus que le punk lui-même, car avec le post-punk, on a eu des groupes comme Public Image Ltd., Joy Division ou Pere Ubu... Nous avons produit nos premiers EPs nous-mêmes, avec un ensemble de cassettes et de vinyles de différents formats appelés New Form of Beauty, qui est presque un album en soi. Mais Rough Trade Records, notre label à l'époque, nous a dit que nous devrions pas être si opposés à travailler avec un producteur, que ça pouvait nous aider et nous apprendre des choses. Alors, j'ai demandé à travailler avec Colin Newman de Wire car j'adorais leur musique. C'est ainsi que c'est arrivé.

J'ai travaillé avec d'autres producteurs depuis, comme Hal Willner qui est plus un producteur qu'un musicien. Mon album Shag Tobacco a été produit par Bomb The Bass. Dessus il n'y a pas que Dave à la production, mais également Michael Heffernan qui a travaillé à Dublin sur les parties plus organiques et ce son mélodramatique. C'est à chaque fois une collaboration.

Pour finir, j'ai voulu voir Pierre et le Loup, mais en France ils ont malheureusement remplacé ta voix par un doublage en français. J'aimerais en savoir plus sur ce projet...

Je suis encore en train de discuter des droits et j'espère bientôt l'avoir sur une plateforme de streaming en anglais, car beaucoup du travail réside dans la texture de la voix et du son. J'ai enregistré la narration il y a plus de vingt ans, quand j'ai fait ce projet pour l'Irish Hospice Foundation qui s'occupe d'enfants et de personnes atteintes du cancer. J'ai pas mal travaillé avec eux et ils m'ont demandé de faire une version de Pierre et Loup avec un orchestre pour les enfants. Au même moment, le père de Bono venait de mourir d'un cancer et l'Hospice s'en était très bien occupé. Il m'a dit que pour que l'enregistrement se vende davantage il pourrait faire des dessins pour l'accompagner.

J'ai toujours pensé à un film d'animation, puis l'année dernière, vingt ans plus tard, nous avons enfin obtenu les droits. J'ai été voir BMG et ils ont accepté de le financer. Si tu écoutes l'album tu entendras ma voix, il est disponible sur Spotify, et probablement sur Deezer aussi pour la France. Ces services sont super pour écouter de la musique, un peu moins pour payer les artistes...