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Stereolab

Paris, La Gaîté Lyrique - 26 octobre 2022

Live-report par Franck Narquin

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Flashback. Nous sommes le 5 mai 1992, il est 8h45, je gare mon scooter devant le lycée Carnot. Dans mon Walkman, Pop Scene de Blur tourne en boucle. Je croise Alex, qui fume une clope devant le bahut. Alex, un an de plus que moi et dont le frère bosse chez Rough Trade à Londres me fait découvrir toutes les nouveautés indie. Je ne remercierai jamais assez ce grand frère musical, ce passeur qui m'a ouvert les oreilles et n'ayons pas peur des mots, a sacrement changé ma vie. Il me demande ce que j'écoute, fait un peu la moue, Il a trouvé leur premier album, Leisure, assez moyen. Tu ferais mieux d'écouter des groupes peu plus intéressants, mec ! Passeur certes, mais pas forcément visionnaire. Pourtant quelques mois plus tôt, il m'a fait découvrir Loveless de My Bloody Valentine, objet aussi fascinant qu'abscons pour un adolescent de seize ans.

Alex me regarde avec le sourire satisfait de celui qui sait et me tend une cassette en me disant, tiens écoute ça, c'est vraiment chanmé et ça ne ressemble à rien d'autre en ce moment. C'était alors notre grille de notation, le monde de la musique se divisait en deux catégories, les groupes chanmés et les groupes nazes. Simple et efficace. Un groupe vraiment chanmé, ça devait être quelque chose. Sur la tranche, une inscription au posca rouge : « Stereolab / Peng! ». Sacrée claque et coup de foudre immédiat pour ce groupe culte et unique qui m'accompagnera tout au long des années 90.


Passant du grunge, à la Britpop puis à la French touch (moi, pas le groupe), Stereolab s'imposera comme un fidèle compagnon de route et un modèle d'indépendance et de liberté. Refried Ectoplasm, Emperor Tomato Ketchup ou Dots And Loops resteront gravés comme la bande son de ma jeunesse. Quelques concerts mythiques comme en 1997 à Londres lors d'un festival NME ou en 2004 à Cannes dans la salle de projection du palais des festivals en compagnie de Soulwax et LCD Soundsystem (moment totalement improbable, mais bien réel grâce au sublime et regretté festival Pantiero et à une subite tempête de vent) viendront ensuite s'ajouter à ce panthéon tout personnel.
Il y avait peu de groupes à cette époque semblables à Stereolab. Les londoniens puisaient leur inspiration dans un nombre incalculable de référence : krautrock, exotica, bossa-nova, lounge music, pop 60's, yéyé, musique expérimentale ou minimaliste et faisaient feu de tout bois, tout en gardant un son singulier et inimitable, génial pour les uns, exaspérant pour les autres. Ultra-productifs donc parfois inégaux et portés par un chant atypique et décalé, un peu à la manière de ces acteurs de la nouvelle vague des films de Rohmer ou Jean-Pierre Léaud, pas tout à fait justes mais absolument vrais, les franco-anglais ne cesseront de faire débat, leurs ardents défenseurs les soutenant sans relâche face à leurs réfractaires obtus.

Stereolab, inventeurs d'une pop-conceptuelle aussi atypique qu'influente (inspirant autant Broadcast que Tyler, The Creator) jouèrent également un rôle clé dans mon initiation politique. Ultra-engagé, notamment grâce à Tim Gane, le groupe invoquait le surréalisme et le situationnisme avec une démarche radicale sans jamais être propagandiste. Une approche poétique de la politique en somme.
Un peu moins inspirés dans les années 2000 et après une longue pause entamée en 2009, Stereolab ont repris du service depuis 2019 et ont sorti début septembre leur nouveau projet, Pulse Of Early Brain, cinquième volume de leurs fameuses compilations Switched On, à peine plus d'un an après le quatrième tome de la série, un rythme à faire pâlir d'envie les producteurs de Harry Potter ou autres franchises capitalo-régressives.


Très vite complet, le concert d'octobre de la Gaité Lyrique à Paris sera doublé par une deuxième prestation prévue en novembre. Même si le temps nous a prouvé que revoir ses héros de jeunesse pour leur tournée de reformation était généralement une mauvaise idée (on regrette encore d'avoir assisté au spectacle affligeant des Happy Mondays en déambulateurs ou des Stone Roses à bout de souffle), il ne m'aura pas fallu plus d'un quart de seconde pour me porter volontaire auprès de note rédacteur en chef pour assister au retour, aussi excitant que redouté, du gang de Lætitia Sadier et Tim Gane.
Flashforward. Nous sommes le 26 octobre 2022, il est 19h45. Je gare mon Vélib' devant la Gaité Lyrique. Let The Lights On de Sorry tourne en boucle dans mes AirPods. Thomas fume sa cigarette électronique devant les lieux. Je lui conseille de se ruer sur le dernier Loyle Carner. Désormais, c'est moi le passeur, même si les plateformes ont rendu ça un peu plus (trop ?) facile. La queue devant la salle est impressionnante. Nous aurons donc à peine le temps de prendre une bière au bar, où officiait il y encore peu de temps le regretté Denis Quélard, patron du Pop-In, autre grand passeur d'indie pop, que des centaines de jeunes parisiens ne remercieront jamais assez.

Nous pénétrons dans la salle bondée, nous obligeant à rester parmi les derniers rangs, peuplés de tempes grisonnantes et de quelques têtes connues ; Robert le DJ iconique du Magic Club qui a fait résonner la pop anglaise dans les murs de la Loco (désormais Machine du Moulin Rouge) tous les jeudi soir de la fin du siècle dernier ou Erwan, l'attaché de presse de Warp qu'on aime presque autant que le label. Le groupe débarque sur scène dans une scénographie qu'on pourrait qualifier de minimaliste (cf. les photos de Robert Gil, photographe présent à 100% des concerts, reconnaissable à ses éternels couvre-chefs, petit-bouc et marche-pied) et attaque par Neon Beambang, issu de son avant dernier album de 2008, puis par Switched, un de leurs premiers titres de 1992, nous invitant à un grand voyage spatio-temporel.
Pourtant quelque chose cloche, la mayonnaise ne prend pas. Est-ce la faute au groupe, un peu trop statique, ou au public, quelque peu emprunté, ou tout simplement la nôtre, pas encore prêt à affronter les fantômes du passé. Revoir un groupe tant aimé après tant d'années c'est un peu comme revoir un amour de jeunesse, le temps a passé, chacun a fait sa vie et on ne sait plus trop quoi se dire. On cherche à écourter ce verre, à sortir de cet embarrât et pourtant, il suffit d'un mot, d'un geste, d'un regard, pour que notre cœur chavire subitement, ravivant alors cette flamme qu'on croyait éteinte.


Ce mot, ce geste, ce regard, c'était ce soir Miss Modular, sûrement pour des raisons plus personnelles que musicales, mais je ne suis pas là pour vous raconter ma vie. A partir de ce moment, le groupe semble flamboyer à nouveau, les musiciens sonnent et Lætitia impressionne. On en profite pour se faufiler dans les premiers rangs, où l'on constate avec plaisir que la moyenne d'âge a nettement diminué, prouvant que l'aura de Stereolab traverse les générations. Comme toujours, c'est au plus près de la scène qu'on vit le mieux le moment présent. Revisitant leur vaste discographie sans se contenter d'un simple un concert Best Of, pas de Ping Pong ou de La Boob Oscillator par exemple, le groupe livrera quelques interprétations de haut vol, particulièrement sur Mountain, Harmonium et Super-Electric. Si Stereolab ont balayé sans peine nos réserves de début de concert, il faudra attendre le rappel pour que le public se lâche totalement. Entre le jazzy The Free Design et un mashup entre le planant Simple Headphone Mind et le sautillant Excursions Into "Oh, A-Oh", c'est bien sûr l'incontournable French Disko qui déchainera les foules et lancera un doux pogo ouvert aux jeunes de 7 à 77 ans.

Il est 22h45, je m'apprête à monter sur un Vélib' garé devant la Gaîté Lyrique. Pour le coup, pas besoin de Walkman ou d'AirPods, les chansons de Stereolab tournent en boucle dans ma tête. Dans ma poche mon portable vibre, c'est un message d'Alex : « Alors, ce concert de Stereolab ? ». Une seule réponse possible : « C'était vraiment chanmé ».
setlist
    Neon Beanbag
    Low Fi
    Eye Of The Volcano
    Refractions In The Plastic Pulse
    U.H.F. – MFP
    Miss Modular
    Mountain
    Delugeoisie
    Harmonium
    I Feel The Air (of Another Planet)
    Pack Yr Romantic Mind
    Super-Electric
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    The Free Design
    French Disko
    Simple Headphone Mind / Excursions Into "Oh, A-Oh"
photos du concert
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