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Stereolab

Interview publiée par Chloé Thomas le 13 août 2008

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A l'occasion de la sortie de Chemical Chords le 18 août, la voix de Stereolab Laëtitia Sadier nous parle de la construction du disque, des textes, des projets du groupe.


En quoi ce nouvel album est-il différent des précédents?

Je pense qu'il est assez particulièrement différent. C'est notre album le plus pop. Pourtant, dans la manière dont il a été enregistré, il n'a vraiment rien de pop. C'est un montage complexe qui a pris neuf mois, et nous avons travaillé de la manière la plus décomposée qui soit. Je ne pense pas qu'on puisse décomposer quelque chose d'avantage. La manière dont ça a été travaillé était complètement éclatée, parce que Tim [Gane] voulait se mettre dans une situation où il ne savait pas du tout ce qui allait arriver par la suite. Le paradoxe c'est donc que ça a atteint une forme pop, nous dit-on, alors que ça a été fait d'une manière on ne peut plus expérimentale, afin de se mettre dans un état de surprise totale et de ne rien contrôler, de laisser faire.

Tu dis que le disque est pop. Comment définirais-tu l'esthétique pop aujourd'hui? En quoi est-ce que Stereolab s'y incrit?

La pop, c'est une certaine forme musicale qui peut s'adresser à tout le monde, mais sans être une forme dégradée d'art. Des groupes comme les Beatles, les Beach Boys, Katerine, peuvent être très populaires sans être pauvres. Notre but n'a jamais été d'être un groupe populaire, mais de faire une musique qui peut être accessible à tous. Stereolab c'est aussi un langage, et il y a des personnes qui sont complètement fermées à ce langage. D'autres sont capables d'attrapper un mot par-ci, un mot par-là, et d'avoir suffisamment de mots pour créer un sens.

En parlant des mots, comment interpréter le titre, Chemical Chords?

Je pense quil y a, dans le titre, une forme poétique d'associations d'idées. Tim lisait un livre sur la cuisine, il expliquait qu'il y a plusieurs couches de goûts et qu'en se superposant elles faisaientt comme un accord: Chemical Chord, un accord chimique. Il a trouvé ça joli. Il est retombé dessus une heure avant de devoir produire un titre.

Avez-vous intégré des influences nouvelles dans cet album?

Je sais que Tim s'est mis à écouter plus de hip-hop et de reggae, mais ça ne s'entend pas forcément sur le disque: c'est filtré, c'est assimilé. C'est un dique qu'on a essayé de faire avec le moins de contrôle conscient, et on se retrouve quand même avec la patte Stereolab, parce qu'on a des affinités avec certains sons, certains accords, et puis il y a ma voix aussi, c'est une couleur forte. Tous ces éléments vont faire qu'à la fin c'est encore un disque de Stereolab et qu'on ne s'est pas mis à faire du reggae.

Monade, ton projet parallèle, va partir en tournée avec Stereolab. Comment concilies-tu les deux?

Pour moi, ça a été facile de faire Monade car ces dernières années on n'a pas été très très occupés; donc j'ai eu le temps de faire mon disque de Monade. On devait jouer aux USA avec Monade mais je ne voulais pas qu'on reparte en tournée en tête d'affiche, car je voulais être vue par plus de gens; l'idéal était donc de faire une première partie. On en est arrivés à l'idée que si on faisait la première partie de Stereolab, économiquement ce serait beaucoup plus viable, et les deux groupes sont esthétiquement compatibles.

La tournée américaine de Stereolab est déjà annoncée, y aura-t-il une tournée en Europe?

Oui, bien sur, sans doute à cheval sur novembre et décembre, ou tout en décembre.

A ton avis, pourquoi Stereolab, pourtant européen, demeure plus populaire aux Etats-Unis qu'en Europe?

Peut-être qu'aux Etats-Unis il y a une plus grande tolérance. Nous ne sommes pas un cas isolé. Il y a beaucoup d'artistes français qui ont été mieux compris aux Etats-Unis: Duchamp, Bernard Menez, par exemple. Avec Stereolab, on est dans une espèce d'avant-garde: cela est dit sans prétention, mais nous faisons effectivement un travail de recherche, où l'on se met constamment en danger pour qu'il y ait des accidents qui arrivent et que ces accidents nous déterminent. C'est risqué, et ce n'est pas un travail qui s'adresse a priori à la masse, parce que c'est très personnel. Or aux Etats-Unis paradoxalement, alors que c'est le royaume du produit de masse, on a forcément aussi l'ombre de ce phénomène, qui est une plus grande tolérance pour le nouveau et le singulier.

Certaines chansons sont en français, ta langue maternelle, d'autres en anglais. Comment choisis-tu la langue dans laquelle tu chantes?

J'aime chanter dans ma langue. Si je ne m'autocensurais pas, je chanterais beaucoup plus en français. Mais Stereolab s'adresse plus à un public anglophone que francophpne, bien malheureusement. Donc je m'oriente plus vers la langue anglaise.

Comment sont perçues les chansons en français par ce public anglophone?

D'une manière esthétique, plutôt belle. Mais on s'est vus refuser des passages en radio parce que c'était en français. Cependant, je ne me contrains pas à ne faire que de l'anglais sous ce prétexte. Si je m'efforce d'écrire en anglais, c'est là encore parce que je fuis la facilité. Je veux toujours me mettre dans une situation inconfortable pour trouver des choses.

Parlons des textes. Sur une des chansons du nouvel album, Valley Hi, on trouve ce leitmotiv: " Le message est toujours le même, il faut observer les lois de la gravité ".

Oui, cela renvoie au mythe de Sisyphe. J'ai l'impression de toujours vouloir monter ma grosse pierre, me compliquer la vie, me mettre en situation de souffrance. Alors que la loi de la gravité est quelque chose d'assez simple: on est fait pour avoir les pieds sur terre (après on peut avoir la tête dans les cieux...). Observer les lois de la gravité, c'est accpeter qu'on a les pieds sur terre et que c'est une bonne chose, d'être ancré, bien dans son corps, plutôt que de toujours partir en énergie vers la tête, vers l'avant et finalement ne pas être bien dans ses baskets. Il faut laisser venir, pas toujours courir et vouloir atteindre des sommets.

Sur cet album, on ne trouve plus de pistes très longues comme Stereolab a pu en faire précédemment. Est-ce un choix?

Oui. Tim en avait assez de faire des espèces d'épiques, des longs titres de neuf minutes. Il a voulu condenser: les morceaux sont très denses. Il faut savoir aussi qu'il y a en réalité trente-et-un morceaux; cet album, ce sont juste arbitrairement les quatorze premiers qui ont été mixés, mais il y en a encore quinze autres, qui devraient faire l'objet d'un autre album, avec plus d'air. Comme un diptyque.

Cet album est plus dense, dis-tu: pourquoi cette volonté de densifier?

Nous recherchions une autre manière de structurer la chanson, pour ne pas être toujours dans les mêmes modèles. Tim ne voulait plus que ça s'étale de manière horizontale, il voulait construire des tours. C'est pour aborder les choses sous un angle différent, et ne pas s'ennuyer.

On sent que Stereolab est assez libre esthétiquement, est-ce une position difficile à tenir aujourd'hui?

Oui bien sûr, on a eu une chance énorme de pouvoir vivre de ce qu'on fait. La queue est longue, pour les gens qui attendent de vivre de leur art et qui vont justement tempérer avec leur art. Je pense qu'il vaut mieux rester soi-même et dans sa vérité, mais parfois c'est au prix de crever de faim. Les temps sont durs, les gens n'achètent plus de disques. Ça se fait ressentir.

A ce propos, penses-tu que les bonnes décisions sont prises pour lutter contre ce phénomène?

Je sais pas quelle est la bonne décision. Les compagnies de disques ont été très gourmandes, et n'ont pas réagi, ont fait l'autruche; pourtant, elle savaient depuis quinze ans que ça allait arriver. Maintenant c'est la panique, les compagnies de disques font des profits moindres donc ça touche les artistes aussi parce que c'est comme ça qu'on est payés. La solution pour nous, c'est de faire des concerts; c'est aussi en concert que tu peux espérer vendre des disques. Du coup tout le monde veut faire des concerts, et maintenent il faut s'y prendre un an à l'avance pour organiser une tournée. Le disque n'a pas pu sortir en avril car c'était impossible de faire une tournée en mai aux Etats-Unis, en octobre tout était déjà booké; c'est du jamais-vu. Mais il reste qu'écrire et enregistrer un album a un coût, et comme n'importe quel travail ça doit être rémunéré. Je comprends la tentation de piller sur Internet, plutôt que d'acheter un disque qui coûte 20 euros. Les disques ont toujours coûté beaucoup trop cher, les maisons de disques et les distributeurs s'en mettaient plein les poches tandis que l'acheteur et l'artiste se faisaient berner. Il y a un équilibre à rétablir à ce niveau là.

On aura donc, dans quelques mois, la suite de cet album. Et à plus long terme? Il y a beaucoup de projets annexes, Monade, des bandes originales de film... dans ce contexte, à quoi ressemble l'avenir pour Stereolab?

On ne sait pas. Quand on est pris dans l'action de la sortie d'un disque, on est dedans, on ne peut pas penser à autre chose. L'album suivant est mixé, on va partir en tournée avec la suite qui est déjà prête.