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Wet Leg

Paris, Elysée Montmartre - 9 novembre 2022

Live-report par Jordan Meynard

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Paris, 9 novembre 2022, Élysée Montmartre. Une salle mythique des nuits parisiennes qui a tout vu du siècle passé, tout traversé, sachant à chaque fois, renaître, s'adapter, voire lancer de nouvelles modes, comme lorsqu'en 1882, une certaine Goulue et son compère Valentin le Désossé y inventent le French Cancan, qui fera sa gloire de renommée mondiale. C'est dans un environnement chargé d'histoire et, disons-le une certaine attente, que les Parisiens s'apprêtent à retrouver Wet Leg, LA sensation britannique de 2022. Rien que ça.

Autant dire que les enjeux pourraient difficilement être plus élevés pour Rhian Teasdale et Hester Chambers depuis leur dernier passage dans la capitale française à l'orée de l'été. Le succès perçu de leur album éponyme a le potentiel de transformer Wet Leg en l'un des groupes indie rock les plus populaires de la décennie ou, paradoxalement, de les reléguer au statut redouté de one hit wonder. Depuis la sortie de Chaise Longue en juin 2021 et son charisme presque accidentel d'une song next door, le groupe est examiné sous toutes ses coutures et ses performances en live ne dérogent pas à la règle.


Comme une métaphore au début de leur « voyage artistique », les deux femmes font leur entrée sur The Shire, l'un des thèmes principaux de la BO du Seigneur des Anneaux, accompagnées de leur backing band - Josh Mobaraki (guitare/clavier), Henry Holmes (batterie) et Ellis Durand (basse). Cette introduction est en réalité un pied de nez aux détracteurs du groupe, qui auraient qualifié lesdits musiciens de hobbits en raison de leurs longs cheveux et de leur taille, qui n'est apparemment pas comparable à celle d'un basketteur. Rhian Teasdale, coiffée d'une grande paire d'oreilles noires (plus semblables à celles d'un chat et qu'à celles des semi-hommes de l'univers de Tolkien) et sa bande ouvrent leur set avec la piste introductive de l'album : Being In Love. Un morceau de rock délicat, fortement inspiré par le shoegaze, et entraîné par des riffs chatoyants orchestrés par des pédales d'effets. Wet Dream, leur second single ayant réussi l'exploit de prolonger l'engouement de Chaise Longue, est entonné tambours battants avec des rythmes de guitare rugissants. Rien de plus normal que l'utilisation d'un jeu incisif pour un morceau qui n'est autre qu'une diatribe contre les ex toxiques, chanté avec cet humour caractéristique et entrelacé d'harmonies vocales. La discrète Hester Chambers prend le lead le temps du psychédélique Convincing avant que le duo n'interpelle enfin son parterre d'invités pour la première fois de la soirée : « Je veux t'emmener au supermarché », déclame Teasdale dans la langue de Molière. Supermarket, titre le moins joué sur Spotify à ce jour dans la jeune discographie du groupe, se démarque pourtant avec des voix étouffées et des sonorités bluesy. La recette de Wet Leg est efficace : des paroles décalées livrées avec la plus grande impassibilité, des sensibilités post-punk et un refus de s'en tenir à un genre. Comme Chambers l'a confié à Guitar World en janvier dernier : « Depuis le début, nous ne voulions pas mettre de limites à la musique que nous faisions ». Jusqu'à preuve du contraire, tout semble aller en ce sens.


Pendant près d'une heure, Wet Leg font l'étalage de leur premier album. Il faut dire que toutes les chansons sont assez bonnes pour être incluses dans ce set, seules I Don't Wanna Go Out, Loving You et Piece Of Shit manquent à l'appel, laissant place à quelques inédits comme Red Eggs et Obvious. Un morceau dans lequel la voix de Teasdale prend le temps de se poser avec un ton folklorique qui rappelle l'esthétique twee de She & Him et autres Karen O des Yeah Yeah Yeahs. Alors que l'assemblée s'apprêtait à réserver une véritable ovation pour ce seule en scène aussi réussi qu'étonnant, le groupe enchaîne ni une ni deux avec Oh No, un des autres titres familiers de l'album récemment décliné en clip vidéo. Dans cette pellicule, Teasdale et Chambers se sont montrées assez intelligentes pour utiliser la désapprobation méprisante de certains trolls à leur égard de manière créative en placardant à l'écran leurs commentaires haineux (comme positifs, d'ailleurs) postés sur les réseaux sociaux. Contrairement à la plupart de leurs pairs masculins, les deux femmes donnent simplement l'impression que le fait d'être dans un groupe entre amies est un plaisir étourdi et effronté. Malheureusement, il faudra peut-être encore un peu plus de pratique pour que le bonheur devienne contagieux auprès de leur public. Si elles semblent s'amuser toutes les deux, les interactions avec le public ne sont que trop rares et le sentiment de tenir la chandelle vient pointer le bout de son nez à de trop nombreuses reprises.


La dernière ligne droite de ce concert est entamée par Ur mum et ses guitares rêveuses qui ne sont pas sans rappeler des groupes comme The Breeders ou Pavement, avec pour point d'orgue son extented cri perçant, rare moment de communion entre les Anglaises et les 1300 personnes venues les voir ce soir. Un moment de passion aux allures de libération cathartique, mais aussi comme un pur moment de plaisir avant le clou du spectacle Chaise Longue. Après l'annonce de la version française du morceau quelques jours plus tôt, les fans les plus avertis tendent l'oreille pour savoir si Teasdale va se risquer à ce périlleux exercice, mais il n'en est rien. Quatre accords de guitare et une référence au film Lolita Malgré Moi (ndlr : Mean Girls) avec Lindsay Lohan pour mettre tout le monde d'accord : l'équation posée par Wet Leg est simple, mais ô combien efficace. Le genre de titre qui vous sauve un concert peu importe ce que vous avez pensé du reste du set et qui sera pour sûr dans la playlist Best Indie Songs of the 2020's dans plusieurs années. Après un tel séisme, le rappel ne s'impose pas et c'est tant mieux car, c'est de cette manière peu conventionnelle que les lumières de la salle du boulevard Marguerite de Rochechouart se rallument.

Une tournée loin de chez soi, avec toutes les attentes qui vont avec, ne représente pas des vacances pour un groupe qui va essayer d'échapper à l'effet feu de paille, les projecteurs braqués sur lui en prime. Toutefois, les deux chanteuses semblaient détendues et ont pu livrer leurs principaux faits d'armes avec ce son qui leur est propre, principal argument de leur émergence au-dessus de la masse. On regrettera tout de même que les principaux échanges se soient faits entre elles sous couvert de messes basses au fond de la scène, comme au fond de la cour de récréation, et un manque de répertoire qui ne nous a jamais réellement fait rentrer dans le concert. On attendait ce concert comme pour brandir la formule d'orpailleur « J'y étais » dans les années à venir, mais fort est de constater que nous avons plus eu affaire à un concert assez banal qu'à une performance rare et précieuse.
setlist
    Being In Love
    Wet Dream
    Convincing
    Supermarket
    Red Eggs
    Obvious
    Oh No
    I Want To Be Abducted (By A UFO)
    It's A Shame
    Ur Mum
    Too Late Now
    Angelica
    Chaise Longue
photos du concert
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