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Porridge Radio
TV Priest

Paris, La Gaîté Lyrique - 15 novembre 2022

Live-report par Adonis Didier

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Un soleil rouge se lève sur la deuxième journée du Pitchfork Music Festival 2022. Beaucoup de musique a dû couler cette nuit, et on remercie DEADLETTER pour les travaux. Deuxième jour donc, nous voilà de retour à La Gaîté Lyrique pour suivre les pérégrinations d'un festival se voulant éclectique et avant-gardiste, et qui sait en général réserver de très bonnes surprises.


C'est donc l'esprit ouvert aux propositions les plus farfelues que nous accueillons TV Priest sur scène dès 19h30. La salle est correctement remplie pour un premier groupe, mais le lieu est loin d'être complet. De la même manière, la scène paraît extrêmement grande, la batterie est étonnamment collée tout au fond, un premier guitariste à droite, un second à gauche, et Charlie Drinkwater s'avance au milieu de tout ça, costume noir, crâne rasé, barbe fournie, et entame ses déclamations passionnées et exaltées. On comprend vite qu'il sera l'attraction principale du groupe, lui qui prêche avec véhémence derrière le microphone, claquant nerveusement ses doigts, agitant la main en tremblant, prédicateur non télévisé en transe et ce dès les premières notes. Des premières notes sans basse dans le groupe, mais que Nic Bueth compense très correctement en accordant sa Fender largement plus bas que la moyenne, laissant Alex Sprogis gérer les licks et autres mélodies guitaristiques bruitistes qui font l'ADN de TV Priest, alors qu'Ed Kelland maltraite son tom basse et son kick pour bien finir de remplir le spectre grave.
On attendra toutefois leur quatrième chanson, Limehouse Cut, pour se sentir émotionnellement investi dans l'affaire, le début de set étant sans doute trop bruitiste et brouillon pour son propre bien. Le tempo se calme, les guitares aussi, on entend ce qu'il se passe, et la voix de Charlie Drinkwater se fait démesurément grave, sa puissance déborde, tant et si bien qu'il se passera de micro pour hurler le final de la chanson, et répéter « follow me » à des fidèles instantanément happés par le charisme de ce gourou des temps modernes. La communication devient alors plus naturelle, l'homme à l'abord timide et introverti, plein de tics et de tacs, se détend, pour dire bonjour à Paris, une première fois pour eux au passage. Le concert se poursuit, Charlie enchaîne les poses improbables (coucou les fans de JoJo's Bizarre Adventures) et les visages fous, totalement habité, pendant que le groupe roule sa bosse, sur un rythme qui tend toutefois à se répéter, et lorsque Decoration vient clore une grosse quarantaine de minutes de concert, l'impression d'avoir fait le tour se fait un peu sentir.
Un show très énergique donc, mais au rythme trop égal qui finit par lasser. Ajouter un peu de calme et de lenteur dans la mixture, à l'image du grandiose Limehouse Cut, serait peut-être la solution miracle, à moins que le quatuor ne préfère mettre encore plus franchement le pied sur la pédale d'accélérateur de temps en temps. N'oublions pas que le groupe commence seulement à tourner, n'ayant donné qu'un unique concert avant la pandémie COVID-19, ce qui laisse évidemment présager du meilleur pour la suite.


La suite, pour nous, se fera avec les américains de Nation Of Language. Changement d'ambiance instantané, les trois musiciens débarquent plein d'énergie positive et d'envie de danser, Perfect Day de Lou Reed retentit dans la salle, nous donnant un petit indice sur la provenance de ces jeunes gens, ce qui se confirme avant même la première chanson. « we're Nation of Language from New York City » : un beat est lancé sur le synthé, la basse se met à faire doum-doum, et le chanteur aux cheveux frisés et chemisette beige en lin prend la pose pour chantonner d'une voix de baryton réverbérée. Ah qu'est-ce que c'était bien les années 80... Le temps de se faire frapper par sa voisine du soir pour avoir osé les comparer à Depeche Mode que les premiers popotins se dandinent, et nous voilà embarqués dans un vaporeux club new-yorkais à l'époque des néons, des justaucorps en latex fluo, et des permanentes peroxydées. L'ambiance rouge et violacée va en ce sens, les influences Soft Cell, New Order and co aussi, et on n'évoquera pas les effets laser saupoudrant généreusement tout ça pour ne pas réveiller de traumatismes profondément enfouis.
On ne leur enlèvera toutefois pas leurs très belles harmonies vocales, leurs mélodieuses nappes de synthé, ou encore leur joie communicative et infiniment naturelle. Des échanges entre le chanteur, la claviériste, et le public que l'on qualifiera d'adorables, voire de mim's ou de pipous si vous aimez les nouveaux mots inventés, qui nous rappellent que c'est tout de même leur troisième venue à Paris, après des concerts au « Le Badaboum » (en VO) et au Supersonic. Un set placé sous le signe de la joie de vivre et de la « sympatochitude ». Oui, on s'est bien amusé, mais on se dit que tout ceci aurait été encore plus drôle dans une boîte de nuit avec quelques verres (à consommer avec modération), et des gens plus enclins à se frotter les uns aux autres.


Suite de la suite, on patiente encore une bonne trentaine de minutes, le temps de changer le plateau, et de voir apparaître sur la scène de magnifiques peluches accrochées aux pieds de microphone et à la grosse caisse. Une par musicien, on distingue une échelle rose en peluche devant le micro de Dana Margolin, guitariste et chanteuse, des gouttes d'eau ou une colonne vertébrale fondue façon Dali sur le micro de la bassiste Maddie Ryall, une forme géométrique squelettique devant la claviériste et choriste Georgie Stott, et enfin un buisson hydresque surmontant la grosse caisse de Sam Yardley. Y aurait-il un lien avec les différents éléments composant le titre du dernier album, Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky ? Sans doute, de là à dire qu'on a tout compris, il y a encore un pas, et puis un fossé, et encore un pas.
Présentations faites, Porridge Radio entrent en scène sur un concerto de piano à la maestria certaine, que les plus cultivés d'entre vous auront sans doute reconnu (mais pas moi). Le temps de brancher les guitares, et on lance le rock avec Give/Take, entrée en matière à la fois douce et entraînante. L'approche est subtile, ça propose des choses dans le respect du consentement mutuel, voici notre univers, voulez-vous passer cette heure avec nous ce soir ? End Of Last Year se découvre, la lumière tombe d'un trait divin sur Dana Margolin, dont la voix semble touchée par la grâce, et notre réponse sera bien évidemment oui. On découvre pour la première fois de la soirée une Dana aux émotions à fleur de peau, à la justesse incompréhensible, tant son jeu se balance sur la corde raide, tant elle semble à même de s'effondrer pendant une seconde, pour nous lancer un sourire au naturel tout à fait désarmant dans celle d'après. Dana la douce, la lumineuse, Dana fumée par la vie, une seule et même personne avançant devant nous sur un fil au-dessus d'un vide rempli par les acclamations de la foule.
La guitare se fait lourde et vrombissante sur Trying, pendant que Sam Yardley ne cesse de nous impressionner de son jeu de batterie tout en variations, changements de rythme, et subtiles nuances auxquelles on n'avait pas assez fait attention en écoutant l'album. Les premières larmes commencent à couler sur les joues des fans anglais les plus hardcores ayant fait le déplacement jusqu'à la capitale française, mais le temps est venu d'envoyer la sauce et de la remuer bien fort, le temps d'un pont endiablé pour Good For You, avant de redescendre l'échelle en peluche dans une fin decrescendo d'une mélodie touchant au sublime. Le show varie admirablement bien, 7 Seconds apporte son petit côté dance, avant que Sam ne se lève pour prendre la guitare et lancer You Are A Runner And I Am My Father's Son.

L'ambiance est rouge écarlate, luisante, oppressante, Dana finit par mettre un genou à terre devant le premier rang, ressassant encore et encore une litanie de seulement quelques mots, promise à nous hanter jusqu'à la mort, « I am my father's son, I am my father's son ». En communion totale avec son public, Dana descendra dans la fosse pour le final de U Can Be Happy If U Want To, alors que le vent(ilateur) souffle une fumée rose et mystérieuse sur une scène qui semble prendre feu. Un même sentiment nous habite lorsque le public reprend Back To The Radio dès les premières lignes, un public visiblement habité et en connexion directe avec Dana Margolin, dont ce petit contingent d'outre-manche, en transe sur le sol de la Gaîté Lyrique, faisant office de chœur de renfort jusqu'au bout du bout.
Un bout du bout qui se fait sentir lorsque le groupe quitte la scène, avant d'y revenir sous les acclamations, et d'annoncer qu'ils joueront une dernière chanson. Chacun crie et soumet ses propositions, ce qui perturbe tellement Dana qu'elle en manque le temps donné par le batteur, éclate de rire, et s'excuse platement, « on m'a écrit une setlist, je suis vraiment désolé ». Le contact est humain, il est pur, franc, naturel, et Dana est charming et elle est Sweet, monument final d'un fantastique moment d'échange musical. On pose le temps, on murmure, puis on lâche tout, et ça alterne sans discontinuer, la tension monte, à couper au couteau avant chaque relance, puis on saute et on headbangue, puis on hurle à en crever la frustration qui nous achève et nous dévore les entrailles chaque jour qui passe.

C'était donc Porridge Radio. Et si Porridge Radio, ce n'est bien sûr pas que Dana Margolin, l'expérience live marque au fer rouge de sa proximité émotionnelle le fait que ces chansons sont bien les siennes, des chansons qui ne sont à personne d'autre et en même temps à tout le monde. Cette deuxième soirée s'achève donc sur de sympathiques découvertes, mais surtout une énorme confirmation, pour un groupe à qui l'on souhaite une longue et prolifique carrière, pour leur bien, mais surtout pour le nôtre.
setlist
    TV PRIEST
    The Big Curve
    This Island
    One Easy Thing
    Limehouse Cut
    Bury Me In My Shoes
    Unravelling
    It Was Beautiful
    Press Gang
    House Of York
    Decoration

    PORRIDGE RADIO
    Give/Take
    End Of Last Year
    Splintered
    Trying
    Good For U
    7 Seconds
    You Are a Runner and I Am My Father's Son
    Birthday Party
    U Can Be Happy If U Want To
    The Rip
    Back To The Radio
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    Sweet
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