« Moi, tu ne me parles pas d'âge ! ». A qui attribuer ces mots ? Kylian Mbappé ? Jean-Luc Lahaye ? R. Kelly ? On trouve que la citation sied bien mieux à John Lyndon, ou pour les intimes Johnny Fuckin' Rotten (qui rappelons-le ne sont pas deux personnes différentes). A près de 148 ans, le punk le plus célèbre de tous les temps ne semble pas en avoir fini avec son « Great Rock 'n' Roll Swindle » et vient défendre
End Of World, le très bon dernier album de Public Image Ltd (ci-après nommé « PiL »), sur la scène du Trianon à Paris. Pour une fois ce ne sont pas les cars de touristes américains venus faire leurs emplettes au Sexodrome de Pigalle qui gênent la circulation du boulevard Rochechouart mais ceux des Ehpad de toute l'Île-de-France tant la moyenne d'âge des spectateurs avoisine celle d'un gala de Frédéric François.
Je fais le mariole à me moquer des soixante-sept ans de l'ancien Sex Pistols car, biberonné à
Never Mind The Bollocks, j'ai appris à ne rien respecter, et surtout pas mes idoles. En vérité, l'ado en moi fait des bons à l'idée de voir sur scène pour la première fois de sa vie (de ma vie ? de notre vie ?) le mari de la regrettée Nora Forster, chanteuse mythique de The Slits. Hasard ou coïncidence, mais au même moment et à moins de sept kilomètres résonne
God Save The Queen, dans sa version originale certifiée « fascist regime », dans l'enceinte du Stade de France à l'occasion de la petite finale de la Coupe du Monde de Rugby, compétition au cours de laquelle l'équipe d'Angleterre a été à deux doigts (ou plutôt à deux points) de signer son « Great Rugby Swindle ».
Contractuellement, je suis obligé de commencer à parler du concert au plus tard au troisième paragraphe suite à de nombreuses plaintes de lecteurs (sûrement des « hommes pressés » pour paraphraser Bertrand Cantat, le Sid Vicious du Bordelais). J'aurais pourtant bien aimé me lancer dans un petit traité sur l'importance du rôle du punk et du post-punk à l'époque de l'Angleterre thatchérienne, mais je suis comme toi, il faut boucler les fins des mois tout en économisant un peu pour emmener cet été maman dans cet hôtel incroyable à Naxos qu'elle a vu dans AD Magazine, satisfaire le délire de surconsommation des deux marmots déjà en léger surpoids et payer deux ou trois pensions alimentaires fruits de soirées Erasmus trop arrosées. « Where's my punk spirit, when I need it ? ».

Frustration ouvrant pour PiL, l'affiche du soir est belle et pourtant le Trianon n'affiche pas complet. Il faut dire qu'à 47,50 euros le billet, on peut humblement se permettre de relever que la valeur faciale du ticket d'entrée n'est peut-être pas en accord absolu avec les valeurs de ces deux groupes. Toutefois, comparé à Bob Dylan ou Kendrick Lamar, le tarif reste raisonnable et la qualité des deux concerts justifiera le prix de la soirée. On leur laissera juste assumer le slogan « Power to the People, mais après avoir payé la piscine à débordement de ma nouvelle villa de Los Angeles ».
Fabrice Gilbert, le leader de
Frustration, meilleur groupe de post-punk français depuis vingt ans et tête de gondole de l'excellent label Born Bad Records dirigé par JB Wizz, un de ces gars de l'ombre qui œuvrent sans relâche pour faire vivre le rock en France, n'ont sûrement pas exercé une grande influence sur le prix du billet mais une bien plus importante sur le niveau de la soirée. La majorité du public connaissant le groupe, Frustration ont lancé très tôt les hostilités (vendredi à 19h20, début de concert, pas le temps de niaiser à la machine à café du bureau) pour nous offrir un set complet d'une bonne heure et d'une intensité impressionnante. C'est peu dire qu'on a vu quelques concerts de post-punk cette année et celui-ci se classe parmi les tous meilleurs. La bande à John va devoir envoyer sévère après ça. Si Frustration était un choix plus que logique pour ouvrir un concert de PiL à Paris, on se demande alors s'ils ne leur ont tout simplement pas volé la vedette.
Vendredi soir, 20h45, c'était jusqu'ici pour moi l'heure de Thalassa sur France 3, désormais ce sera celle de ma rencontre avec la légende John Lydon. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. Depuis 1978, les membres de
PiL n'ont cessé de changer, mais depuis 2009, la composition s'est stabilisée avec le retour de deux anciens membres, Lu Edmonds à la guitare et Bruce Smith à la batterie et l'arrivée du petit jeune Scott Firth à la basse. J'étais venu ce soir essentiellement pour cocher la case « légende du rock vu sur scène une fois dans vie », mais cette détestable condescendance me vaudrait d'être attaché à une croix de Saint-André dans un club interlope de la rue Truffaut pour y être fouetté sans relâche par l'impitoyable Maitresse Carlotta, tant ce que PiL sont venus nous offrir va s'avérer être à l'opposé de l'habituelle tournée sans âme de pépé-rockers.
Si John Lydon n'a plus le physique pour sauter partout et enchaîner les slams, il reste ce showman unique, à la fois grotesque, théâtral, flamboyant, enragé et finalement terriblement touchant. Il a beau avoir l'âge de Jeanne Calment et l'hygiène de vie de Kavinsky, Jojo se permet d'oser un style vestimentaire ambitieux à la Noga Erez, arborant un costume oversize aux couleurs pastel très Jacquemus sur une chemise à carreau rouge et bleu beaucoup plus « Laurent Wauquier en week-end détente en famille ». La crête blonde est toujours là, même si elle évoquera plus aux millennials les coupe des footballeurs de Ligue 2 que celle des punks à chiens (dont il resterait encore selon les rumeurs quelques spécimens à Nantes et Avignon), mais celle-ci trône désormais une tête qui ressemble à un mash-up entre Mickey Rourke et Pascal Sevran. Je sais, on avait juré de ne pas faire de vannes sur le physique ou les habits, mais on n'a qu'à dire que celle-ci était pour le prix des billets. La suite de cet article ne sera qu'éloges et remerciements avec juste ce qu'il faut d'emphase.
Le guitariste a beau avoir volé l'iconique couvre-chef de Robert Gil (si tu ne sais pas qui c'est, c'est que tu n'es jamais allé à un concert de rock à Paris) tandis que le batteur en chemise blanche, cravate noir et bandana, ressemble comme deux gouttes d'eau à ton tonton bourré au mariage de ta petite cousine et le bassiste a quant à lui décidé d'opter pour un total look Jean-Pierre Coffe avec son costume saumon, ce groupe va envoyer sévère. En seize titres, dont seulement trois du dernier album, PiL vont revisiter leur catalogue tout en rappelant quelques fondamentaux aux jeunes pousses actuelles. Si les Sex Pistols n'ont jamais su jouer de leurs instruments, les musiciens de PiL restent aujourd'hui parmi les plus affutés de la scène post-punk. La machine lancée, le groupe peut enchaîner les titres mythiques (
Albatross, This Is Not A Love Song ou
Pop Tones pour n'en citer que trois) et John Lydon assurer le show. La première partie du concert se terminera par
Shoom, titre assez confidentiel issu de
What The World Needs Now, qui restera un des grands moments de la soirée. Cette chanson sombre et oppressante aux sonorité électroniques donnera l'occasion à John de totalement se lâcher à coups de « Fuck Off ! » et « Bollocks ! ». Ne jouant pas le jeu du faux rappel, Lydon demande alors au public de patienter quatre minutes avant leur retour car à leur âge un concert c'est fatiguant. Pourtant déchainée, l'audience patiente gentiment et presque silencieusement jusqu'à ce que le groupe ne revienne sur scène.

On craignait de voir quelques fractures du col du fémur pendant les pogos mais si le public donne de la voix, rares sont ceux qui se tamponnent au premier rang. Mais avec les premiers titres du rappel,
Public Image et
Open Up (le titre de Leftield en duo avec John Lydon), la température monte d'un cran. Mettez à l'abri pépé et mémé car la cinquième bière semble avoir débouché quelques artères et transformé les Méphisto en Dr. Martens. Réalisé dans un bon esprit et sans violence, même Ben O'Keeffe aurait pu arbitrer sans trop se tromper ce pogo. En toute logique, c'est à
Rise que revient l'honneur de clore la soirée. Pour ne pas fâcher les fans hardcore, je préfère ne pas donner mon avis sur le grand tube de PiL et son refrain absolument dégueulasse et putassier et me contenter d'indiquer qu'à titre personnel j'aurais bien pris un petit
The Order Of Death à place, le grand oublié de cette tournée.
Conquis par ces deux beaux concerts, on s'apprête à filer rapidement à l'Alibi, ce bar du 18ème à l'impeccable programmation musicale, pour y déguster les meilleurs gin-tonic de la capitale, mais plutôt que de filer à l'anglaise, John Lydon reste sur scène, recevant sans se faire prier la standing-ovation qu'il mérite avant de prendre la parole pour prononcer un vibrant discours, quasi-testamentaire, de vieux punk sur la fin mais conscient de ce qu'il représente pour beaucoup. Le poing levé il sortira sur ces derniers mots « we are the last survivors ». Un « we » incluant le public mais destiné à tous ceux qui pensent que le rock peut encore changer le monde et qui prouve au passage que ce « Great Rock 'n' Roll Swindle » n'était finalement pas une arnaque et confirme la formule de Sporto Kantes : « Never Trust A Guy... Who's Never Been A Punk » !