Il y a un mois, Frank Carter & The Rattlesnakes annonçaient via les réseaux sociaux une pause à durée indéterminée, au fil d'un message ressemblant davantage à une séparation du groupe qu'à une simple pause pour souffler un peu.
Le cœur palpitant à l'idée que leur tournée européenne annoncée en début d'année soit compromise, les yeux se sont immédiatement dirigés vers la fin du texte, dans l'espoir d'y trouver la confirmation que ce hiatus soit effectif seulement après les derniers concerts... Soulagement : ce fut le cas.
Ce mardi 5 octobre aurait dû être le pire jour de l'année, le mardi étant sans intérêt et le mois de novembre étant le plus exécrable : changement d'heure, ciel couleur dépression et sortie du boulot dans un brouillard plus épais qu'une pierre tombale. Ce ne sont pas les timides rayons de soleil pointant le bout de leur nez qui suffisent à fournir la vitamine D nécessaire à balayer la morosité ambiante. Alors un dernier concert de Frank Carter est ce qu'il nous faut pour retrouver un peu d'entrain. Avec Kid Kapichi pour nous mettre en jambe, la soirée promet d'être intense.
En embuscade sur la première marche des gradins afin de pouvoir surplomber les grands gaillards ayant mangé trop de soupe, la vue est excellente. Parce qu'au Transbordeur, nous ne sommes jamais trop loin de la scène. Kid Kapichi débarquent à 20h30 avec toute la subtilité les caractérisant avec leur Artillery lourde, chanson extraite de leur disque sorti au printemps, There Goes the Neighbourdhood. Les quatre anglais énervés présentent un bon aperçu de leur discographie avec dix titres, dont la moitié de leur nouvel album, et même Newsnight, paru sur sa version Deluxe. Rob The Supermarket se démarque légèrement de la première partie du set par sa basse à la fois sombre et groovy, faisant danser la foule... car le tout est plutôt répétitif voire plan-plan. Jack Wilson, caché derrière ses lunettes noires, explique être heureux et satisfait de la réponse du public ce soir. Pourtant, derrière son microphone, il se contente de cracher sa hargne, sans vraiment nous convaincre. Seul le bassiste Eddie Lewis s'agite. Le tube New England nous réveille un peu, mais les morceaux suivants nous font attendre la suite des hostilités avec une certaine impatience.
Après un long moment de pause à refaire le monde de la musique entre passionnés de concerts, Frank Carter & The Rattlesnakes arrivent tranquillement sur scène sur un langoureux Can I Take You Home mettant tout le monde d'accord immédiatement avec la puissance vocale déchirante du charismatique Frank Carter et de ses musiciens. Pas besoin de nous ramener à la maison, nous sommes bien ici, à nous abandonner au Transbordeur avec quelques serpents à sonnette et des milliers de fans, avec des appels à la sensualité mais aussi à s'aimer soi-même (et les gros riffs de guitare bien gras) de Honey et Self Love.
La joie du public et du groupe est intensifiée par la réalisation que si chaque concert est une bulle hors du temps, ce temps est compté, car cette tournée est la dernière et leur retour est programmé à la Saint-Glinglin. Alors chaque seconde compte, et notre petit chanteur tatoué préféré s'empresse de se jeter dans le public et surfer sur la foule.
Toujours cachée à l'arrière, en embuscade dans les gradins, quelques titres commencent à titiller l'envie de foncer tête la première dans le pogo malgré les recommandations du cardiologue quelques heures plus tôt. Bah ! On se reposera demain. Un Devil Inside Me tout hurlant et un bain de foule, on fonce dans le bouillon. Au milieu du trou dans la fosse, Frank Carter est à deux pas, et agite son bras pour annoncer un circle pit énervé. Allez, c'est le moment de partir !
C'est l'heure du foutraque My Town extrait de Sticky. Ce soir, la setlist est à l'équilibre et nous avons droit à entre deux et cinq morceaux de chaque disque. Mais ce n'est pas tout : le chanteur est d'humeur bavarde et visiblement très ému : chaque morceau ou presque a droit à son introduction explicative sur ce qu'il représente pour lui. Ce n'est pas jouasse, mais visiblement cathartique, et le public répond avec bienveillance... mais aussi un peu trop d'excitation. Le premier rang est visiblement très chaud et peu attentif aux voisins recevant pas mal de coups d'après Frank Carter, qui n'hésite pas à demander à certain(e)s de se calmer, aux slammeurs de ne plus slammer, et aux gens de se taire quand il se livre à cœur ouvert sur ses années difficiles. Cela ne gâche pour autant absolument pas le concert, car tout fait sens : nous avons affaire à un artiste (hyper)sensible, à fleur de peau. Le public écoute, et comprend le pourquoi de la pause à venir : se reposer pour mieux (se) recomposer.
Après un Juggernaut redoutable issu de leur premier album, Blossom, une fan hurle son amour pour « Franky », ce à quoi le concerné répond, surpris, que ce surnom est « mignon putain ». Que ne fallait-il pas dire là à un public franchouillard ? Une bonne partie de la foule se met alors à chanter « Vas-y Franky, c'est bon, vas-y Franky, c'est bon bon bon ! ». Et rien n'était plus vrai. Une telle générosité avec le public, qui ne se sera pas seulement manifestée par des discussions avec les fans entre deux chansons, ni par l'énergie communicative des quatre musiciens sur scène, mais aussi par Thunder, titre supplémentaire joué sur demande d'un fan, dans une setlist pourtant déjà bien étoffée. Après le déchirant Angel Wings écouté religieusement et dédié aux personnes souffrant de troubles tels que la dépression, ou aux personnes du public ayant perdu des êtres chers ayant mis fin à leurs jours, l'orage est lui joué en hommage aux victimes de l'oppression dans le monde entier, tout particulièrement au peuple palestinien.
Le groupe s'éclipse alors, et parce qu'on n'est pas venus ici (que) pour souffrir, le slogan pour rappeler les musiciens sur scène est le fameux refrain de Franky Vincent. Le décalage est total, mais indispensable. Un magistral Man Of The Hour ouvre le rappel, puis le concert s'achève sur un I Hate You extrêmement jouissif et repris en chœur par le public. Jamais l'on n'avait entendu un « I hate you » sonnant plus comme un « I love you » que ce soir.
Aucun regret, les larmes ont fini de couler, seule reste la joie de cet au revoir magnifiquement interprété, absorbé et renvoyé par le public.