« Dernières nouvelles, dernières nouvelles, venez acheter les dernières nouvelles du rock anglais vendues par Peter Doherty lui-même ! Une affiche inédite et exceptionnelle au Trianon, venez lire tout ce qu'il y a à savoir sur le passage de Peter Doherty et sa compagnie d'artistes ambulants dans les rues de Paris ! Les dernières nouvelles du rock britannique et irlandais pour seulement dix francs et trois livres, c'est dans Sound Of Violence ! ». Eh non, les crieurs de journaux ne sont pas morts et Peter Doherty non plus, une chose sur laquelle on n'aurait pas misé il y a vingt ans mais qui voit le néo-normand ce soir investir le Trianon et garer sa cariole sur le boulevard Marguerite de Rochechouart avec toute sa troupe d'amis et de petits protégés. Marguerite de Rochechouart de Montpipeau, quarante-troisième abbesse de Montmartre (et accessoirement la seule femme à avoir un boulevard parisien à son nom) qui préfigure une soirée à la fois religieuse et bohème, relecture moderne de Notre-Dame de Paris incluant fans qui font la queue dès l'ouverture et un Peter Doherty troubadour-poète en roue libre.

Mais avant d'en arriver là, il est 19h15, le Trianon est aux trois-quarts vide mais les gens présents sont déjà amassés contre les barrières de peur de perdre leur place, et voici que déjà le nombreusement cité Peter Doherty entre en scène, complet gris habituel et chapeau sur la tête, non pas pour chanter mais pour présenter le premier artiste de cette soirée, le jeune, inconnu, et talentueux
Dermot Henry. « Il chante comme un ange » nous glisse Peter avant de s'éclipser, en parlant de celui qui a grandi au sud-ouest de l'Irlande dans le comté de Kerry, avant d'être le guitariste et chanteur des Paperboy de Bristol, pour finalement se poser à Paris il y a quelques mois et tenter de lancer sa carrière solo. Un alien, un Irishman in Paris chanterait Sting s'il était au Trianon ce soir, mais non ce n'est pas lui c'est Dermot Henry, assis sur son tabouret sa guitare déglinguée à la main, et c'est quand même vrai qu'il chante comme un ange. Un petit gars qui aurait fait un bien meilleur Bob Dylan que Timothée Chalamet (je déteste Timothée Chalamet, voilà c'est dit), et qui ravira la salle de rythmiques folk à la fois subtiles et techniques, quelque part entre Bob Dylan, Elliott Smith, Jeff Buckley, et un certain Peter Doherty. Ajoutez à ça une belle gueule et un sens de l'humour timidement romantique, et vous obtenez une formule qui va évidemment faire fondre un Trianon tout entier dédié à la cause de l'homme sur les posters dans la chambre de Dermot Henry, qui ne se cache même pas de jouer ce soir en première partie de l'une de ses idoles.
Pour parler musique,
Big Old Race Car est une sublime chanson en accordage ouvert qui parle de sa relation avec son père,
Newest Old Friends un hymne aux nouveaux amis qu'on se fait le long de la route, et
Pilot License un petit tube en devenir pour lequel le public tapera dans les mains et s'autorisera même à crier un peu. Evidemment, aucune de ces chansons ne sont actuellement disponibles hors d'une salle de concert, mais nul doute que Dermot Henry va continuer à grandir et faire parler de lui, et peut-être que l'on regardera cette date dans dix ans comme on se souvient d'avoir vu Sam Fender au Supersonic en 2018. Oui, ceci s'est produit, vous pouvez vérifier les archives.

Mais bref, car il y a plus important que la musique dans la vie, il y a les magazines de Peter Doherty, et c'est dix euros pièce s'il vous plait ! Peter qui profite de l'interlude pour vendre ses petits prototypes de fanzines à un public qui va évidemment se ruer dessus, en une résurrection inattendue des crieurs de journaux d'antan, et comme à la bonne époque où les enfants travaillaient au lieu de passer leurs journées sur TikTok, c'est celui qu'on imagine comme étant le petit Billie-May Doherty qui vient apporter les suppléments de journaux à papa quand celui-ci commence à en manquer. De quoi provoquer moults « ooooow » et autres « moooooh » dans l'assemblée, mais assez digressé, les lignes passent et on avance pas, alors accueillons chaleureusement le deuxième irlandais de la soirée à venir du comté de Kerry, toujours dans le sud-ouest de l'Irlande ça n'a pas bougé, j'ai nommé
Junior Brother. Un gars avec un accent d'agriculteur irlandais venu avec sa guitare et sa caisse pour taper dessus et transformer le Trianon en pub de Killarney, un concept assez clivant et braillard au charme qui n'appartient qu'à lui, que d'aucuns diraient pittoresque avec une pointe de condescendance mais que l'on se contentera d'apprécier comme il se doit, en chantant et en tapant dans les mains avec l'homme qui se donne sans retenue sur la scène ce soir. « Regardez, il y a du merch de partout, tonight's the night, alors dépensez, dépensez, dépensez ! », Junior qui fait sa pub au pub et il a bien raison, lui qui sort son troisième album
The End vers le mois de septembre, cette fois-ci sur le label Strap Originals de... Peter Doherty évidemment. On vous rappelle qui a organisé la soirée ? Tout ça pour dire qu'on aura passé un moment particulièrement convivial avec un gars honnête, simple et drôle, « si vous venez juste d'arriver, je ne suis pas Peter Doherty » étant sans aucun doute la meilleure blague de la soirée, et voici que tout cela se termine avec son dernier single
Small Violence et un enfant turbulent qui se balade dans les batteries et tape au hasard de ses mouvements sur les cymbales qui passent. Heureusement, le public trouvera juste ça mignon et tapera dans les mains pour soutenir Junior Brother, sans doute le plus irlandais des irlandais à avoir jamais foulé les planches du grand Trianon.

Et maintenant que ce compte-rendu est déjà bien trop long, arrive enfin le groupe dont tout le monde attendait le retour depuis des années, l'évident main event de la soirée et les détenteurs de l'un des tous meilleurs albums de l'année 2023...
Vona Vella ! Bon, OK, personne ne sait qui ils sont sauf moi, mais le fait est qu'il n'y aura pas plus intéressant musicalement ce soir que la découverte du prochain album des anglais les plus adorables que l'on ait jamais vus depuis que l'Angleterre existe, ce groupe mené par les inséparables amis de fac Izzy Davis et Charlie Cunningham et nommé au détour d'un herbier. Charlie Cunningham, sosie officiel de Timothée Chalamet outre-Manche, et Izzy Davis avec sa guitare pour gaucher inversée parce qu'elle est droitière, deux petits génies qui joueront ce soir avec un groupe complet de cinq personnes pour nous montrer que le ton a durci, et que la petite pop mignonne du magnifique
Vona Vella est désormais derrière eux. Un concert rempli de nouvelles chansons beaucoup plus rock et rentre-dedans qu'auparavant, et sans vous vendre que c'est brutal, la suite ça s'annonce quand même bien alternative. Une comparaison confirmée par la seule chanson du premier album jouée ce soir,
Thought We Were Falling In Love nettement plus douce mais agrémentée d'un solo final et d'un public en délire, sous la direction assidue d'une Izzy Davis qui a lâché sa guitare à son meilleur ami Charlie pour régner sur la scène, nouvelle reine du Trianon comme Marie-Antoinette en son temps. En espérant que l'histoire se termine mieux, et on est bien rassuré par un final
You Can Be So Ugly et
Carnival qui promet, pour un album on imagine à venir quelque part entre la fin d'année et début 2026.

Et donc, pour tous ceux qui n'ont ouvert cet article que pour lire à propos de Peter « Pete » Doherty et son futur album
Felt Better Alive, bonjour à vous et bienvenue ! Ce soir nous avons Mike Joyce des Smiths à la batterie, Jack Jones de Trampolene à la guitare, Mike Moore à l'autre guitare, JC de SOV à la basse (ou un sosie, à voir), et Katia de Vidas aux claviers, accessoirement aussi réalisatrice et épouse Doherty, car cette compagnie n'est rien d'autre qu'un grand cirque familial avec partenaires et enfants, tous les potes et les groupes précédents prenant des photos depuis les coulisses voire carrément la scène, quand enfin le sextet apparait dans le sillage erratique de la poudreuse du
Killamangiro, une reprise des Babyshambles jouée à toute berzingue qui préfigure un concert qui n'aura plus rien à voir avec une vie de poésie et de crime. En effet, exit l'escapade avec Frédéric Lo, l'album n'aura pas droit de citer ce soir et tout ceci ne restera finalement qu'une romance hors du temps, un écart, une aventure extraconjugale faite à sa carrière musicale dont la suite se nomme désormais
Felt Better Alive, plus entraînante, plus dansante, mais infiniment moins magnifique. Une vibe country road qui se poursuit avec l'inédite
Ed Belly, Peter a toutes ses paroles imprimées sur des feuilles devant lui, des feuilles qui volent dans tous les sens, qu'il pousse du pied pour retrouver la bonne, qu'il finit même par jeter et qui termineront aux quatre coins de la scène pendant qu'un chien passe dans le décor, parce qu'après tout c'est ça la vie de bohème, et encore il reste l'enfer à payer aux portes du paradis.
Hell To Pay At The Gates Of Heaven remet de l'entrain dans le train, on danse, on lève la jambe sur le comptoir du pub et on se rejette un verre ou deux, à notre santé, à celle du
Fingee et à celle de
Salome, accueillie comme il se doit par une foule qui n'attendait probablement qu'elle.
Peter passe le bras autour de Jack Jones, nous raconte une histoire de chien dans une Passat grise à laquelle on ne comprend pas grand-chose, le bonhomme oscille comme trop souvent entre troubadour génial et tonton gênant du nouvel an, mais pourrait-il vraiment en être autrement ? Pourrait-il y avoir
Someone Else To Be ? Sans doute pas, alors comme le dit Peter, « sortez d'ici, prenez le périph', l'autoroute du soleil, Bourg-en-Bresse, Nîmes, Perpignan, et vous y êtes, Barcelona... ». Conduis dans le soleil, et ne regarde pas en arrière avec haine,
Don't Look Back In Anger qui prête comme toujours un couplet à la plus belle chanson des Puta Madres, et une setlist apparemment spéciale pour les parisiens qui en offrira même une deuxième.
Who's Been Having You Over nous replonge six ans en arrière dans le dernier vrai projet de groupe de la carrière de Peter, avant sa « déclaration d'amour à la Normandie », en français dans le texte, et tellement en français que la chanson s'appelle
Calvados. Comme quoi, Peter Doherty sera toujours Peter Doherty, et comme toujours il sera pardonné par et pour son talent pour écrire toutes ces chansons magiques.
Mais voici déjà la dernière ligne droite d'un concert au rythme erratique et inconstant,
Baron's Claw nous rappelle que les Libertines ont sorti un album l'an dernier, et on remercie le trompettiste qui sera passé pour dix secondes de solo, avant une
Albion envoyée sans qu'on sache si c'était vraiment prévu et qui verra Peter terminer en se roulant allégrement par terre, premier cadeau à un public qui n'en peut déjà plus et qui ne retiendra aucun cri quand arrivera enfin la dernière des roses anglaises.
Last Of The English Roses qui dure et qui dure, la chanson s'étire et Peter farfouille dans ses notes pour retrouver son lui de 2002, ou presque,
Time For Heroes sera le point d'orgue d'une soirée placée sous la constellation du bordel, Peter nous fait du Doherty, le public envahit la scène, tout le monde se prend dans les bras avec vingt ans de plus qu'il y a vingt ans, c'est le foutoir, c'est la panique dans les rues de Paris, de Londres, et de Birmingham, mais rassurez-vous pas de Morrissey en vue ! Seulement Peter Doherty et Mike Joyce qui pendent le DJ et concluent leur concert sur
Panic, la légendaire chanson des Smiths parce que quelle chanson des Smiths n'est pas légendaire ?
Et voilà c'est la fin. Oui, vraiment c'est la fin, vous pouvez partir. Regardez, on a éteint les amplis, on vous met Gloria Jones, là il y a un roadie qui file les setlists et les paroles de Peter à la foule, alors maintenant c'est bon, allez zou, cassez-vous ! Pas de rappel malgré toutes les vociférations du public, et une fin de concert à l'image de son déroulé, incompréhensible, improbable, et pourtant drôle et touchante. Sans doute la meilleure définition de ce qu'est et restera Peter Doherty dans l'inconscient collectif, un petit génie foutraque aux nombreux coups d'éclat et encore plus nombreux dérapages. Et dans la liste de ses coups d'éclat, son label Strap Originals et cette programmation alignant sur l'affiche Dermot Henry, Junior Brother, et Vona Vella, un plaisir de premières parties et même si chiens, femmes, et enfants furent aussi du voyage, on retiendra qu'au global on s'est bien amusé, et qu'on a découvert d'excellents musiciens que l'on a déjà hâte de revoir. Pour Peter, par contre, c'est un peu comme pour les Libertines, les fans de toujours continueront d'y aller, et ceux qui voient tout ça d'un œil plus détaché se diront qu'une fois c'était bien, et qui sait au prochain album, car s'il est une caractéristique qui colle mieux à Peter Doherty qu'à quiconque, c'est bien celle d'être génial, et génialement imprévisible.