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Richard Hawley

Interview publiée par Anne-Line le 15 septembre 2009

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Après avoir connu le succès avec Lady's Bridge en 2007, Richard Hawley est de retour avec son sixième album studio, Truelove's Gutter. Un disque surprenant et déroutant, sans doute le plus ambitieux de l'anglais à ce jour, mais plus riche que jamais...

Truelove's Gutter est un album très atmosphérique, avec une ambiance assez introspective. Dans quel état d'esprit étais-tu en écrivant cet album ?

Quand je suis rentré de la dernière tournée, j'avais passé pas mal de temps éloigné de mes proches. Je me suis rendu compte en les revoyant que la plupart étaient en train de traverser des périodes très dures. Lorsqu'on revient chez soi après un certain temps, on s'imagine toujours qu'en arrivant ce sera la fête et que tout le monde sera content. Et là c'était tout le contraire ! Alors oui, ça a beaucoup influé la composition de cet album. On a souvent des objectifs dans la vie, et la plupart du temps, on ne les atteint pas. C'est l'un des thèmes de l'album. Le fait de pas être ce que l'on aimerait être. Le fait d'avoir une famille dysfonctionnelle (rire) !

Dans For Your Lover Give Some Time, tu parles des relations longues, de la difficulté à maintenir l'enthousiasme des premiers jours...

Cette chanson est très sarcastique. Mais amoureusement sarcastique. Je suis dans une relation qui dure depuis 20 ans, et elle évolue. L'amour évolue avec le temps. Quand tu t'engages avec quelqu'un, tu dois tout accepter. Plus tu passes du temps avec quelqu'un, plus tu découvres ses faiblesses. Mais puisque tu l'aimes, tu dois les accepter. Ce qui m'a aidé, et ce qui a aidé ma femme par la même occasion, à maintenir une relation aussi forte avec le temps, c'est le sens de l'humour. C'est ce qui fait que les choses peuvent durer. Cette chanson n'est pas non plus une chanson humoristique, elle est très triste, mais elle est aussi sarcastique. Surtout envers mes propres faiblesses en fait. La morale de cette chanson c'est qu'on ne doit jamais considérer que l'autre est acquis. Parce que c'est très facile de tomber dans ce piège, de croire que tout est un dû.

Tu en es maintenant à ton sixième album solo. Quelles sont les différences entre la vie en groupe et la vie en solo ? Les avantages et les inconvénients ?

Quand on est dans un groupe, on est comme un gang, on est très soudé. On partage tout. Les bons moments comme les fardeaux. Heureusement pour moi, j'ai autour de moi un très bon groupe actuellement. Ils ne sont pas juste des musiciens de sessions, ce sont vraiment des vieux amis. En tournée on ne voit pas vraiment la différence. Dans les deux cas, tu es avec tes potes et tu t'éclates. Là où c'est différent, c'est les jours où il y a des interviews (rires). Quand on te pose les mêmes questions cinquante fois de suite dans la journée, ça peut vite devenir lassant d'être tout seul. On doit rester poli, mais c'est très dur. Cela dit, mon père a travaillé toute sa vie dans les aciéries à Sheffield. Je suppose que ça, ça devait être vraiment dur ! Enfin bon, il y a du bon et du mauvais dans les deux. Lorsque j'étais dans un groupe, que ce soit Pulp ou les Longpigs, il y avait toujours des problèmes d'ego. Dès que tu disais que tu n'aimais pas telle partie de basse ou de batterie, ça devenait un drame. Je me rappelle qu'il nous arrivait d'en venir aux mains, surtout dans les Longpigs.

Ça se passe comment avec les gens de ton groupe ? Quel rôle jouent-ils dans la composition des morceaux ?

Je fais le plus gros du travail tout seul. Mais pour cet album en particulier je leur ai demandé de se servir de leur instrument de manière complètement nouvelle, et même d'utiliser des instruments qu'ils n'avaient jamais utilisé avant. Le résultat est très intéressant. Ils m'aident pour les arrangements surtout. Colin Elliott, qui produit tous mes disques avec moi, s'occupe spécialement de tous les arrangements de cordes. C'est un peu sa chasse gardée (rires). C'est assez marrant. Avant on écrivait tout ensemble. Et maintenant on doit laisser le Grand Maître seul quand il travaille (rires). Quand il a fini, je reviens et je choisis ce qui me plaît ou pas. Il le prend assez bien en général. Dans mon groupe je n'ai que des musiciens aguerris, mais ils savent rester très modestes. Ils n'ont pas de problèmes d'ego, comme on disait tout-à-l'heure. Leur attitude envers les chansons, c'est qu'elles doivent être les plus parfaites possible. Ils ne sont pas là pour jouer les guitar-heroes. C'est ça la différence cruciale entre un groupe et artiste solo : on est au service des chansons, on n'est pas là pour flatter l'ego des uns ou des autres. Le fait d'être un peu plus vieux aussi, ça joue beaucoup. On réalise que ça ne vaut pas la peine de se taper dessus pour des histoires de hi-hat. On est toujours aussi passionné, mais on se contente de discuter. On ne se bagarre plus, on ne boude plus dans son coin. On a plus de respect pour les idées des autres. On s'écoute parler. Si quelqu'un dit: « Ça ne va pas », on enlève et on cherche quelque chose d'autre. Sans que personne ne se sente lésé.

Mais c'est toujours toi qui dois avoir le dernier mot, non ?

Oui, c'est quand même mon nom sur la pochette ! Mais on en arrive rarement à ce stade. Ce n'est pas une dictature. Mes musiciens comprennent très bien ce que j'ai envie de faire.

Tu disais tout-à-l'heure que toi et tes musiciens avez cherché à utiliser des sons nouveaux. De quels instruments s'agit-il ?

Oui, du waterphone, du cristal Baschet, du glassharmonica... C'était très intéressant. Je joue du tabla aussi, c'est la première fois ! Ça sonne comme du Morse. J'ai essayé de vraiment réfléchir à apporter quelque chose de nouveau dans les sonorités. Mon grand-père jouait de la scie musicale. J'étais fasciné quand je le regardais. Cela faisait longtemps que j'avais envie de retrouver cette émotion. Sur cet album, les chansons s'y prêtaient particulièrement.

Ce qui frappe sur cet album, c'est surtout qu'il n'est pas basé sur la guitare...

Non, c'est vrai. Ce n'est pas ce que j'ai voulu pour ces chansons. Il y en a une où je fais un très long solo de guitare, mais je ne voulais pas non plus tomber dans la masturbation instrumentale (rires). Tout est basé sur l'acoustique et l'atmosphère. C'est très facile quand on est un musicien confirmé de céder à la tentation d'en faire trop. Ces chansons sont assez longues, mais elles montent en puissance progressivement.

Ce n'est pas non plus le genre d'album où on peut sauter de morceau en morceau. Il s'écoute d'une traite...

De nos jours, nous vivons dans une culture du zapping. Les gens n'ont plus la même capacité de concentration. On dirait que plus personne ne sait lire un livre en entier. Je comprends les raisons, mais je trouve ça dommage. Avec cet album je voulais faire un disque qui s'écoute en entier, du début à la fin. Le postulat de départ n'était pas l'archétype de la chanson pop qui dure trois minutes. Si j'en avais mis une au beau milieu, ça aurait fait tâche.

Justement, avec le « succès » de ton dernier album Lady's Bridge, ta relation avec ton label a-t-elle changé ?

Tu sais, je suis chez Mute, qui ne sont que distribués par EMI. Pour ce qui est de l'artistique, ils sont complètement indépendants. Pour être franc, je ne suis pas très ami avec les gens des maisons de disques. Avant de commencer l'album, et je savais quel genre d'album j'allais faire, je me suis dit, « Soit ça passera, soit je vais devoir me battre, et ce sera moche ! ». Je suis toujours très optimiste !(rires).
Mais finalement, rien de tout ça n'est arrivé. Je ne laisserai jamais un commercial d'une maison de disques s'approcher de chez moi. Pas même dans le jardin ! Avec Daniel Miller [patron de Mute Records], tout se passe à merveille. Avec des gens comme lui, ou Alan McGee, ou bien Geoff Travis de Rough Trade, ça se passe toujours bien. Dan a travaillé avec des gens comme Nick Cave et Depeche Mode... Il n'est pas du genre à te convoquer pour des réunions qui durent 18 heures pour savoir dans quelle direction tu vas aller. Ça s'est passé très vite. Il m'a demandé « Où en es-tu avec cet album? », je lui ai répondu : « Je vais devoir me passer de single ». Il m'a demandé: « Pourquoi? ». Je lui ai dit: « Parce que ça fera tâche. » Il a rétorqué : « Tu es content de cet album ? ». J'ai répondu « Oui ». « Alors fais comme tu veux. » m'a-t-il lancé. Et voilà ! J'ai conscience d'être vraiment chanceux de pouvoir travailler comme ça.

Tu as joué dans un film en 2007, Flick. Que s'est-il passé ?

Il est sorti directement en DVD je crois (rires). Je ne sais pas ce qui s'est passé. Le problème avec les films indépendants, c'est qu'ils ont du mal à trouver un distributeur. Pourtant il a été joué au Festival de Cannes. On m'avait demandé d'écrire la bande originale, et puis je me suis retrouvé à jouer dedans. Je ne suis pas du tout un acteur. Et puis je me suis dit que ce serait parfait comme rôle, être DJ d'une radio pirate sur un bateau... Je pensais que ce serait un tout petit film indépendant, j'ai lu mes scènes, elles étaient très simples. Et puis quand j'ai débarqué sur le plateau, je me suis retrouvé en face de Faye Dunaway ! Il y avait des vrais acteurs (rires) ! J'aimerais qu'il sorte un jour. C'est un peu une sorte de parodie de films de zombies. J'ai un tout petit rôle, mais il est très drôle.

Tu vas bientôt partir en tournée pour cet album. Comment vas-tu t'organiser pour intégrer les nouvelles sonorités ?

C'est une très bonne question! Ça va être compliqué. On va sûrement devoir utiliser des boucles par ordinateur. Je ne sais pas encore. On est encore en train de répéter en ce moment, et j'aimerais pouvoir éviter ce recours, mais ça me paraît inévitable. Par exemple le cristal Baschet, ce n'est pas le genre d'instrument qu'on peut trimballer partout. Celui qu'on a utilisé est à Paris. Et le glassharmonica, même dans un flightcase, ce sera très difficile... En effet, je me suis mis dans un sale pétrin avec cet album (rires) ! Mais j'aurai les musiciens les plus talentueux avec moi. Par exemple, David Coulter (Tom Waits, Arthur H, Marianne Faithfull, The Good The Bad & The Queen...) sera là pour la tournée anglaise.

Si tu avais un voeu à exaucer, avec qui aimerais-tu collaborer ?

Je viens d'écrire une chanson pour Shirley Bassey. Je ne m'y attendais pas du tout, et David Arnold [son producteur] m'a demandé un jour de but en blanc de participer à son nouvel album. Tout s'est passé comme dans un rêve, on m'a dit « Shirley voudrait une de tes chansons », j'en ai écrit une, elle l'a aimée, elle l'a enregistrée, et voilà ! On peut dire que j'ai toujours eu beaucoup de chance dans ma vie professionnelle. J'ai toujours eu la chance de travailler avec des gens formidables : Pulp, Arctic Monkeys, Elbow, Radiohead, Nancy Sinatra... ou Faye Dunaway ! Je me retrouve toujours dans des projets intéressants, et c'est fantastique, parce que je ne suis pas non plus la personne la plus hype ou la plus cool du monde... Je ne suis pas dans la poursuite de la popularité à tout prix. Tout ça est tellement futile. Tout ce que je veux c'est continuer à faire ma musique comme je l'entends. C'est ce que j'ai fait depuis que j'ai 14 ans, et j'entends bien continuer comme ça.