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Muse

Interview publiée par Valy le 3 septembre 2006

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Après le succès commercial d'Absolution, Muse passe des indés à Warner et prend ses aises dans le délire cosmique de ses productions. Rencontré au lendemain de l'audition de Black Holes And Revelations pour la presse, Chris Wolstenholme (basse) a commenté pour nous le nouvel opus. Muse se fait plaisir sans compter, aimés ou détestés, ils sont déjà partis dans une autre dimension...

Bon eh bien quel surprenant album...

N'est-ce pas ? Tant mieux, tous nos albums sont très différents. Déjà entre Showbiz et Origin Of Symmetry (OOS), et aussi bien entre OOS et Absolution, chaque album a ses caractéristiques. Dans un sens c'est surprenant mais quelque part je crois qu'il aurait été encore plus surprenant que cet album soit comme Absolution. Nous n'avons jamais fait ça avant et nous n'avons jamais fait deux albums qui sonnaient pareil. En fait je crois que ce qui est génial c'est qu'à mon avis, chaque chanson est surprenante. C'était un objectif quand on a fait cet album de faire des chansons le plus différentes les unes des autres.

Il y a une longue route qui a été parcourue depuis Showbiz jusqu'à cet album...

Oui complètement !

Penses-tu que ces changements ont modifié l'identité du groupe ?

Hmmm... Nous n'avons simplement pas l'intention de nous répéter. Je ne pense pas que les gens s'attendent à un autre Absolution de toute façon. Cet album n'aura rien à voir avec tout ce que nous avons fait avant mais je crois que c'est comme ça qu'on a toujours été ! Ce qui est excitant dans la musique c'est d'essayer de nouvelles idées et jouer des styles auxquels tu n'es pas forcément familier. Tout est dans l'exploration de nouvelles choses, apprendre en tant que musicien...

Je crois que tu avais davantage participé au travail final sur l'album pour Absolution qu'auparavant. Est-ce toujours le cas cette fois-ci, quelle a été ta partie du boulot ?

Ca dépend des chansons. Il y a des chansons où la basse est plus en avant et d'autres moins déjà. Après tout ce qui compte c'est la chanson, ce n'est pas une question d'ego, chacun fait ce qu'il peut pour que la chanson soit aussi bonne qu'elle puisse être. Et puis aussi je pense que nous avons plutôt une bonne compréhension des instruments des uns et des autres. On ne se concentre pas sur notre propre instrument et puis terminé... ce que je veux dire, c'est que Matt et moi avons notre mot à dire à propos des parties de batterie et Dom de son côté a aussi des idées particulières sur les parties de guitares. On sait plus ou moins jouer les instruments les uns des autres. Ca marche comme ça, comme je disais, on fait ce qui est bon pour la chanson et pas pour chaque instrument dans son coin. Du coup on peut se retrouver à jouer des instruments dont on n'a jamais joué avant.

Concernant les styles abordés, il y a une chanson très « Prince », Super Massive Black Hole, dans cet album, pas mal de tempos plus relevés... est-ce que Muse, comme d'autres, va se mettre à faire du rock pour les dancefloors ?

Non je ne crois pas. Il y a peut-être deux chansons dans les albums précédents qui étaient déjà plus dansantes que les autres... oui au bout du compte je crois que chaque album que nous avons déjà fait avait des chansons qui exploraient des chemins complètement différents en dehors des morceaux de pure guitare. Sur Absolution il y a un morceau comme Endlessly. Nous sommes aussi influencés par des sons plus ou moins électro, qui sortent de la simple guitare en utilisant des d'instruments plus organiques. Supermassive Black Hole, tu sais le morceau qui fait penser à Prince, c'est le même genre d'approche où on oublie la façon habituelle de faire des chansons et où on commence le travail avec la boîte à rythme et on voit ce qui se passe, où ça nous mène. Parce que parfois simplement changer un seul instrument peut changer la façon d'aborder une chanson, comme elle va sonner. Ca va influencer comment on va jouer autour de la boîte à rythme, Matt par rapport à sa guitare et sa façon de chanter, et on se retrouve dans un monde complètement différent. C'est un peu ce qui s’est passé avec cette chanson en fait.

Faire un album pour vous est donc comme pratiquer une expérience...

Oui. Après, ça dépend dans quel genre de groupe on se trouve, tous les groupes travaillent de façon différente. Il y a des groupes qui ont un énorme succès et qui utilisent toujours la même formule... je ne suis pas en train de dire que c'est une mauvaise chose, ça marche aussi, mais je pense que Muse se situe plutôt à l'opposé de ça. On tient vraiment à ne pas se répéter. On a de quoi expérimenter, déjà tous les trois on écoute des choses vraiment différentes, ça apporte beaucoup d'influences à notre moulin. De toute façon nous n'avons jamais vraiment été casés dans une catégorie de groupes particulière, non ?

C'est de la prise de risques... d'ailleurs pas mal de fans du début sont très attachés à Showbiz ou à OOS, et ont parfois été déçus par Absolution, dans la façon dont il a été produit par exemple...

Bien sûr, il y a toujours une prise de risque on ne peut pas faire plaisir à tout le monde. Je ne suis pas en train de dire qu'on fait les choses sans se soucier de l'avis des gens parce que dans ce cas on reste chez soi à la maison et on joue tout seul dans son coin. On espère que les gens vont aimer cet album évidemment. Il y a ceux qui aiment Showbiz et pas OOS et inversement... Absolution a quand même été le premier album qui a vraiment fait parler de nous partout. Je pense qu'il y a probablement plus de gens qui aiment Absolution que Showbiz. On pourrait vouloir contenter les uns ou les autres à condition de se répéter mais nous ne feront jamais ça.

Qui a apporté la touche électro à certains morceaux ? Et comment avez-vous travaillé ensemble ?

Je crois qu'il y a depuis un moment des sons un peu comme ça déjà dans Plug In Baby, dans Bliss... même dans Apocalypse Please. Avant on regardait les techniciens travailler et on ne comprenait pas toujours comment ça se passait pour rendre ce genre de son, mais ça marchait. Cette fois-ci nous étions plus impliqués parce qu'encore plus à l'aise avec tout l'équipement technique pour réaliser ce genre de choses et on a vraiment pu faire tout ce qu'on voulait, de façon plus intelligente. Du coup on a peut-être été un peu plus audacieux et c'est vrai que le côté électronique est sans doute plus mis en avant que la dernière fois de par ce fait. Mais bon je pense quand même que sur le fond, 70 à 80% du contenu des chansons c'est un groupe qui joue live. Pour la plupart des titres ça démarre avec Matt, Dom et moi jouant ensemble dans une pièce. Après il arrive qu'on balance des trucs mais par exemple pour une chanson comme Invicible c'est complètement une performance live, contrairement à un morceau comme Take A Bow qui a été construit beaucoup plus dans un studio avec chaque section jouée séparément puis collées ensemble. Mais il y a vraiment eu une approche différente pour chacune des chansons en fait.

Vous avez travaillé à nouveau avec Rich Costey à la production, est-ce que les choses se sont passées comme pour Absolution ?

Ce qui est vraiment bien dans le travail avec lui, c'est qu'il est aussi très ouvert à essayer de nouvelles idées. D'ailleurs il suffit de voir la diversité du genre d'artistes avec lesquels il a travaillé. Ce qui nous a attiré quand on a travaillé avec lui sur Absolution c'est qu'il avait travaillé avec Rage Against Thé Machine et Audioslave sur des choses de gros rock, et puis à côté de ça il a travaillé avec Philip Glass ! Des univers très différents. C'est ce qui nous a particulièrement attiré dans le choix de Rich. Je croix que pas mal de producteurs sont spécialisés dans un style particulier, Rich est plus ouvert. En même temps il est très sélectif et il ne produit pas tant de groupes que ça, mais au moins quand il choisit de travailler avec vous c'est qu'il a vraiment eu le coup de cœur et qu'il veut essayer de nouvelles idées. Et puis il comprend ce qu'on fait musicalement. On a pu travailler avec de très bons ingénieurs, qui sont super bons sur les sons, mais ne comprennent pas forcément notre musique. Certains qui ne sont pas musiciens à côté et ne comprennent pas la structure des accords. Ils sont très bons mais bon, Rich a ce petit quelque chose en plus... il fait partie du groupe !

Ne seriez-vous pas intéressés de produire un jour vous-même vos albums ?

Oui c'est quelque chose dont on a parlé. Mais c'est bien d'avoir quelqu'un qui est un peu « en dehors » quand même, qui peut nous donner son opinion extérieure. Quand on est très impliqués on perd parfois toute objectivité. On peut jammer pendant une heure et prendre le pied de sa vie, mais ça ne veut pas forcément dire que ce que tu viens de faire est génial. On avait des chansons comme ça, supers, mais qui ne collaient finalement pas avec l'album. Et c'est à ce moment là qu'il est intéressant d'avoir un point de vue extérieur pour te dire : « cette chanson est très bien mais elle n'a rien à faire là ».

Justement, qu'est-ce qui a dirigé le choix des chansons ? J'ai entendu dire que vous aviez pensé à faire un concept album à un moment par exemple...

Le seul concept finalement c'était de faire quelque chose de vraiment nouveau, mais c'est tout. Je ne sais pas si il y a vraiment un thème. Et le tri se fait naturellement entre les 15 ou 16 chansons qu'on avait écrites au départ, en dehors de toute idée particulière, c’est juste évident.

On trouvait déjà quelques indices sur les thèmes de la guerre, du complot, de l'idéologie dans Absolution, est-ce que tu dirais que ce nouvel album va un peu plus loin dans ce genre d' « engagement » ?

C'est vrai que depuis Absolution on aborde certaines idées, mais je ne crois pas que ça réfère directement tel ou tel thème politique ou personnalité. C'est plus aux gens de faire la relation entre nos textes et des situations personnelles, à ce que ça leur évoque, mais il n'y a pas de règles. Matt a des pensées très particulières quand il écrit les paroles mais ça ne veut pas dire que ça va provoquer les mêmes pensées chez qui que ce soit d'autre, ce n'est pas son objectif. On nous parle beaucoup de A Soldier's Poem comme d'une référence à la guerre actuelle, mais c'est plus général que ça, cette chanson peut s'appliquer à l'idée de la guerre à travers toute l'histoire de l'humanité. Ce dont on parle ainsi dans ce genre de chanson n'est pas forcément relié à un homme ou un moment de l'histoire en particulier en tout cas.

Parlons des références qu'on peut trouver sur cet album justement, mais musicales. La fin est très marquée par une ambiance de western, d'univers à l'américaine... ça vous est venu lors de votre récente tournée aux USA ? Tarantino ? Autre chose ?

Oui c'est vrai que c'est un peu né en pleine vogue Kill Bill. On n'en a pas parlé directement mais il y a sans doute un peu de ça. Je pense que ces chansons sont marquées par beaucoup d'influences qui viennent de différentes périodes du rock et le western spaghetti oui...

Ennio morricone, les Tornadoes ?

Oui oui, et puis pas mal de sons des années 50 et 60, les Shadows, les Tornadoes... Le père de Matt faisait partie de ce groupe alors forcément... cette vibe très Tex-Mex et épicée vient de là, qui correspond en même temps à une période où l'homme partait pour la première fois dans l'espace, sur la lune et ça s'est aussi réfléchi dans la musique, c'est intéressant à creuser. Et ça n'apparaît pas que dans Knights Of Cydonia, je dirais que c'est un peu comme un volet en trois chapitres à la fin.

Ce mélange final entre Lucas et Tarantino justement parlons-en : il y a dans ces chansons quelque chose de très cinématographique...

Oui à peu près 60% de cette partie est instrumentale. On s'est attaché à faire des chansons pendant lesquelles on peut fermer les yeux et voir des images. C'était un peu comme faire un film sans vidéo si tu veux !

Justement, seriez-vous intéressés de faire une bande originale de film ?

Oui, absolument ! D'ailleurs on a été approchés quelques fois pour le faire et ça nous aurait vraiment plu, mais pour être honnête, nous n'avons pas eu le temps de nous pencher sérieusement là-dessus. Tu fais un album, et puis tu fais la tournée, et quand la tournée se termine c'est un passage particulier parce que tu penses déjà à l'album suivant ! Mais c'est tout à fait quelque chose qu'on aimerait faire ! Il faudrait juste trouver le temps parce qu'il y a toujours un endroit où jouer, des pays où tourner, ça complique les choses...

Vous avez enregistré l'album en France dans le studio où avait été créé « The Wall », est-ce qu'un film musical de ce type pourrait être dans vos cordes aussi ?

Oui on est super ouverts à ce genre de plans, c'est certain, mais comme je le disais après c'est juste une question de temps. Pour le moment notre priorité c'est de faire le tour d'un maximum de pays dans le monde, c'est ce qu'on préfère : se retrouver à jouer devant des foules entières, c'est un sentiment génial. Et quand on en a terminé avec ça, on a juste envie de dormir pendant trois mois ! Mais à côté on aimerait énormément aussi pouvoir essayer ce genre d’expérience oui, à l'avenir.

Vous êtes un groupe très scénique en effet, quand vous écrivez, vous pensez déjà à ce que ça va donner en live ?

C'est ce qu'on avait fait beaucoup pour Origin of Symmetry, on essayait les chansons directement sur scène, et en studio on voulait reproduire à peu près le son que ça donnait sur scène. Pour Absolution on a totalement oublié le concept de jouer en direct pour l'écriture. On voulait juste faire un bon album sans penser à la scène. Certains morceaux requièrent parfois une vingtaine de personnes, ce qui évidemment n'est pas possible quand on est tous les trois sur scène, mais si ça rend la chanson meilleure alors le fera. Mais on ne voulait pas que l'idée des morceaux en live interfère avec l'album, parce que ça oblige des restrictions qui ne collent pas nécessairement avec la situation dans laquelle on se retrouve en studio. On a bien séparé ces deux aspects de notre musique.

D'où viennent ces trompettes sur l'album ? Il parait que vous aviez pensé à Flea pour en jouer ?

Oui c'était prévu mais il y a une note aigüe qu'il ne pouvait pas atteindre ! Alors on a pris un italien pour le faire. C'était assez marrant, il fumait tellement de cigarettes, ça me dépasse comment un mec qui fume autant peut jouer de la trompette comme ça ! C'est incroyable ! Mais en tout cas il était évident qu'il fallait une trompette sur ces morceaux... on ne pouvait pas recréer ces atmosphères tex-mex sans utiliser des cuivres.

Et enfin, pourquoi Warner ?

Eh bien je crois que le temps était venu pour nous de passer à autre chose. Travailler avec différents labels dans différents pays, ça a très bien marché au début. Mais une major qui peut travailler sur le monde entier en une seule fois et prévoir les endroits qui vont le mieux fonctionner pour nous, c'est pas mal. Et puis c'était fou que nos albums ne sortent pas au même moment en fonction des pays. Maintenant que nous sommes un peu établis, on peut se permettre de sortir l'album dans de meilleures conditions. Le système du départ a vraiment très bien fonctionné, mais il était temps de passer à une autre étape aussi pour nous.