Souvent comparés à At The Drive-In, Million Dead ont sorti en septembre dernier leur premier album, A Song To Ruin, rapidement encensé par l'ensemble de la presse britannique. Rencontre avec Frank Turner, leader très engagé de ce jeune groupe.
Comme vous n'êtes pas très connu en France, peux-tu m'en dire un peu plus sur le groupe ? Comment vous êtes-vous rencontré ? D'où vient le nom ?
Le groupe s'est formé à Londres il y a 3 ans. Cameron (guitare) et Julia (basse) viennent tous deux d'Australie mais se sont rencontrés à Londres, et chacun voulait former un groupe. Ils ont donc commencé à jouer et écrire ensemble. Ben (batterie) et Cam travaillaient ensemble à l'époque, il s'est donc joint au projet. Ben et moi nous connaissions et avions joué dans des groupes depuis des années, donc c'était une étape logique pour lui de me demander de faire des essais pour la voix. Et voila qui était fait. Le nom vient d'une chanson du groupe suédois REFUSED, il y a une phrase : "suck on my words for a while, choke on the truth of a million dead". On l'a pris de là. Ca n'a pas de sens profond, c'est juste quelque chose qui sonnait bien et sur lequel tout le monde s'est entendu.
En écoutent votre album, je trouve de forte ressemblance avec At The Drive-In. Que pensez-vous de cette comparaison ?
Beaucoup de gens le disent, et jusqu'à un certain point c'est assez vrai, nous sommes tous fans du groupe. Mais je ne pense pas que ce qu'on fait s'arrête là, nous sommes aussi influencés par un bon nombre de genres, du rock classique aux groupes qui ont un son beaucoup plus crade/saturé, les trucs d'avant-garde et même un peu de screamo français (Peut Etre, Alcatraz, Anomie etc...). C'est donc un bon commentaire mais qui n'est pas représentatif de tout le tableau.
Quelles sont les autres influences du groupe ?
Voir au dessus! Aussi, nous tous dans le groupe ne nous entendons pas sur tout, donc tout le monde répondra à cette question différemment. Mais il y a quelques points sur lesquels nous sommes d'accord. Premièrement, nous ne projetons pas de ressembler à un quelconque autre groupe. Nous voulons faire la meilleure musique que nous pouvons, et si cela fini par ressembler à du Jean-Michel Jarre, et bien que ça y ressemble. Deuxièmement, nous admirons des groupes comme Sonic Youth et Fugazi, parce que ce sont de vrais groupes rock qui existent depuis longtemps et font exactement ce qu'ils ont envie de faire, ils créent des musiques originales qui restent pour des décennies, et c'est ce que nous aimerions parvenir à faire un jour.
"A Song To Ruin", sorti en septembre, a eu de très bonnes critiques dans la presse britannique, avec, entre autres, 5K dans le magazine Kerrang (la note maximale). Vous attendiez-vous à une réaction aussi positive ?
Sachant que nous étions au courant que quelques uns des journalistes étaient fans du groupe depuis un bon moment, nous n'attendions pas de critiques négatives, mais nous avons quand même été agréablement surpris par ce qui en est finalement ressorti. C'était très flatteur de recevoir ce genre d'éloges.
Ces notes ont une grande importance, particulièrement en Angleterre, que penses-tu de l'impact sur le choix des lecteurs ?
Avec un peu de chance, cela a encouragé des gens à nous écouter pour la première fois. Pour être honnête, cependant, un problème à long terme que nous avons eu en tant que groupe est le suivant : beaucoup de ceux qui écrivent pour des magazines comme Kerrang sont à fond dans ce que nous faisons, et c'est très bien, mais dans l'ensemble ce sont des fans qui ont la vingtaine et savent de quoi ils parlent. Or la tranche d'âge des lecteurs de Kerrang en Grande Bretagne est de 12-18 ans, et beaucoup d'entre eux sont moins réceptifs, pour quelques raisons que ce soit, à notre musique. Donc il nous est arrivé à un certain moment d'avoir une presse meilleure que les réactions populaires, mais ça commence à changer maintenant (enfin!).
Les pochettes de vos CD sont toutes très réussies. Qui avez-vous choisi pour la réalisation ?
A une époque nous avons tourné en Grand Bretagne avec le groupe The Murder of Rosa Luxembourg. Leur chanteur, Steve, fait du design graphique et nous avons vraiment aimé son travail. Nous lui avons donc demandé de proposer quelques idées. Il nous a envoyé environ 20 designs, et c'est la pochette finale de l'album que nous avons préférée. Elle semblait correspondre à l'humeur.
Deux singles tirés de l'album sont déjà sortis ('Breaking The Back' et 'I Am The Party'), quels sont vos projets pour l'année prochaine? Un troisième? Commencer le travail sur votre prochain album ?
En fait, déjà en février 2003, nous avons sorti notre premier single ('Smiling At Strangers On Train'), mais c'était avant que l'album soit fait, ce qui fait que ça ne compte pas comme un de ses singles. Pour l'année prochaine nous pensons enregistrer quelques nouvelles chansons, peut-être pour un EP, avec un peu de chance pour un album. Nous voulons aussi emmener 'A Song To Ruin' aussi loin que possible autour du monde. Nous sommes un groupe international d'esprit. On adorerait venir en France!
Vous avez récemment repris une chanson de Tori Amos ('Pretty Good Year') pour votre session radio pour John Peel. Pourquoi ce choix ?
Nous sommes tous (mais particulièrement moi!) des fans de longue date de Tori Amos. Je pense que c'est une artiste étonnante. Quand on reprend une chanson, je pense qu'il est important de choisir quelque chose de différent de son style de musique habituel, sinon ça n'a aucun sens. C'est une question de réinterprétation. Nous avons essayé quelques autres chansons mais c'est celle-là qui a le mieux marché.
D'après ce que je sais vous n'avez jamais joué en France, est-ce qu'il y a quelque chose de prévu ?
Comme je l'ai dit, nous aimerions venir en Europe aussi vite que possible. Pour l'instant on en est aux discussions autour de la sortie de l'album en Europe et en Amérique pour le début de l'année prochaine, nous devrions donc faire une tournée courant 2004.
En lisant les paroles de l'album j'ai vraiment été surprise! Voici les questions qu'elles m'ont inspirées. Qui les écrit ?
C'est moi qui écris les paroles parce que je dois les chanter! Les autres ont un droit de veto sur moi, mais en général c'est mon domaine.
Tes paroles sont très engagées, que penses-tu de groupes comme les Manic Street Preachers, Asian Dub Foundation ou même Bono de U2? Envisages-tu d'utiliser ta notoriété pour te battre pour ce qui te semble juste?
Je ne suis pas d'avis à dire que musique et activisme politique font bon ménage. Je ne considère pas mes paroles comme positivement politiques, je n'ai pas le désir de créer de changement avec mes mots, et je me méfie généralement de l'activisme idéaliste en soi. Si je dois me battre pour une cause, ce sera en dehors du groupe. Beaucoup (comme Bono) ne sont manifestement pas d'accord avec cela, et c'est bien, mais moi je ne m'en préoccupe pas. Je veux que les gens pensent à notre musique d'abord, et à nos paroles ensuite. MSP, ADF etc..., sont tous de bons groupes, mais je les aime pour leur musique et non leur politique.
Que penses-tu de la musique comme moyen de transmettre des idées politico sociales ?
Comme je l'ai dit, je pense que c'est grandement inefficace. Même des groupes qui ont un succès massif et qui vendent peu importe combien de millions d'albums ne touchent seulement qu'un pourcentage infime de la population. La politique concerne tout le monde, pas seulement les fans d'un courant musical particulier.
La chanson 'Charlie and the Propaganda Myth Machine' fait référence à George Orwell, que penses-tu de sa vision du monde et comment décrirais-tu la tienne ?
Je pense que Orwell était une personne très intelligente et morale, et je suis un grand fan de son travail, particulièrement son travail tardif après ses expériences en Espagne. Je ne pense pas encore avoir une vision cohérente du monde, je n'ai que 21 ans, et je ne crois pas en avoir suffisamment vu pour ne serait-ce qu'essayer de formuler des théories cohérentes dessus. En général j'aime me considérer comme guidé par des principes comme l'indépendance, le cynisme et ainsi de suite.
Peux-tu expliquer les paroles 'Orwell's vision with a wrinkled face' (La vision d'Orwell avec le visage ridé) ?
La ligne à laquelle tu te réfères fait aussi en partie référence à un personnage de Roald Dahl, le Bon Gros Géant, qui a un visage ridé. La vision d'Orwell dans ce cas là est Big Brother. Je voulais évoquer les personnages des contes pour enfants comme étant insidieux.
Ceci est une question ouverte, tu a l'air d'avoir beaucoup de choses à dire alors vas-y. Parles moi de ce que tu veux.
Haha! mauvaise idée! Je pense que tout ce que j'essaye de faire avec mes mots est d'exprimer quelque chose qui me dérange, généralement quelque chose que j'ai observé. Je suis préoccupé par l'idée que les gens vont prendre mes mots trop sérieusement, mais premièrement il y a beaucoup d'humour là dedans pour moi (ex : 'working the tills put hair on my chest' - travailler à la caisse me fait pousser des poils au menton - phrase stupide). Deuxièmement, je veux que personne ne prenne un jeune comme moi trop au sérieux. Nous avons en fait une chanson à ce sujet (I am the Party). Voir la phrase 'if my status as a figure on a stage implies authority, I hope my caution and my age belies my humility' (Si mon statut de figure sur cette scène implique l'autorité, j'espère que ma prudence et mon âge démentent mon humilité).