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Duke Special

Interview publiée par Jean-Christophe Gé le 3 février 2007

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Duke Special est un peu le -M- de Belfast. C’est d’abord un personnage, Duke Special, derrière lequel se protège Peter Wilson, musicien virtuose qui évolue dans un monde haut en couleur dans un look marqué (dreadlocks rousses et eyeliner). Tout juste sorti de la maison de la radio où il a fait le fou du roi, le Duke se laisse porter vers sa prochaine destination. Nous descendons dans la grande salle de réunion du sous-sol de son label V2. Loin de la scène et de son personnage, Peter Wilson a du mal a occuper l’espace, il s’assoit sur un bout du canapé, comme à l’époque où il sillonnait les routes, entassés à trois à l’avant d’un mini van. Il est aussi très pro, et sans que j’ai besoin de le pousser, il me déballe sa petite histoire, toujours soucieux de rappeler d’où il vient et que Duke Special est son invention, pas celle d’un manager de l’industrie de l’entertainment.

C'est parti, je t'écoute...

Avant je jouais dans des groupes plus rock, je faisais surtout de la guitare rythmique et des chœurs, mais j’avais envie de faire quelque chose de plus personnel, alors j’ai été faire des sessions studio tout seul. J’ai aussi très vite eu envie de faire de la scène, et j’ai joué dans des pubs, seul avec un énorme gramophone sur lequel je passe des disques ou des spoken words. J’ai récupéré toute une collection de cours d’ornithologie grâce à un copain gallois. C’est absolument super comme matière. Et puis il me fallait un nom, et je cherchais quelque chose dans l’esprit des vaudeville du XIX° siècle, ces spectacles bigarrés avec des danseuses, des montreurs d’ours, des comédiens… Des personnages de ducs apparaissaient souvent, alors j’ai décidé de m’appeler Duke Special.

Comme dans le film Moulin Rouge où il y a un Duke. Tu es plus sympa que celui-ci ?

Oh j’ai adoré ce film, la musique, les décors, les acteurs… Le Duke c’est le manager dans le film ?

Non, ça c’est Harold Zidler, le Duke, c’est celui qui finance le spectacle et qui veut coucher avec Satin (Nicole Kidman).

Alors, non, je comprends qu’il veuille coucher avec elle, mais mon personnage est beaucoup plus sympathique.

Tu viens de sortir ton premier album, Songs From The Deep Forest, est-ce une compilation de tes premières chansons ou de nouvelles chansons autour d’un seul thème ?

C’est plus une compilation. Dessus, il y a des titres des premiers EP que j’ai sorti moi même et que je vendais lors de mes concerts [NDLR : à plus de 5000 exemplaires chaque] et de nouveaux titres. Free Wheel est le plus vieux morceau, je l’ai écrit il y a 6 ans alors que je n’étais pas encore Duke Special. This Could Be My Last Day est le dernier morceau écrit pour l’album, je l’ai fini le dernier matin de la session. Les EP ont été enregistré chez et par mon ami Paul Wilkinson. En revanche pour l’album nous savions qu’il fallait quelque chose de plus pro. Alors que je n’avais pas encore de contrat, j’ai cassé ma tirelire pour aller dans un vrai studio. Mais comme ça coutait très cher, il fallait que tout soit fini dans les temps. Les derniers jours nous travaillions avec Paul presque 24h/24. Il était tellement épuisé qu’il s’endormait sur un canapé et je le réveillais à chaque que fois que j’avais une nouvelle partie à enregistrer. This Could Be My Last Day a été enregistré comme ça, le dernier jour de studio entre 4h et 8h du matin.

L’univers de ta musique est assez féerique et intemporel, comment décrirais tu notre époque à quelqu’un qui se réveille d’un sommeil de 1000 ans ?

Comment ça, d’un point de vue politique ? C’est dur comme question, je peux y répondre plus tard ?

Pas de problème. Question suivante. Quelle importance donnes-tu aux paroles ?

C’est la musique que les gens entendent en premier, mais les paroles ont un effet multiplicateur. 1+1=3, c’est ce qui se passe aussi avec de bonnes paroles, quand tu accroches sur une mélodie et qu’en plus tu es touché par les paroles, le résultat est extraordinaire. La musique est un autoroute des âmes [NDLR : « fast track to your soul », ça sonne quand même mieux en anglais]. Les paroles sont donc pour moi aussi importante que la musique. En tant que chanteur j’ai aussi la chance d’avoir l’attention des gens, je peux les faire planer, je peux les sensibiliser à des sujets sérieux, je peux les divertir… C’est une grosse responsabilité, je ne peux pas leur raconter n’importe quoi.

Et le design ? Tes pochettes sont très belles, ton look et l’aspect scénique très soigné, as-tu été tenté par la peinture ou la sculpture ?

Ah non, malheureusement, je n’ai pas du tout ce genre de talent. En revanche ma femme fait des installations en verre et en acier.

Avez-vous essayé une performance ensemble où tu ferais de la musique avec ses installations ?

Grand Dieu, non, elle ne me laisserait jamais y toucher ou taper dessus.

Justement, sur scène, en plus du gramophone, tu as plein d’autres objets. Quel est ta plus grande découverte sonore avec ces objets ?

Un placard fait une excellente grosse caisse. J’aime bien aussi tous les vieux trucs en bois, ça grince, ça résonne, tu peux en tirer plein de sons. L’avantage d’enregistrer mes premiers EP dans un appartement c’est que nous avions plein d’objets à notre disposition. C’est que ça que j’ai aussi eu l’idée d’utiliser des ustensiles de cuisine, comme une râpe à fromage en lieu d’une washboard (planche à laver) country. Eviter à tout pris d’utiliser des sons déjà entendus mille fois.

C’est impossible à retranscrire ici, mais en répondant à cette question, Duke Special va se livrer à plein de mimiques, de rythmiques, va gratter la table, faire grincer les chaises, taper sur le canapé… La manière de travailler qu’il décrit ressemble à celle de certains groupes industriels ou électroniques tels que Einstürzende Neubauten ou Depeche Mode qui longtemps n’a pas voulu utiliser un même son pour deux chansons différentes. Des univers musicaux très loin de sa pop accoustique.

En tournée, tu n'as jamais de problème à la douane avec tout cet attirail ?

Si souvent, mais c’est plus avec mes gros micros des années 50, ou avec mes manges disques portatifs. En voyant l’objet aux rayons X, les douaniers se demandent ce que c’est et hésitent franchement à me laisser monter dans un avion avec ça. Et puis quand ils les ouvrent et que je leur explique ce que c’est, généralement, ils trouvent ça super et font venir leur collègues « eh, vient voir, c’est le même micro qu’Elvis » ou « eh j’en avait un quand j’étais petit… ».

Revenons à ma question sur notre époque. Comment décrirais-tu 2007 ?

Je crois que même après quelques décennies de sommeil, notre époque pourrait paraître effrayante. Le monde est devenu très petit. Avec l’email et les avions, les idées et les hommes font le tour du globe en un rien de temps. C’est inquiétant et c’est bien. Il ne faut pas que nous nous uniformisions trop. Mon boulot d’artiste, c’est aussi d’encourager et d’entretenir les différences. Je suis très heureux de pouvoir voyager grâce à ma musique, de voir des gens nouveaux et des cultures que je ne connaissais pas. En avril j’aimerais pouvoir partir en Afrique avec OxFam pour une mission d’observation.