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Philip Selway

Interview publiée par Julien Soullière le 5 octobre 2010

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Connu pour son rôle de batteur au sein de Radiohead depuis plus de deux décennies, Philip Selway a sorti il y a quelques semaines un premier album solo inattendu évoluant dans les sphères folk. Rencontre avec un personnage à l'univers déjà affirmé...

Avant de rencontrer le succès avec Radiohead, tu as notamment étudié l’anglais et l’histoire à Liverpool, et enseigné ta langue à des étudiants étrangers. En quoi ces expériences ont-elles nourri ton travail de musicien ?

C’est ce qui est écrit sur Internet, n’est-ce pas (rires) ? Pour l’anecdote, sache que je n’ai enseigné l’anglais que très peu de temps et que, contrairement à ce que tu peux lire ici et là, je n’ai jamais été de corvée « tournée » avec un quelconque groupe à cette époque. Radiohead n’était au départ qu’une occupation : Thom, les autres et moi n’étions ni plus ni moins que des amateurs, enthousiastes à l’idée de pouvoir jouer de la musique ensemble, et nous avions tous des à-côtés. Ceci dit, de manière générale, c’est vrai qu’il est important d’avoir une vie en dehors de la musique, d’exister au-delà d’elle ou d’un groupe... je dirais même que c’est indispensable. Cette diversité t’apporte un équilibre qu’il est fondamental de maintenir. Et puis au final, les expériences se nourrissent mutuellement : ce que je fais en dehors de Radiohead m’aide dans mon travail avec ce groupe, et inversement.

En parlant d’expériences, peux-tu nous en dire un peu plus sur ton action au sein de l’association The Samaritans ?

Je ne suis plus impliqué dans cette association depuis quelques temps déjà, mais il est vrai que j’ai travaillé pour elle pendant près de dix-huit ans. Pour faire court, The Samaritans tente de venir en aide aux personnes qui se sentent seules, mal dans leur peau, et qui, peut-être, pensent au suicide. Il y a un numéro, que tu peux composer quand tu veux, peut importe l’heure ou le jour de la semaine, et en en appelant, les gens ont la garantie de pouvoir s’exprimer sans être jugés. Faire partie de cette équipe de bénévoles a été une expérience extraordinaire pour moi. Quand tu es au téléphone et que tu es là, à discuter avec les gens, il y a un lien vraiment fort qui se créé entre eux et toi. Certes, tu es là pour les aider, par la parole, avec tes mots, mais toi aussi tu y gagnes quelque chose, c’est indéniable. Malheureusement, travailler pour une association comme celle-là te demande beaucoup de temps, et je ne pouvais plus m’engager suffisamment pour que mon action porte réellement ses fruits. J’ai donc préféré arrêter là.

Parlons maintenant de Familial. A quel moment l’idée d’enregistrer ce disque est-elle apparue, et pour quelles raisons ?

J’ai commencé à sérieusement considérer la chose il y a maintenant trois ans... plus exactement, j’ai toujours eu beaucoup d’idées en tête, mais je n’ai pris conscience de la cohérence qu’il existait entre elles qu’à cette époque. Le problème, c’est que dans le concret, ces idées n’étaient au mieux que de simples mélodies : je n’avais écris que très peu de textes, et je ne savais absolument pas comment j’allais placer mon chant sur la moitié d’entre elles (rires) ! Vu mon âge, il fallait bien que je finisse par me lancer un jour ! Et puis il y a des choses dans la vie qui t’ébranlent, qui pressent tes décisions... la perte de ma mère a forcément joué un rôle dans tout ça. Au final, disons que cet album a vu le jour naturellement, sans contraintes, ni obligations.

Familial est ton premier effort solo. Quel a été pour toi l’étape la plus difficile ?

Rien n’a été simple ! J’ai dû apprendre à écrire des textes, à chanter... en fait, faire ce disque m’a permis de passer au niveau supérieur. Tu sais, au sein de Radiohead, nous prenons les décisions ensemble, et nous n’avançons que d’un commun accord. Là, c’était une toute autre histoire : c’était mon projet, mon disque, et j’étais donc seul à mener la barque. Alors oui, j’ai fait appel à des musiciens et des songwriters, mais c’était malgré tout mon album. Après, je dirais que, certes, tout n’a pas été évident, mais que je suis au final très fier de pouvoir me dire que je l’ai créé.

Pourquoi as-tu décidé d’appeler cet album Familial ?

Le disque n’avait toujours pas de titre une fois enregistré, et il se trouve qu’un jour, John Harris et Lisa Busby, les artistes chargés de travailler sur l’artwork, sont venus me présenter leurs réalisations. À la base, je me souviens leur avoir donné quelques indications sur ce que je voulais, mais ils sont somme toute restés très libres dans l’exécution. Au final, je me suis rapidement rendu compte à quel point leur travail me renvoyait à ce que j’avais pu ressentir et comprendre à l’écoute de l’album. Dans chaque titre, il était en fait question de ces relations, à la fois fortes et complexes, que l’on entretient avec les membres de sa famille, voire avec de très proches amis ou collègues; de ces relations qui naissent à la suite d’expériences qui nous marquent irrémédiablement. Toutes les chansons avaient donc un même point commun, et le titre de l’album est alors devenu une évidence. Et puis, il faut aussi dire qu’à ma connaissance, personne n’avait encore utilisé ce titre là (rires) !

En quoi cet album est-il similaire et différent du travail que tu as effectué jusqu’à maintenant avec Radiohead ?

Avec ce disque, j’ai voulu faire quelque chose qui me ressemble, et que je n’aurais surement pas eu l’occasion de faire avec le groupe. Certes, certaines chansons auraient pu faire partie d’un album de Radiohead, mais de manière générale, je dirais qu’elles sont beaucoup plus directes d’un point de vue émotionnel. Et puis, quand je joue avec Radiohead, je ne suis que le batteur, un membre parmi d’autres, et ma personnalité ne se reflète sûrement pas autant que sur Familial.

Tu es le batteur de Radiohead, certes, mais tu assures également les chœurs au sein du groupe ! Sur Familial, en revanche, tu es promu chanteur à plein temps... Une épreuve plus délicate ?

D'abord, j'ai pris des cours avec une chanteuse d’opéra. C’était une très belle expérience, en ce sens où cette femme avait une réelle fibre pédagogique, ce qui m’a permis d’apprendre beaucoup de choses sur le plan technique, sur ma capacité à maîtriser ma voix et à l’amener plus loin. Et puis j’ai aussi mené un véritable travail de fond avec Ian Davenport, le producteur de l’album, et ce pendant près d’un an : dès que nous avions un moment de libre entre nos projets respectifs, nous nous retrouvions lui et moi pour expérimenter certaines choses au niveau de l’harmonie et de l’équilibre entre ma voix et les arrangements.

Sur cet album, tu as fais appel à de nombreux musiciens et songwriters (Pat Sansone, Lisa Germano, Glenn Kotche...). Comment les as-tu choisis et que t'ont-ils apportés ?

Il y a quelques années, j’ai été invité à prendre part au projet caritatif 7 Worlds Collide, qui est en réalité une initiative chapeauté par le musicien néo-zélandais Neil Finn. C’est à cette occasion que j’ai croisé la route de gens comme Sebastian Steinberg, Pat Sansone ou encore Lisa Germano, et que j’ai pu collaborer avec eux. Ce sont toutes et tous de formidables artistes, et travailler avec des gens comme ça est non seulement motivant et rassurant, mais c’est aussi très inspirant. A l’époque où j’ai décidé d’enregistrer mon premier album solo, je suis donc tout naturellement allé vers eux, afin de leur parler mon projet, et de leur demander si ils acceptaient de travailler à mes côtés.

Familial est un album délicat et apaisant, mais également empreint d’une bonne dose de mélancolie. Ce disque reflète t-il le véritable Philip Selway ?

Pas totalement, je l’espère (rires)! Je pense que ce disque reflète simplement la partie de moi qui s’exprime le moins au sein de Radiohead.

Quelles sont les choses les plus importantes que tu aies apprises au cours de cette expérience en solitaire ?

Comment chanter, comment écrire... beaucoup de choses ! Au final, comme je te le disais auparavant, faire ce disque m’aura appris à prendre les commandes d’un projet, et de ne plus simplement en être une partie, un acteur. Et puis, il y a l’aspect décisionnel qui est fondamental : s’il ne faut pas se fermer aux propositions, ou aux conseils que les autres peuvent te donner, il est important quand tu te lances dans un projet comme celui-là de savoir où tu veux aller, de savoir où tu veux emmener ta musique, de quelle manière tu veux qu’elle sonne... et d’être capable de t’en tenir à cela. C’est aussi une des choses que j’ai apprises à faire.

Familial était-il selon toi un « one shot », ou penses-tu poursuivre dans cette voie en parallèle à Radiohead ?

Travailler sur ce premier disque m’a tellement apporté que j’espère de tout cœur pouvoir mettre cette expérience à profit dans le futur, et sortir un second album. Et puis, les idées arrivent continuellement, de nouvelles chansons voient le jour... on verra bien ! Pour le moment néanmoins, je suis en studio avec Radiohead, et je dois me focaliser là-dessus, me replonger dans cet univers.

À ce propos, où en est l’enregistrement du successeur de In Rainbows ?

Nous travaillons sur de nouvelles chansons depuis l’an dernier, et nous nous retrouvons d’ailleurs la semaine prochaine pour faire le point sur le travail accompli jusqu’à maintenant. Nous pourrions aussi bien être proches de la fin, que finalement très loin... Rien n’est sûr, mais avec un peu de chance, il ne faudra plus attendre trop longtemps avant que l’album ne sorte...