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Anthony Reynolds

Interview publiée par Amandine le 19 avril 2011

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A l'occasion de ses deux concerts parisiens en février dernier, Anthony Reynolds, ancien leader de Jack, nous a accordé un moment convivial pour nous parler de ses nouveaux projets, de sa carrière solo, de son travail de biographe mais aussi des difficultés actuelles de l'industrie de la musique.

Tu es chanteur, compositeur, poète et écrivain. Tu as écrit plusieurs biographies. Ton travail littéraire est-il différent de la façon dont tu procèdes pour la musique ?

C'est une bonne question. Non, parce que quand j'ai commencé à écrire, j'étais déterminé à ce que quiconque aime mes disques puisse encore reconnaître ma voix parce que sinon, j'aurais utilisé un faux nom. Les éditeurs me donnaient plus d'argent si j'utilisais mon vrai nom, quelque chose comme 50€ de plus (rires). Je voulais garder une attitude poétique en écrivant ces livres et c'est beaucoup plus difficile que pour la musique, car la musique, c'est toi tout entier. Mais je crois que j'ai réussi. Le premier livre sort en France en ce moment (ndlr : biographie de Leonard Cohen) et j'espère que les lecteurs trouveront ce langage tout aussi poétique.

Penses-tu faire passer les mêmes messages avec la musique qu'avec la poésie ou la littérature ?

Oh, je n'ai pas de message particulier à faire passer. Tout est plutôt un acte de foi pour inventer une signification à ma propre vie.

Finalement, as-tu à la fois besoin de la musique et de la littérature pour t'exprimer ?

Je crois que je vais aussi me mettre au mime maintenant, peut-être que je gagnerai un peu d'argent avec ça (rires). Je n'ai pas écrit tant de musique qu'il n'y paraît ces dernières années. J'ai écrit pour les autres. Je suis un peu frustré à vrai dire en ce moment car j'ai essayé d'écrire la musique que j'aimerais vraiment faire mais je n'ai pas d'argent pour la mettre en place. J'aimerais sortir un album avec de vieux jazzmen mais je n'ai pas les moyens de financer ce projet.

Il me semble que tu aimes beaucoup Jean Cocteau et Charles Bukowski...

Oui, je les admire énormément.

Qu'aimes-tu tant chez ces personnes ?

Leur esprit ! Dans un sens, je vois beaucoup de similarités entre Cocteau et Bukowski. Si on regarde les mots, on dira alors « Non, pas du tout ! » mais ils sont tous deux des sortes de poètes. Ce que j'aime chez eux, c'est leur expression très personnelle de l'esprit, même s'ils le font de manière différente. Ils me font me sentir moins seul. Même s'ils sont morts, ils sont encore bien vivants dans ma vie quotidienne. Si je vois une photo de Jean Cocteau ou Charles Bukowski, ça me fait me sentir mieux alors que si je vois une photo de Johnny Hallyday ou de Dick Cheney, ça me donne des pulsions suicidaires.

Parlons un peu des biographies que tu as écrites. D'où vient cette idée d'écrire sur la vie d'autres artistes ?

La principale raison a été l'argent. Ce qui s'est passé pour le premier livre... C'est donc la biographie des Walker Brothers et c'était surtout pour impressionner ma petite copine de l'époque parce qu'il y a six ans, j'arrêtais de gagner de l'argent avec la musique et elle ne comprenait pas vraiment ce qu'était mon job. J'aurais pu devenir un acteur à la place... Tout a commencé comme ça : je voulais écrire un livre, tout comme j'aurais aimé faire un film, j'aime tous les médias. Du coup, quand tu écris un premier livre, il y a toujours quelqu'un pour te demander « Hey, tu voudrais peut-être en écrire un deuxième ? » . J'ai fait très attention car les Walker Brothers ont une signification particulière pour moi et j'aime aussi beaucoup Leonard Cohen. Pour la biographie de Jeff Buckley, je n'en avais pas vraiment l'intention mais je devais payer mes factures et on est venu me le demander alors... J'ai tout de même fait en sorte d'écrire un beau livre... je ne me verrais pas par exemple écrire une biographie d'Elli et Jacno, même si j'aime beaucoup. Ce que je veux dire, c'est que mes sujets d'écriture comptent toujours beaucoup pour moi...

 

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C'est donc la raison pour laquelle tu as choisi ces artistes ?

C'est vrai pour les Walker Brothers et pour Leonard Cohen mais c'est une commande pour Jeff Buckley. En écrivant la biographie, je me suis rendue compte que nous avions une ancienne petite amie en commun... pas au même moment bien entendu (rires). Quand je vivais à Londres en 1996 je crois, je voyais une fille, qui apparaît d'ailleurs dans la biographie. On peut lire des extraits de son journal intime. Un soir où je devais la voir, elle a appelé pour annuler, me disant qu'elle devait voir un certain Jeff et là je lui ai dit « Mais qui est ce connard de Jeff ? » et elle m'a répondu très naturellement « Mais Jeff Buckley voyons ! ». Je l'ai un peu connu et il était très beau garçon donc je me suis dit « Bon, OK, je peux comprendre, ce n'est pas grave, on se verra la semaine prochaine ! » (rires). Lorsqu'il est mort, j'ai été très triste de l'apprendre et quand j'ai eu l'opportunité de découvrir sa vie, je me suis rendu compte que j'aimais beaucoup son univers.

J'ai lu que tu étais autodidacte et que lorsque tu étais enfant, tes premiers instruments avaient été des casseroles et des cuillères. Maintenant, as-tu un instrument de prédilection ou te sens-tu autant à l'aise avec chacun d'entre eux ?

Le piano... j'adore le piano. C'est un peu un luxe d'en avoir un . J'en ai possédé un pendant plusieurs années, j'avais une grande maison, c'était plus simple. Tu sais ce qui est terrible avec cet instrument ? Il n'y a aucun moyen de prendre un piano quand on déménage ou quand on voyage. Du coup, la seule chose à faire est de le détruire. Alors un jour, le père de mon ex-femme est venu, avec une hache, car je ne pouvais pas mettre le piano dans mon nouvel appartement, et il l'a détruit à coups de hache, c'était terrible.

Jack, Jacques, Anthony et maintenant Anthony Reynolds : à chaque projet musical, tu changes de nom. Est-ce parce que chaque projet révèle une facette artistique particulière ou parce que tu voulais ainsi tourner la page définitivement sur le passé ?

C'est juste de la perversité tout ça. En plus, j'essayais de fuir car Interpol me chassait car j'ai eu une grosse affaire il y a trois ans et je ne peux plus utiliser mon vrai nom maintenant (rires). Plus sérieusement, je ne sais pas. Je n'y ai jamais vraiment pensé. Déjà à l'époque, c'était pervers de faire Jacques et Jack. Il me semble qu'en France, Jack serait Jacques et inversement. Ça rendait les choses un peu difficiles pour les gens. Je ne sais pas pourquoi je fais ça, je ne sais pas.

Quand British Ballads est sorti, tu avais déclaré que c'était ton premier vrai disque solo. Est-ce parce que, pour la première fois, tu as pu travailler comme tu l'entendais et faire tes propres choix ou est-ce juste, par cette signature, la révélation du mystérieux personnage que tu es ?

C'était la première fois que la situation se prêtait à faire un tel album parce qu'avec les albums de Jack, c'était à la fin du siècle dernier et les gens vous donnaient encore de l'argent pour faire de la musique. Ils achetaient des disques. Si tu voulais un album, tu devais aller à la Fnac ou chez Virgin. Mais maintenant, tout ça est terminé. Peut-être que des amis pouvaient faire des enregistrements sur cassette mais le son était dégueulasse donc tu finissais par l'acheter toi aussi. Du coup, pour les albums de Jack, j'ai eu beaucoup d'argent comparé à maintenant parce que je pouvais les vendre ! Cette industrie a changé et je ne peux plus réunir l'argent nécessaire à un album à ma propre vision, de mon propre point de vue. Certains mecs sont incroyables, des chanteurs ou des guitaristes, mais je ne peux pas les payer. Pour Bristish Ballads, j'avais utilisé une citation d'Orson Wells : « C'est important d'être héroïque ». J'ai fait beaucoup d'efforts pour réunir de l'argent et mes amis musiciens pour faire ce disque. Ainsi, c'est le premier album où je pouvais mettre mon nom, pour toutes ces raisons.

 

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Et tu étais assez fier de ton travail je suppose ?

Non, je n'aime pas le mot« fier » parce qu'il suggère de la satisfaction. En tout cas, pour ce British Ballads, j'ai l'impression que c'était le premier et le dernier où je pourrais travailler de cette manière.

Depuis tes débuts au sein de Jack, tu as toujours connu un certain succès mais très loin des succès mainstream. Aujourd'hui, avec internet, est-ce différent pour toi, pour la diffusion de la musique ? J'ai vu que tu partageais beaucoup de chansons sur ton site et que tu as aussi un journal de bord.

Pour moi, si je suis un grand fan de quelqu'un et que je sais qu'il sort un album le mois prochain mais que je peux l'écouter avant, je trouve ça génial. Je suis à la maison devant mon ordinateur, je le télécharge parce que j'ai vraiment très envie de l'écouter et je me dis « Je l'achèterai plus tard, quand il sortira, peut-être en vinyle ». J'ai discuté avec des gens à Madrid il y a quelques semaines. Ils disaient qu'ils avaient téléchargé British Ballads sur Soulseek ou qu'ils l'avaient acheté en promo sur Ebay pour environ 1€, donc oui, malheureusement, aujourd'hui, l'industrie musicale est complètement différente avec internet.

J'ai lu dans une de tes interviews qu'il était toujours plus facile pour toi de donner des concerts avec un groupe. Pourquoi ?

Ça, c'est parce que la maison de disque paie pour tout dans ces cas-là (rires) ! C'est ennuyeux parce que la maison de disque investit beaucoup d'argent pour les concerts, notamment dans les transports. Par exemple, quand Jack jouait à Paris, au Nouveau Casino ou au Café de la Danse ou pour faire des Black Sessions, la maison de disques payait pour tout ! Par contre, quand tu n'as pas de groupe, tu te dis « Comment je vais faire venir des gens jusqu'à Paris ? Ça coûte quelque chose comme 4000 ou 5000€ ! ». Tu fais le concert et tu te rends compte que ça va te rapporter environ 3000€. C'est impossible ! Et encore, à mon niveau, je ne m'attends pas à gagner des fortunes ! C'est pour ça que je fais deux concerts à la suite ce soir, pour gagner suffisamment d'argent pour tout payer.

Et Gianluca et Thos Henley, qui partagent la scène avec toi ce soir, ce sont des amis ?

Gianluca est un très vieil ami à moi. Les autres musiciens (dont le pianiste Arnaud Gransac), je les ai rencontrés hier seulement, quand je suis arrivé à Paris.

- Une dernière question : peux-tu nous en dire plus sur tes projets à venir ?

Il y a un disque qui va sortir, ou plutôt deux disques. Une compilation, un Best Of qui sera distribué avec un très joli livre d'illustrations sur ma vie. Il y aura une trentaine de titres, de mes différents projets, solo ou pas. Il y aura 1500 exemplaires à peu près mais ce sera aussi sur Soulseek (rires). Je vais aussi sortir un recueil de poésie écrit en Grèce.

Beaucoup de projets donc !

Eh bien, tu sais, quand on n'a pas de job régulier, on doit beaucoup travailler, et sur différents projets. C'est très intéressant mais j'ai un peu une vie de gipsy !